Remédiatiser Candide, entre immédiateté et hypermédialité
Nous savons désormais que le livre-application Candide offre trois entrées dans l’œuvre qui proposent chacune un type d’accès et d’enrichissements spécifiques : le « Livre », ou la lecture enrichie ; le « Monde », ou l’exploration pédagogique ; le « Jardin », ou l’appropriation des contenus. Le livre numérique enrichi procède ainsi à une « remédiatisation » du conte de Voltaire.
Nous avons vu que Bolter et Grusin définissaient la remédiatisation (remediation) comme l’appropriation et la transformation d’un média dans un autre. Nous avons dit que pour les auteurs, le processus de remédiatisation emprunte deux voies, selon que l’on donne à voir, ou non, la présence de l’ancien média :
l’hypermédialité (hypermediacy) rappelle la présence du premier média alors que l’immédiateté ou transparence (immediacy) le fait disparaître derrière d’autres types de représentations. La singularité de l’application, c’est de combiner ces deux modes de remédiatisation : hypermédialité d’une part, en simulant un livre dont on tourne les pages à l’instar d’une liseuse électronique ; immédiateté d’autre part, avec deux nouvelles représentations, celles de la carte et du jardin, où le livre disparaît tout en gardant l’accès au texte.
Pour comprendre comment ce processus de remédiatisation a été mis en œuvre dans l’application, nous proposons de suivre la modélisation de ces trois entrées, depuis l’élaboration du concept et des contenus, jusqu’aux maquettes fonctionnelles et graphiques. Sur l’accueil de l’application, chaque entrée se présente par un volet coulissant
qui ouvre vers un univers, pensé et modélisé en tant que tel comme nous allons le voir maintenant. Ainsi la couverture, qui évoque les paravents japonais ou les Cent phrases pour éventails de Claudel (1942), est-elle interactive, déployant son volet pour plonger le lecteur dans un des trois univers du conte.
Le volet « Livre », ou la lecture enrichie Au cœur de l’entrée « Livre », l’édition critique de Candide, publiée par la Voltaire Fondation en 1980, se trouve mise en relation avec les manuscrits 267 conservés à la BnF. 267 Il y a en fait deux manuscrits : l’un dû à un secrétaire, Wagnière, corrigé par la main de Voltaire ; l’autre est une réécriture du chapitre 22.
Concept, spécifications et modélisation du volet « Livre »
Donner envie de lire Candide, faire redécouvrir le texte, enrichir l’œuvre et favoriser son partage : au-delà des objectifs assignés au projet, c’est à une autre expérience de la lecture que nous sommes invités. Une lecture immersive qui doit répondre à la curiosité du lecteur et l’inciter à la réflexion.
Proposer ainsi une lecture enrichie de l’œuvre c’est, dans notre approche, faire intervenir des augmentations qui permettent différents modes de lecture : – une lecture libre (simple) sans enrichissement, c’est-à-dire sans qu’aucune marque sur le texte ne puisse gêner la lecture linéaire ;
– – – – – une lecture sonore, intégrale ou partielle, en l’occurrence par le comédien Denis Podalydès ; une lecture comparée, du texte et du manuscrit, des variantes ; une lecture illustrée par différentes interprétations gravées du conte ; une lecture d’étude, avec des notes adaptées à un public scolaire, orientées sur la compréhension du texte, et complétée par des fiches sur les personnages, les lieux et les concepts mis en œuvre par Voltaire ;
une lecture érudite, avec l’apparat critique de René Pomeau, de nature plus philologique, et l’accès aux variantes du texte. Il nous importe que le livre-application permette une navigation fluide entre ces différents modes de lecture, qui jamais ne doivent s’imposer au lecteur. Celui-ci doit pouvoir marquer tous les contenus, les exporter, les partager ou les retrouver à leur place dans le texte, et pouvoir les éditer.