Remise en cause du modèle agroindustriel

REMISE EN CAUSE DU MODÈLE AGROINDUSTRIEL : QUELQUES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIOÉCONOMIQUES

Le système agroalimentaire actuel, bien qu’il ait permis une augmentation de la production en réponse à des besoins alimentaires croissants, une réduction des prix réels des aliments ainsi qu’une certaine garantie de leur sécurité sanitaire (Touzard et Fournier, 2014), présente d’importantes limites. Le modèle agroindustriel dominant est caractérisé par une production de masse, des secteurs agricoles spécialisés, une importante utilisation d’intrants chimiques, un réseau de transformation et de distribution mondialisé et des produits alimentaires standardisés. Les nombreux problèmes environnementaux et socioéconomiques qui y sont associés interpellent les acteurs publics, les producteurs, les consommateurs et les chercheurs qui tentent de trouver des solutions.

Sur le plan de l’environnement, certaines pratiques de l’agriculture productiviste font partie des principales causes de dégradation de l’environnement terrestre (contamination des cours d’eau, perte de biodiversité, émissions de gaz à effet de serre, dégradation des sols organiques, etc.). Parmi ces pratiques, l’utilisation massive de pesticides, connue pour ses répercussions sur la biodiversité et la qualité de l’eau, est l’une des mieux connue et documentée en ce qui concerne les impacts environnementaux de l’agriculture. Plusieurs études font état des effets néfastes des pesticides systémiques sur  la biodiversité et les écosystèmes et révèlent leur présence un peu partout dans l’environnement (le sol, les plantes, les produits agricoles…). Cette contamination de l’environnement par les pesticides s’étend également aux eaux de surfaces à travers le monde. Au Québec, une étude publiée en avril 2019 (Montiel-Léon et al.) rend compte de l’omniprésence de pesticides dans les eaux du Saint-Laurent, notamment dans un tronçon du fleuve qui sert d’approvisionnement en eau potable à des millions de Québécois. Le glyphosate et l’atrazine sont les composés qui ont été le plus fréquemment détectés dans les échantillons d’eau de surface d’un tronçon de 200 km du fleuve Saint-Laurent et ses affluents. Les chercheurs ont aussi détecté d’importantes concentrations de néonicotinoïdes à des taux supérieurs aux normes canadiennes en matière de qualité de l’eau et de protection de la vie aquatique. En plus des risques que présente cette contamination des eaux pour les écosystèmes aquatiques, la présence de pesticides dans l’environnement présente des risques pour la santé humaine. Un lien fort a notamment été établi entre l’exposition au glyphosate, qui est l’herbicide à large spectre le plus utilisé dans le monde, et le développement de cancers (Zhang et al., 2019). La perte de biodiversité, la pollution des eaux de surface et les effets néfastes sur la santé humaine reliés à l’utilisation des pesticides illustrent bien les impacts environnementaux du modèle agroindustriel.

Outre ces enjeux écologiques, ce modèle agricole entraîne aussi des effets néfastes sur le plan socioéconomique, notamment en ce qui concerne la dévitalisation des milieux ruraux et le développement local. Au Québec, le passage d’une agriculture familiale à un modèle agricole industriel au cours du 20e siècle a entraîné une diminution du nombre de fermes et du nombre d’employés par ferme ainsi que d’importantes pertes d’emplois en milieu rural. Cette modernisation agricole constitue un facteur indirect de dévitalisation économique et sociale des milieux ruraux et est associée à une perte des fonctions agricoles (dynamisme du tissu social et création d’emplois en zone rurale) (Parent, 2010; Royer et Gouin, 2010). En effet, les emplois perdus en milieu rural ne sont pas nécessairement des emplois retrouvés en milieu rural; un travailleur agricole qui perd son emploi sera souvent appelé à se déplacer dans un centre urbain à proximité ou à l’extérieur de sa région. Pour Diane Parent (2010), il doit y avoir une reconnaissance des multiples fonctions de l’agriculture telles que la production alimentaire, le maintien et la création d’emplois, la protection et le renouvellement des paysages et des ressources, pour que se construise un nouveau contrat social entre l’agriculture et son territoire, en faveur du dynamisme rural.

