RELATION ENTRE LA STABILITE ET LES PROPRIETES RHEOLOGIQUES DES EMULSIONS
La rhéologie a été introduite en 1920 par Eugène Bingham (1878-1945) et correspond à la science de l’écoulement et de la déformation de la matière sous l’action de contraintes. Elle est particulièrement efficace pour étudier les comportements mécaniques de fluides complexes, allant du liquide parfait (fluide newtonien) aux gels même rigides, soumis à une contrainte de cisaillement.
C’est pourquoi la rhéologie est une méthode analytique quasi incontournable lors du développement de formules cosmétiques. Pour l’optimisation des émulsions, elle joue un rôle important lors des procédés de formulation pour la rationalisation des opérations de mélange et de dispersion [48]. Plus largement, le champ page 33 Davina Desplan d’utilisation de la rhéologie permet également, d’une part, l’étude des comportements lors du prélèvement et de l’étalement sur la peau d’un produit cosmétique et, d’autre part,
le suivi des propriétés mécaniques au cours de son vieillissement. Dans ce travail de thèse, plusieurs techniques rhéologiques ont été utilisées afin d’interpréter et d’identifier le domaine de stabilité en fonction du vieillissement, de la formulation et de la composition de produits cosmétiques basiques, notamment les émulsions simples diluées H/E.
Caractérisation viscoélastique des émulsions
Soumis à une sollicitation mécanique de cisaillement, un matériau de type émulsion ou gel subit une déformation issue des interactions multiples entre les phases dispersées et la phase continue. Le rapport entre la déformation, , et la contrainte, , permet de remonter à l’information d’écoulement apparent de la phase continue et d’élasticité apparente des gouttelettes interagissant entre elles et avec le fluide continu.
Cet écoulement est en effet dû aux mouvements relatifs de ses constituants. Si l’on considère que cet écoulement est laminaire à l’échelle d’investigation, il n’y a alors pas de turbulences introduisant des effets non linéaires. Notons x la position d’un élément de volume sur l’axe longitudinal, z sa hauteur. Pour une surface cisaillée S donnée en z = 0, la vitesse de déplacement des éléments de volume entrainés varient suivant l’axe des z en fonction du gradient de cisaillement.
Ce terme également appelé taux de cisaillement, est noté 𝛾, correspond à la variation de la déformation au cours du temps et est exprimé en s–1. Le rapport des deux grandeurs physiques : (i) (ii) la contrainte, 𝜎, exprimée en Pa, est définie comme la force de cisaillement F par unité de surface S imposée au fluide : � � = 𝐹/𝑆 la déformation, 𝛾, est quant à elle sans dimension et se définie comme la variation du déplacement, lorsqu’on se déplace d’une couche à l’autre :
� � = 𝑑𝑥 𝑑𝑧 ⁄ � �𝑣𝑒𝑐 𝛾=𝜕𝛾 page 34 � �𝑡 Davina Desplan Si les émulsions cosmétiques ont, généralement, un comportement à la fois élastique (solide) et visqueux (fluide), c’est en raison de leur structure complexe. Car au repos, ou encore sous l’effet d’une déformation, les molécules qui les constituent sont amenées à interagir les unes avec les autres et la contrainte résultante dépend de l’historique de ces interactions. La Figure I.2-1, présente le comportement d’un tel matériau soumis à une contrainte tangentielle9 dynamique.
Figure I.2-1. Représentations d’un matériau au repos et soumis à des mouvements de cisaillement. Lorsque l’on soumet un fluide complexe à une contrainte dynamique tangentielle, il en résulte l’apparition de forces de rappel qui vont aller à l’encontre de l’écoulement. Ainsi, le lien entre la contrainte et la déformation est représentatif de l’inertie du matériau. Dans une émulsion, deux effets peuvent être alors notés : le déplacement du liquide porteur et la déformation des éléments dispersés sous l’action de la contrainte.
Le liquide porteur correspond à la phase continue dans laquelle sont dispersées les gouttelettes ainsi que des macromolécules qui peuvent être réticulées ou enchevêtrées. En conséquence, les contraintes imposées par une sollicitation mécanique peuvent entrainer la rigidification du milieu. En effet, les forces entropiques perpendiculaires au cisaillement tendent à restaurer la forme initiale des macromolécules et des gouttelettes.
Dans le cas de petites déformations 9Une contrainte tangentielle est une contrainte appliquée de manière parallèle par rapport au matériau étudié. page 35 Davina Desplan et de petites contraintes, les effets liés à la rigidité et à la viscosité se superposent et dépendent de l’ensemble des interactions inter et intramoléculaires. Une émulsion possède un comportement élastique. En mécanique, le lien entre la contrainte et la déformation peut être en partie décrit par la loi de Hooke.
Cette loi (indiquée ci-dessous) fait intervenir le module de cisaillement, 𝐺, qui rend compte de la rigidité apparente du matériau. � � =𝐺 𝛾 Une émulsion étant également un fluide visqueux, le lien entre la contrainte et la déformation fait intervenir la viscosité apparente, 𝜂𝑎𝑝𝑝, et est décrit par la loi de Newton (voir ci-dessous). Cette grandeur est exprimée en Pa.s, et correspond à la résistance du matériau à l’écoulement.
La contrainte peut alors s’écrire partiellement en fonction du taux de déformation comme suit : � � =𝜂𝑎𝑝𝑝 𝛾 Par superposition des caractères visqueux et élastiques des émulsions, l’expression est donnée localement par l’équation ci-dessous : � �(𝑡) = 𝐺 𝛾(𝑡)+𝜂𝑎𝑝𝑝𝛾(𝑡) La modélisation des liens temporels entre la contrainte et la déformation du matériau n’est pas aisée ; aussi il est courant de recourir à des modèles mécaniques simplifiés pour approcher au mieux la réponse du matériau.
63Un solide parfait est représenté par un ressort de coefficient de raideur donné par 𝐺, tandis qu’un fluide purement visqueux est représenté par un amortisseur (piston) de viscosité 𝜂. Plusieurs modèles piston-ressort existent dans la littérature. La modélisation d’un élément de volume viscoélastique peut être représentée par l’association d’un ressort et d’un piston mis en série.
Cela étant dit, ce modèle simpliste ne rend pas compte des arrangements structuraux qui peuvent s’établir au sein des fluides complexes. En effet, sous l’action d’une sollicitation mécanique, les contraintes s’accumulent dans le matériau et se répartissent sur ses différents constituants. Par effet viscoélastique, ces contraintes sont relâchées au fil du