La croissance radiale de l’épinette noire est surtout influencée par la température et peut répondre différemment au climat selon les conditions d’humidité. Au Québec l’épinette noire est favorisée par des étés frais et humides durant l’année de croissance et celle avant, lorsqu’elle pousse sur des sites xériques et mésiques (Hofgaard et al. 1999; Tardif et al. 2001; Drobyshev et al. 2010). Mais elle pourrait également être favorisée par des températures estivales plus chaudes dans le nord (vers le 54°N) (Huang et al. 2010). Aussi, un printemps chaud et donc un début de la saison de croissance précoce, contribue fortement à la croissance radiale de l’épinette noire (Hofgaard et al. 1999; Tardif et al. 2001; Drobyshev et al. 201 0). Aussi, chez 1′ épinette noire la relation entre le climat et la croissance peut varier en fonction des caractéristiques du site (Wilmking et Myers-Smith 2008). Ainsi, en Alaska les épinettes noires en milieu forestier ouvert sont généralement plus influencées par le climat et leur croissance présente surtout une corrélation négative avec les températures de fin d’été, alors que la croissance des épinettes noires en tourbière est moins sensible au climat. Dans l’ouest du Québec, une importante couche de matière organique rend l’épinette noire moins sensible aux étés plus chauds et secs, sauf en cas de sécheresse extrême où l’effet est inverse (Drobyshev et al. 2010).
La réponse du peuplier faux-tremble aux variables climatiques est différente de celle de l’épinette noire, mais varie aussi selon les conditions de site. Dans l’ouest du Canada, où le climat est nettement plus sec qu’ au Québec (Environnement Canada 2010), le manque en eau est le principal facteur causant une diminution de la croissance et de la productivité du peuplier faux-tremble, qui est donc reliée positivement aux précipitations, mais aussi à la présence de limons dans le sol (Hogg et al. 2005, 2008). De plus, Leonelli et al. (2008) ont constaté que la croissance radiale du peuplier faux-tremble est surtout influencée par le climat de l’année précédente à la croissance et que l’intensité de la réponse au climat dépend fortement des propriétés du site. Les effets du climat sur la croissance des arbres n’augmenteraient pas seulement aux limites de distribution du peuplier faux-tremble, mais aussi dans les sites plus riches et humides, où les nutriments ne constituent pas un facteur limitant à la croissance. Dans l’est du Canada par contre, la croissance du peuplier fauxtremble est moins affectée par la sécheresse (Cooke et Roland 2007), probablement à cause des conditions climatiques nettement plus humides. Sur un gradient latitudinal du 46° au 54°N dans l’ouest du Québec, les précipitations de l’hiver précédent la saison de croissance deviennent de plus en plus favorables et les températures du début de l’été de l’année précédent la croissance deviennent de plus en plus limitantes du sud au nord (Huang et al. 20 10). Des automnes frais précédents la saison de croissance, des printemps doux et humides et le rallongement de la saison de croissance sont favorables à la croissance du peuplier fauxtremble.
Accumulation de la matière organique au sol
Dans la ceinture d’argile de l’ouest du Québec, d’importantes accumulations de matière organique au sol mènent à la paludification des forêts. Après feux, les essences, dont le peuplier faux-tremble et l’épinette noire, se régénèrent naturellement sur le sol minéral sur lequel va s’accumuler de la matière organique au cours du temps (Lecomte et al. 2006; Simard et al. 2007, 2009). Lorsque la couche organique au sol s’épaissit, on observe une augmentation de la capacité de rétention d’eau du sol (Lavoie et al. 2007). Ceci cause une montée de la nappe phréatique (Simard et al. 2007) et donc un refroidissement du sol, un retardement du dégel et un ralentissement du recyclage des éléments nutritifs (Foster 1985; Oechel et Van Cleve 1986). L’excès d’eau, un sol pauvre et froid diminuent la productivité de l’épinette noire (Oechel et Van Cleve 1986) et plus un site est paludifié, plus la productivité de l’épinette noire diminue (Simard et al. 2007, 2009). Dans les sites paludifiés, 1 ‘épinette noire présente également plus d’anomalies de croissance caractérisées par des cernes particulièrement étroits (Drobyshev et al. 2010). Dans de tels milieux, le peuplier faux-tremble a un effet négatif sur l’accumulation de matière organique (Fenton et al. 2005), la qualité de sa litière accélère le recyclage des éléments nutritifs et améliore les propriétés du sol (Lé garé et al. 2005a; Laganière et al. 20 10). Cette amélioration des propriétés du sol, l ‘augmentation du pH et de la disponibilité des éléments nutritifs augmente alors la croissance et la productivité de l’épinette noire (Légaré et al. 2004, 2005b). Le peuplier fauxtremble est rarement trouvé dans des milieux organiques, contrairement à l’épinette noire qui semble éprouver peu de difficultés à croître et à s’établir dans ces milieux. Toutefois, l’effet de la couche organique sur la croissance et la distribution du peuplier faux tremble à l’échelle du paysage n’est pas bien connu. Bien que le peuplier faux tremble ait un effet négatif sur l’épaisseur de la couche organique, la possibilité d’un effet limitant de la couche organique sur la croissance et la distribution du peuplier faux-tremble devrait être explorée. En plus d’influencer la croissance et la distribution dans le paysage, l’épaisseur de la couche organique a le potentiel d’avoir un impact sur les relations croissance-climat du peuplier faux-tremble et de l’épinette noire et ainsi sur leur réponse aux changements climatiques (Drobyshev et al. 20 10).
Peuplements mixtes
Selon V andermeer ( 1989), le mélange de différentes espèces peut mener à une plus grande productivité grâce au principe d’exclusion compétitive ou au mécanisme de facilitation. L’exclusion compétitive mène à une meilleure utilisation des ressources du milieu par des espèces qui ont des niches écologiques distinctes. Et lorsqu’une espèce modifie le milieu de façon à affecter positivement une autre espèce on parle de facilitation. Dans la forêt boréale québécoise, l’épinette noire a une grande valeur économique et dans les peuplements mixtes, le peuplier faux tremble est souvent considéré comme une espèce compétitive et est enlevé des peuplements d’épinettes noires (Gagnon et al. 1998). Cependant, l’exclusion compétitive et même la facilitation peuvent avoir lieu dans les peuplements mixtes d’épinette noire et de peuplier faux-tremble. Les racines de l’épinette noire sont peu profondes, alors que celles du peuplier faux-tremble poussent plus profondément dans le sol, ce qui crée une séparation des niches dans le sol, pour ce qui est de l’espace disponible et aussi pour les ressources édaphiques (Burns & Honkala 1990a, 1990b; Brassard et al. 2011). Aussi, le cycle de feuillaison mène à une séparation temporelle des niches. Lorsque le peuplier faux-tremble ne porte pas de feuilles, l’épinette noire peut bénéficier d’une plus grande luminosité et aussi d’une plus grande disponibilité des ressources édaphiques, principalement au début de la saison de croissance, qui commence bien plus tôt pour l’épinette noire (Man & Lieffers 1997, 1999; Green 2004). Le peuplier faux-tremble a un effet bénéfique sur les propriétés du sol et peut avoir un impact positif sur l’épinette noire, selon les conditions de site et la proportion de peuplier faux-tremble dans le peuplement (Légaré et al. 2004, 2005a, 2005b; Laganière et al. 2010). Des réponses distinctes des deux espèces au climat peuvent ajouter à cette complémentarité des niches et il y aurait une certaine assurance quant à l’accumulation de biomasse dans les peuplements mixtes dans le contexte des changements climatiques.
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