Ces profondes mutations du travail agricole ont eu des répercussions sur le bienêtre des agriculteurs qui ont dû s’adapter à de nouvelles pratiques et à un système agroalimentaire mondialisé. Les exploitants agricoles sont souvent victimes des fluctuations du marché pour les produits agricoles et doivent composer avec des politiques économiques et plusieurs tâches administratives contraignantes (Beauregard et al., 2014). Au sein des régions et des communautés rurales, la notion de solidarité pallie difficilement le manque de reconnaissance sociale des agriculteurs et l’affaiblissement des réseaux de soutien (Beauregard et al., 2014). Certains auteurs soulignent un déficit de liens sociaux professionnels et personnels qui peut entraîner un isolement social et peut avoir des conséquences importantes sur la santé mentale des agriculteurs .

Plusieurs exploitants agricoles sont victimes de détresse psychologique liée notamment au stress, mais aussi à l’isolement ainsi qu’à la stigmatisation et aux préjugés qui existent dans le milieu agricole. Ces difficultés à s’intégrer dans une vie sociale découleraient des fortes contraintes temporelles et du manque de reconnaissance personnelle et sociale de leur travail (Paturel et al., 2015). Une étude de 2010 représentative de la main-d’œuvre canadienne montre que le travail agricole figure parmi les professions les plus à risque pour la mortalité par suicide (Mustard et al., 2010). Au Québec, une étude menée en partenariat avec la Coop fédérée indique que d’autres atteintes à la santé mentale comme la détresse psychologique, la fatigue et le stress affectent considérablement les travailleurs agricoles (Lafleur et Allard, 2006).

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Les habitudes alimentaires ont elles aussi beaucoup changé dans les dernières décennies. Ces changements se traduisent par de nouveaux comportements comme la baisse de la prégnance du repas familial, le grignotage individuel et la consommation de produits transformés ou en restauration rapide. Le repas familial, auparavant central, a aujourd’hui moins d’importance et beaucoup de prises alimentaires se font à l’extérieur du cadre social du repas (Maréchal, 2011). On remarque également une baisse des dépenses alimentaires dont le niveau se rapproche aujourd’hui à celui des télécommunications dans le budget des ménages (Maréchal, 2011). Dans les vingt dernières années, l’obésité est devenue une préoccupation non seulement individuelle, mais sociale. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, les principaux facteurs de « l’épidémie mondiale » d’obésité sont les changements au niveau de l’alimentation et la tendance à faire moins d’exercice physique (OMS, 2003). L’offre de produits proposée par l’industrie agroalimentaire n’est pas étrangère à ce phénomène, avec la modification de la composition nutritionnelle des aliments qui sont souvent caloriques, riches en gras, en sucre et en sel et imprégnés de saveurs artificielles (Tremblay, 2011). En trente ans, le secteur de la restauration rapide a connu une croissance de 900%, cette courbe correspondant à celle de la croissance de l’obésité et du contenu calorique des portions offertes pour la même période (Lagacé et Renaud, 2007, p. 63).

Enfin, l’échange marchand standard qui s’opère dans le modèle agroindustriel serait responsable de l’éloignement entre producteurs et consommateurs (Chiffoleau, 2012; Rastoin et Ghersi, 2010). Cet échange, caractérisé par un anonymat des contractants et des relations distantes entre producteurs et consommateurs (Hinrichs, 2000), entraînerait un détachement des lieux et des conditions de production (Deverre et Lamine, 2010). Pour les consommateurs, cette distance se traduit principalement par de l’incertitude quant à la qualité (sanitaire et organoleptique) et la provenance (conditions et lieux de production) des aliments. Créer un lien direct avec le producteur contribuerait ainsi à garantir la qualité des produits et à rassurer les consommateurs (Merle et Piotrowski, 2012). Pour les producteurs, faire affaire avec les nombreux intermédiaires au sein des filières agroalimentaires s’avère souvent contraignant, surtout pour les petites fermes ou les exploitations ayant des projets alternatifs qui répondent difficilement aux demandes des marchés standards (Chiffoleau, 2008).

