Cancers non classant SIDA
Dans une méta-analyse incluant les données de 13 études couvrant les périodes avant et après cART, publiée en 2009, Shiels et al. ont estimé un risque global de tous les cancers non classant SIDA comme étant deux fois plus élevé (SIR=2 [IC à 95% : 1,8-2,2]) chez les personnes infectées par le VIH que dans la population générale (Shiels et al. 2009). Cependant les RRs étaient différents selon le type de cancer. Dans cette méta-analyse, Les cancers non classant SIDA les plus fréquents était le cancer du poumon (847 cas), la maladie de Hodgkin (643 cas), le cancer du canal anal (253 cas) et le cancer du foie (171 cas). Le SIR était 2,6 [IC à 95% : 2,1-3,1] pour le cancer du poumon, 11,0 [IC à 95% : 8,8-15,0] pour la maladie de Hodgkin, 28,0 [IC à 95% : 21,0-35,0] pour le cancer de l’anus et 5,6 [IC à 95% : 4,0-7,7] pour le cancer du foie.
Les études ayant évalué les incidences et les sur-risques des quatre cancers non classant SIDA les plus fréquents sont présentés dans des tableaux synthétiques ; tableau 4 pour le cancer du poumon, tableau 5 pour la maladie de Hodgkin, tableau 6 pour le cancer du foie et tableau 7 pour le cancer du canal anal. La plupart des études ont uniquement comparé le risque de cancer entre la période pré-cART et la période post-cART, sans regarder l’évolution au cours de la période des cART.
Cancer du poumon
A la période pré-cART, les résultats des études sur l’estimation du risque de cancer du poumon chez les personnes infectées par le VIH étaient contradictoires. Certaines études ont rapporté une augmentation du risque avec des SIRs allant de 2 à 7 (Parker et al. 1998; Grulich et al. 1999; Frisch et al. 2001; Engels et al. 2006b, 2008; Chaturvedi et al. 2007; Patel et al. 2008; Dal Maso et al. 2009; Franceschi et al. 2010), alors que d’autres études n’ont montré aucune augmentation (Bower et al. 2003; Herida et al. 2003; Powles et al. 2009; van Leeuwen et al. 2009). Ces résultats sont possiblement expliqués par un faible nombre de cancers observés (n=0 à 23) et/ou par une sous-notification des cas. Par ailleurs, les études ayant montré une augmentation du risque sont des études ayant croisé les données des registres du VIH/SIDA avec les données des registres de cancers, ce qui leur a permis d’identifier tous les cas de cancers incidents.
La plupart des études qui se sont intéressées à l’évolution du risque du cancer du poumon au cours du temps et depuis l’introduction des cART, ont souligné un pic de l’incidence ou du SIR dans les premières années d’utilisation des cART (Bower et al. 2003; Herida et al. 2003; Engels et al. 2006a; Chaturvedi et al. 2007; Patel et al. 2008; Powles et al. 2009). Dans les études récentes, une baisse du risque a été suggérée au cours de la période des cART avec un risque 2 à 3 fois plus élevé que le risque en population générale dans la période récente des cART (Franceschi et al. 2010; Robbins et al. 2014). Bien que le taux de tabagisme soit plus élevé chez les personnes infectées par le VIH que dans la population générale (43% vs. 31% en France) (Duval et al. 2008), ce facteur de risque n’explique pas entièrement l’augmentation du risque de cancer du poumon chez les personnes infectées par le VIH. En effet, des études ont montré que l’infection par le VIH était liée à un risque élevé de cancer du poumon indépendamment du tabac (Engels et al. 2006a; Chaturvedi et al. 2007; Kirk et al. 2007) avec un SIR ajusté pour le tabagisme étant de 2,5 [IC à 95%, 1,6-3,5] et un SIR non ajusté étant de 4,7 [IC à 95%, 3,2-6,5] (Engels et al. 2006a). Outre le tabac, un risque élevé du cancer du poumon chez les personnes infectées par le VIH a été associé à d’autres facteurs de risque tels que les pneumonies récurrentes (Shebl et al. 2010) et la tuberculose (Shiels et al. 2011a).
Maladie de Hodgkin
Pour la maladie de Hodgkin, les résultats sur l’évolution temporelle du risque sont discordants. Les différences observées entre les études sont probablement liées à la relation non linéaire entre le taux de CD4 et l’incidence de la maladie de Hodgkin (Guiguet et al. 2009), le risque étant plus élevé chez les patients ayant un taux de CD4 entre 50 et 200/mm3. Ainsi, les différences dans la diffusion des cART dans les pays, et de légères différences dans la définition de périodes à travers les études, pourraient influer sur la proportion de personnes infectées par le VIH les plus à risque de développer la maladie de Hodgkin, et par conséquent, les tendances observées. En conclusion, l’évolution du risque de la maladie de Hodgkin, notamment au cours de la période des cART, demeure incertaine.
