Rémission fonctionnelle et qualité de vie après syndrome de Cushing
Introduction
L’hypercortisolisme en phase active a des conséquences clinico-biologiques sévères avec notamment un risque cardiovasculaire augmenté (obésité, hypertension, syndrome métabolique, diabète), une coagulopathie, une atteinte osseuse ainsi que des désordres psychiatriques et cognitifs (1–3) avec diverses manifestations telles que des éléments dépressifs atypiques, psychotiques, maniaques…(4). La majorité des publications récentes portant sur les patients atteints d’hypercortisolisme s’est intéressée au devenir de ces patients une fois obtenue la rémission ou le contrôle de l’hypercortisolisme. Ainsi, les conséquences à long terme de l’exposition à l’hypercortisolisme sont désormais admises sur le plan physique avec une persistance d’une morbi-mortalité plus importante que dans la population générale.(5) Sur le plan métabolique, Terzolo et al. notent par exemple la persistance d’une obésité et d’une hypertriglycéridémie après une durée moyenne de rémission de 4 ans (6), et deux autres études, la persistance d’un sur risque cardiovasculaire 5 ans après la rémission.(7,8) Il en est de même pour le retentissement neurocognitif de l’hypercortisolisme. Si la symptomatologie psychiatrique s’améliore significativement après 1 an d’eucortisolisme, il n’est pas observé de retour à l’état antérieur. Il est ainsi constaté une persistance de symptômes anxio-dépressifs ainsi que des idéations suicidaires, parfois plusieurs années après obtention de l’eucortisolisme (9). Au regard de ces données, plusieurs auteurs se sont intéressés à la santé perçue par les patients et à leur qualité de vie. La qualité de vie, telle que définie par l’OMS en 1993, est un concept large, influencé de manière complexe par la santé physique du sujet mais également son état psychologique, ses relations sociales, son environnement. La persistance d’une altération de la qualité de vie malgré l’obtention d’un eucortisolisme a été démontrée à l’aide de plusieurs échelles validées de qualité de vie et ce indépendamment de l’étiologie et du traitement reçu (10). Tiemensma et al. ont montré que la manière dont les patients en rémission d’un hypercortisolisme perçoivent leurs symptômes et leur maladie a un impact sur leur qualité de vie et ce 15 ans après la rémission. (11) Les facteurs psychologiques et sociaux pourraient donc être corrélés à la qualité de vie chez ces patients, mais il n’existe finalement que peu de données précises sur ces facteurs. 3 Pour essayer de mieux appréhender les difficultés rencontrées par certains patients en rémission de leur hypercortisolisme, le but de notre étude était donc de caractériser pour la première fois de manière exhaustive les déterminants psychosociaux à l’origine de l’altération de qualité de vie de ces patients. L’objectif secondaire était d’étudier la répercussion sociale et professionnelle de cette altération prolongée de la qualité de vie. II. Patients et méthodes Une étude prospective, monocentrique ouverte, observationnelle, non randomisée a été menée au sein du pôle endocrinologie de la Conception, CHU de Marseille, France.
Patients
Tous les patients ayant consulté en endocrinologie ou en chirurgie endocrinienne entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015 et étant en rémission d’un hypercortisolisme endogène (après une première prise en charge ou après récidive) ont été inclus. Le recrutement a également été réalisé par l’intermédiaire d’une association de patients « l’association surrénales », les adhérents étaient contactés par mail et invités à se rapprocher des investigateurs qui jugeaient de leur éligibilité à l’étude. Les patients étaient inclus selon les critères suivants : – Critères d’inclusion : patient âgé de plus de 18 ans, présentant un hypercortisolisme lié à un syndrome de Cushing endogène ACTH dépendant ou indépendant en rémission ou contrôlé médicalement depuis au moins 1 an, non institutionnalisé, comprenant la langue française. La rémission était définie par l’obtention d’un eucortisolisme par la chirurgie ou la radiothérapie (normalisation du cortisol libre urinaire des 24 heures mesuré à 2 reprises, récupération d’un cycle nycthéméral du cortisol avec un cortisol à 8h > 350 nmol/l et à minuit < 100 nmo/l), ou par un traitement médicamenteux (normalisation du cortisol libre urinaire des 24 heures mesuré à 2 reprises, cortisol à 8h > 350 nmol/l) ou la mise en évidence d’un hypocortisolisme 4 (Cortisol à 8h < 138 nmol/L au moins 24h après la dernière prise d’hydrocortisone) chez un patient sous traitement substitutif. – Critères de non inclusion : patient mineur ou âgé de plus de 80 ans, présentant un hypercortisolisme en rémission depuis plus de 15 ans, ou avec altération cognitive importante ne permettant pas le remplissage de questionnaire, syndrome génétique responsable de l’hypercortisolisme (Néoplasie endocrinienne multiple), adénome hypophysaire plurihormonal, carcinome hypophysaire, sujet refusant de participer à l’étude.