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE : LE CONTEXTE D’ÉMERGENCE DES CIRCUITS COURTS
1.1 REMISE EN CAUSE DU MODÈLE AGROINDUSTRIEL : QUELQUES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIOÉCONOMIQUES
1.1.1 TRANSFORMATION DU SYSTÈME AGROALIMENTAIRE ET EFFERVESCENCE DES CIRCUITS DE PROXIMITÉ
1.1.2 LE TOURNANT VERS LA QUALITÉ
1.2 UNE ALTERNATIVE : LES CIRCUITS DE PROXIMITÉ
1.2.1 QUELQUES INITIATIVES DE PROXIMITÉ : TEIKEI, AMAP ET ASC
1.2.2 PRINCIPALES CONTRIBUTIONS DES CIRCUITS ALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ À LA DURABILITÉ DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES
CHAPITRE 2 CADRE THÉORIQUE
2.1 CIRCUITS COURTS ET VENTE DIRECTE
2.2 CIRCUITS ALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ
2.2.1 LES FORMES DE PROXIMITÉ
2.2.2 LES FORMES DE CONFIANCE
2.3 OBJECTIF PRINCIPAL, QUESTIONS DE RECHERCHE ET HYPOTHÈSES
2.3.1 OBJECTIF PRINCIPAL
2.3.2 QUESTIONS DE RECHERCHE SPÉCIFIQUES ET HYPOTHÈSES
2.4 PORTRAIT DE LA MRC DE LAC-SAINT-JEAN-EST
2.4.1 LA MISE EN MARCHÉ DE PROXIMITÉ DANS LAC-SAINT-JEAN-EST
CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE
3.1 APPROCHE GÉNÉRALE
3.1.1 UNE DÉMARCHE QUALITATIVE BASÉE SUR LA SÉRIE-DOCUMENTAIRE HORS CHAMPS
3.1.2 NOTES SUR LA SÉRIE-DOCUMENTAIRE
3.2 PORTRAIT DE L’ÉCHANTILLON ET INTÉRÊT DU TERRITOIRE ÉTUDIÉ
3.2.1 COMPOSITION DE L’ÉCHANTILLON ET CRITÈRES DE SÉLECTION
3.3 TRAITEMENT ET ANALYSE DES DONNÉES
3.4 LIMITES DE LA MÉTHODE UTILISÉE
3.4.1 CARACTÈRE EXPLORATOIRE DE LA RECHERCHE
3.4.2 ADAPTATION DU CONTENU AU FORMAT TÉLÉVISUEL ET MISE EN SCÈNE DUE À LA PRÉSENCE DE LA CAMÉRA
CHAPITRE 4 RÉSULTATS ET DISCUSSION
4.1 COMPLÉMENTARITÉ DES FORMES DE CONFIANCE INTERPERSONNELLE ET INSTITUTIONNELLE
4.2 CONSTUIRE LA RELATION SOCIALE D’ÉCHANGE : LES PROXIMITÉS PERÇUES EN VENTE DIRECTE74
4.2.1 LA PROXIMITÉ D’ACCÈS : DES ESPACES DE CONVIVIALITÉ QUI FAVORISENT LA RENCONTRE78
4.2.2 LA PROXIMITÉ RELATIONNELLE : DU LIEN D’ÉCHANGE À LA DIMENSION COLLECTIVE DES CIRCUITS DE PROXIMITÉ
4.2.3 LA PROXIMITÉ DE PROCESSUS : AMENER LES CITOYENS À SE QUESTIONNER SUR LA PROVENANCE DES ALIMENTS
4.2.4 LA PROXIMITÉ IDENTITAIRE : LE PATAGE DE VALEURS AU CŒUR DU RAPPROCHEMENT ENTRE LES ACTEURS
CONCLUSION 

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