Cancer du foie
Concernant l’évolution de l’incidence du cancer du foie au cours du temps, certains auteurs n’ont rapporté aucun changement (Patel et al. 2008; Franceschi et al. 2010; Simard et al. 2010; Shiels et al. 2011b), tandis que d’autres ont montré une augmentation (Polesel et al. 2010; Robbins et al. 2014). En effet la proportion des patients co-infectés par le VHB et le VHC dépend d’une part de la représentation des groupes de transmission du VIH ; cette proportion étant élevée chez les usagers de drogues intraveineuses, et d’autre part de la proportion des personnes originaires des pays à forte endémie. Ces facteurs influencent les différences de risque entre les études. D’un autre côté, la plupart des études ont mis en évidence une stabilité du risque relatif au cours du temps en comparaison avec la population générale (Franceschi et al. 2010; Sahasrabuddhe et al. 2012; Robbins et al. 2014). Cette stabilité du risque résulte d’une évolution dans le même sens de l’incidence du cancer du foie dans la population infectée par le VIH et dans la population générale au cours du temps. L’augmentation ou la stabilité de l’incidence du cancer du foie chez les personnes infectées par le VIH pourrait refléter le prolongement de la survie des personnes co-infectées par le VHB et le VHC dû à l’avènement des cART et la baisse de l’incidence des pathologies classant SIDA, ce qui a fourni le temps suffisant à la progression de la pathologie hépatique vers le cancer du foie.
Cancer du canal anal
La plupart des études publiées ont montré une augmentation de l’incidence du cancer du canal anal avec l’avènement des cART (Patel et al. 2008; Piketty et al. 2008; Crum-Cianflone et al. 2010; Franceschi et al. 2010; Seaberg et al. 2010; Simard et al. 2010). Cependant, les résultats des études sont discordants au cours de la période des cART, ce qui s’explique probablement par les problèmes méthodologiques discutés ci-dessus. En effet, bien que certaines études aient suggéré une stabilisation de l’incidence (Long et al. 2008; van Leeuwen et al. 2009; Franceschi et al. 2010; Silverberg et al. 2012), d’autres ont montré une augmentation continue de l’incidence au cours de la période des cART (Crum-Cianflone et al. 2010; Robbins et al. 2014). Néanmoins, toutes les études ont montré une augmentation du risque en comparaison avec la population générale en particulier chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) (Frisch et al. 2000; Piketty et al. 2012).
Immunodépression et risque de cancer chez les personnes infectées par le VIH
Risque de cancer chez les receveurs de greffe d’organes et les personnes infectées par le VIH
Le risque de cancer est élevé dans un contexte d’immunodépression, notamment chez les receveurs de greffe d’organes (Birkeland et al. 1995; Vajdic et al. 2006; Engels et al. 2011). Une méta-analyse (Grulich et al. 2007) ayant inclus 5 études de receveurs de greffe et 7 études de VIH/SIDA a estimé des SIRs comparant le risque de cancer dans ces deux populations au risque dans la population générale. Les risques étaient élevés pour la plupart des cancers et notamment pour ceux liés à un agent infectieux. Les SIRs étaient respectivement, chez les receveurs de greffe et chez les personnes infectées par le VIH, 8 et 77 pour le LNH, 208 et 3640 pour le SK, 2 et 6 pour le cancer du col de l’utérus, 2 et 5 pour le cancer du foie, 5 et 29 pour le cancer du canal anal, 4 et 11 pour la maladie de Hodgkin, et 2 et 3 pour le cancer du poumon. La similitude du risque accru de cancer dans les deux populations a permis de suggérer une association entre l’immunodéficience et l’augmentation du risque de cancer dans le contexte de l’infection par le VIH.
Relation entre risque de cancer et taux de lymphocytes CD4
Le rôle de l’immunodépression dans le risque de survenue de cancer chez les personnes infectées par le VIH a été investigué en étudiant la relation entre le risque de cancer et le niveau du taux de CD4. Selon les études, plusieurs types de mesures du taux de CD4 ont été considérés pour étudier cette relation : le taux de CD4 à la survenue du SIDA ou à l’inclusion, le temps passé avec un taux de CD4 inférieur à un niveau donné (200, 300, 350 et 500/mm3) et le taux de CD4 à la survenue du cancer (taux de CD4 récent) ou à un temps donné avant la survenue de cancer. Le taux de CD4 a été inclus dans les modèles de deux façons, soit en continu soit en classes. Bien que l’inclusion du taux de CD4 en classes induise une perte de puissance pour le test d’association avec le risque de cancer, la modélisation en classe du taux de CD4 est plus facilement interprétable en pratique clinique. Cette méthode ne nécessite pas d’hypothèses sur la forme de la relation entre le taux de CD4 et le risque de cancer et permet d’identifier une association, si elle existe, même si elle n’est pas linéaire. En revanche les résultats dépendent du choix des limites des catégories et du nombre de patients dans chaque catégorie. Beaucoup d’études publiées ont des limites méthodologiques dont les trois principales étant :
– Un choix inapproprié du moment de la mesure du taux de CD4 tel que la mesure à l’inclusion ou à la survenue du SIDA pour les cancers non classant SIDA. Dans ces deux cas, le délai entre la mesure du taux de CD4 et le diagnostic du cancer est variable d’un individu à l’autre et ne permet pas de caractériser la relation entre le risque de cancer et l’immunodépression.