Recueil de données et déroulement de l’étude
Les patients étaient contactés par voie postale ou électronique afin d’envisager leur participation à l’étude. Un dossier à compléter leur était ensuite communiqué. L’ensemble des participants à l’étude a reçu une notice d’information et signé un consentement éclairé. Les données suivantes étaient recueillies pour chaque patient : données socio démographiques (âge, sexe, niveau d’étude, mode de vie, profession, adaptation du poste de travail), données anamnestiques d’ordre général (antécédents médicaux, traitements en cours) données anamnestiques propres à l’hypercortisolisme (type de pathologie, schéma thérapeutique, traitement médicamenteux actuel, temps passé en hypercortisolisme, retard au diagnostic, déficits associés, récidive). Les questionnaires auto administrés suivants étaient renseignés, permettant d’évaluer la qualité de vie et les différentes variables d’intérêt (Annexe 1 et 2): – La qualité de vie était appréciée à l’aide d’une échelle générique, la WHOQoLBREF (développée par l’OMS en 1998 (12) et validée en langue française dans la population générale en 2010 par Baumann et al.(13), évaluant la qualité de vie dans les domaines «santé physique», «bien-être psychique», «relations sociales» et «environnement».) et d’une échelle spécifique du syndrome de Cushing (CushingQoL, seule échelle validée dans le syndrome de Cushing) développée par Webb et al. (14), étudiant la symptomatologie 5 propre au syndrome de Cushing à l’aide de 12 items dont l’intensité est cotée de 0 à 5. (Annexe 1) – L’anxiété et la dépression étaient évaluées à l’aide de deux échelles, l’échelle de Beck et l’échelle HAD. L’échelle de Beck II (15) a fait l’objet d’une validation française (Bourque et al.)(16) et permet une estimation quantitative de l’intensité de la dépression. L’inventaire comprend 21 items de symptômes et d’attitudes gradués de 0 à 3 reflétant le degré de gravité du symptôme. L’échelle HAD, développée par Zigmond et al. en 1983 (17)et validée en langue française par Lépine et al. en 1985, (18) était également renseignée ; elle a la particularité d’étudier d’une part la composante anxieuse et d’autre part la composante dépressive. Elle comporte 14 items cotés de 0 à 3. Sept questions se rapportent à l’anxiété et sept autres à la dimension dépressive, permettant ainsi l’obtention de deux scores. – L’estime de soi qui correspond à la perception qu’a le patient de lui-même, était étudiée à l’aide du questionnaire de Rosenberg développé par Rosenberg en 1965 et traduit par Chambon en 1992. Il est constitué de 10 items dont 5 évaluent l’estime de soi positive et 5 l’estime de soi négative permettant l’obtention d’un score entre 10 et 40. – L’image corporelle était évaluée à l’aide du questionnaire d’image corporelle de Bruchon-Schweitzer élaboré en 1990 qui questionne les différentes facettes de l’image du corps en langue française (score de 0 à 95, plus le score est élevé, plus la satisfaction corporelle est importante) et des figurines de Stunkard, Sorensen et Schlusinger (1983) qui permettent de mesurer la représentation visuelle du corps (Il est demandé au patient de s’identifier à l’une des silhouettes et d’identifier la silhouette correspondant à l’image renvoyée aux autres).
I. Introduction |