– Le petit nombre de cas pouvant entrainer un manque de puissance statistique pour mettre en évidence une association même si elle existe.
– Souvent en raison d’un manque de puissance, certaines études ont évalué l’association avec le taux de CD4 en étudiant globalement les cancers classant et non classant SIDA, alors que la relation avec l’immunodépression peut être différente d’un cancer à l’autre.
Les études sur l’association du taux de CD4 et le risque des cancers étudiés sont présentées dans le tableau 8. Au total, une association linéaire inverse et significative a été établie entre le risque de SK et de LNH et le taux de CD4 au moment de la survenue du cancer. Ainsi, un risque de cancer plus élevé est associé à un taux de CD4 plus bas (Frisch et al. 2000; International Collaboration on HIV and Cancer 2000; Besson et al. 2001; Mbulaiteye et al. 2003; Biggar et al. 2007; Guiguet et al. 2009; Silverberg et al. 2011). En effet, l’association de ces deux cancers avec l’immunodépression était la raison pour laquelle ils étaient ajoutés à la liste des pathologies définissant le SIDA. Pour le cancer du col de l’utérus, la plupart des études avec un petit nombre de cas (n= entre 22 et 33), ont montré un risque élevé pour les catégories de taux de CD4 les plus bas, mais n’ont pas pu mettre en évidence une tendance linéaire à travers les catégories (Frisch et al. 2000; Mbulaiteye et al. 2003; Biggar et al. 2007). En revanche, les études avec un nombre de cas plus important, ont montré qu’un taux de CD4 plus élevé a été associé à un risque plus faible de cancer (Chaturvedi et al. 2009; Guiguet et al. 2009).
Pour les cancers non classant SIDA, les études évaluant l’association entre les différentes mesures du taux de CD4 et le risque par type de cancer sont peu nombreuses (Guiguet et al. 2009; Reekie et al. 2010; Bohlius et al. 2011; Kesselring et al. 2011; Silverberg et al. 2011; Bertisch et al. 2013). Dans une étude dans la FHDH, Guiguet et al. ont modélisé la relation entre le risque de cancer et l’immunodépression par type de cancer pour les trois cancers classant SIDA et les quatre cancers non classant SIDA les plus fréquents (poumon, maladie de Hodgkin, foie et canal anal) (Guiguet et al. 2009). Plusieurs mesures du taux de CD4 ont été testées pour chaque cancer : taux de CD4 récent en classes, taux de CD4 en continue avec une transformation en log2, le temps passé avec un taux de CD4 au-dessous de 200, 350, ou 500/mm3. Les modèles retenus pour la maladie de Hodgkin et les cancers du poumon et du foie étaient ceux incluant le taux de CD4 récent modélisé en classes. Ainsi, un taux de CD4 plus élevé a été associé à un risque plus faible de cancer du poumon et du foie. Pour la maladie de Hodgkin, le risque était élevé pour un taux de CD4 compris entre 50 et 200/mm3 et plus faible pour un taux de CD4 <50 ou >200/mm3. En revanche, pour le cancer du canal anal, le risque était associé au temps passée avec un taux de CD4 <200/mm3 (Guiguet et al. 2009). La relation entre la charge virale et le risque de cancer a été aussi testé. Alors que la charge virale récente était un facteur de risque de SK et de LNH, elle n’était pas associée au risque de cancer du col de l’utérus, poumon, foie, et de la maladie de Hodgkin. Le risque de cancer du canal anal était associé au temps passé avec une charge virale >100 000 copies/mL. Pour le cancer du poumon, le résultat de Guiguet et al. sur l’association du risque avec le taux de CD4 a été confirmé par une autre étude (Reekie et al. 2010). Le risque particulièrement élevé de la maladie de Hodgkin chez les personnes ayant une immunodéficience modérée a été déjà montré (Biggar et al. 2006). Par ailleurs, une étude de la collaboration COHERE a montré qu’une baisse du taux de CD4 précédait le diagnostic de la maladie de Hodgkin (Bohlius et al. 2011). Alors que cette baisse était de -99 cellules/an (IC à 95% : -196 à -1,5 cellules) chez les 18 cas inclus, les témoins avaient une augmentation du taux de CD4 de 59 cellules/an (IC à 95% : 26 à 93 cellules). Pour le cancer du canal anal, Bertish et al. ont montré une association plus forte du risque avec le taux de CD4 mesuré 6-7 ans avant le diagnostic du cancer qu’avec le taux de CD4 mesuré dans les 12 mois précédant le cancer (Bertisch et al. 2013). Ce résultat confirme l’importance de l’effet de la durée de l’immunodépression sur le risque de cancer du canal anal (Guiguet et al. 2009; Kesselring et al. 2011).