Relargages massifs de clathrates de méthane pendant le dernier stade glaciaire
Le méthane (CH4) est un gaz à effet de serre dont l’effet radiatif est 23 fois supérieur à celui du CO2 (Houghton et al., 2001). L’analyse des gaz emprisonnés dans les carottes de glace aux pôles, indique que les changements de concentration en méthane atmosphérique covarient avec les températures aux hautes latitudes lors des événements de Dansgaard-Oeschger (Chappellaz et al., 1993). L’effet radiatif associé aux variations de concentrations atmosphériques de méthane entre un stadiaire (froid) et un interstadiaire (chaud) correspond à un changement de température global compris entre 1 et 3°C (Raynaud et al., 1998). Les augmentations de concentration en méthane atmosphérique lors du passage d’un stadiaire à un interstadiaire ont un retard compris entre 0 et 30 ans sur les températures (Brook et al., 1999 ; Brook et al., 2000; Severinghaus and Brook, 1999 ). Ce retard implique que les concentrations en méthane, répondent à un forçage de la température, et n’agissent qu’en amplifiant des variations de température produites par d’autres mécanismes.
La principale source de méthane atmosphérique provient des terres humides (marécages) des basses latitudes (Dällenbach et al., 2000), et des changements majeurs de source de méthane ne sont pas suspectés au cours du dernier cycle climatique. Le scénario le plus couramment accepté explique que des températures relativement chaudes, correspondaient à une intensification du cycle hydrologique aux basses latitudes, et donc à une plus grande extension des marécages pendant les interstadiaires (Dällenbach et al., 2000). Cependant, ce schéma classique n’a pas fait l’objet de modélisations convaincantes, et celui-ci a été récemment remis en question. Par exemple, (de NobletDucoudré et al., 2002) ont montré en utilisant un modèle hydrologique, que les périodes chaudes et humides correspondent à une régression des zones humides aux basses latitudes, et qu’inversement, les périodes froides et sèches sont marquées par une augmentation de la surface des terres humides.
Ces auteurs interprètent cette relation surprenante par une baisse des niveaux lacustres pendant les périodes sèches, et qui correspond alors à une augmentation de la surface des marécages.
La relation de causalité entre les températures et les concentrations de méthane atmosphérique n’est donc pas encore clairement élucidée. En outre, cette interprétation repose exclusivement sur l’hypothèse que les sources principales de méthane atmosphériques proviennent des zones humides continentales.
Cependant, une source de méthane récemment découverte proviendrait de déstabilisations des gaz-hydrates, ou clathrates. Les gaz-hydrates sont des molécules de gaz (principalement du CH4, mais également du CO2, CH3) piégées dans une structure cyclique de molécules d’eau (Kvenvolden, 1995) (figure 5.1). Ces gaz-hydrates sont stables à certaines conditions de pression-température sur les marges continentales (Dickens and Quinby-Hunt, 1994 ; Dickens and Quinby-Hunt, 1997; Paull et al., 1991 ; Zatsepina and Buffett, 1998). Ils ont été découverts sur la plupart des marges continentales (figure 5.2). Une baisse de pression et/ou une augmentation de température peut permettre de rompre la structure cyclique et de dégazer abruptement de grandes quantités de méthane.
En raison du pouvoir radiatif du méthane, de tels relargages ont pu avoir un effet climatique important (Kvenvolden, 1988). Ainsi la rapidité de la déglaciation et les changements climatiques rapides du stade marin isotopique 3 sont expliqués par certains auteurs comme provenant de déstabilisations massives de clathrates de méthane(Kennett et al., 2000; Nisbet, 1992; Paull et al., 1991). Ces spéculations n’ont cependant pas encore été étayées par des observations convaincantes.
Pendant la déglaciation, Nisbet propose que la remontée du niveau marin ainsi que la fonte des calottes polaires, réduit la pression et déstabilise les gaz-hydrates (Nisbet, 1992). En confirmation de cette hypothèse, Smith a pu observer que les marges Groenlandaises ont dégazés des clathrates lors de la terminaison I (Smith et al., 2001). Cependant, les événements reposrtés par ces auteurs sont situées aux extrémités des carottes, de sorte que le modèle d’âge ne peut être contraint. Une seconde hypothèse indique qu’une baisse du niveau marin liée à l’englacement des pôles, entrainerait une déstabilisation de gaz-hydrates qui agiraient comme facteur limitant des basses températures dans les stades glaciaires (Paull et al., 1991). Cette théorie a été adaptée aux changements climatiques rapides de type Dansgaard-Oeschger par (Kennett et al., 2000). Ces auteurs suggèrent que les changements de concentration en méthane atmosphérique de type D.-O. sont liés à des relargages de clathrates. Ces auteurs observent dans les sédiments du bassin de Santa Barbara de « larges » allègements de la composition en δ 13C des tests de foraminifères benthiques et exceptionnellement de foraminifères planctoniques pendant les D.-O., qu’ils attribuent à des relargages de méthane lors des phases de réchauffement (figure 5.3). Des observations actuelles tendent à modérer leur argument qui est basé sur différentes espèces, et pouvant donc être fortement sujettes à des effets vitaux (Stott et al., 2002).
Des évidences de relargages massifs affectant toute la colonne d’eau qui auraient pu ainsi dégazer de grandes quantités de méthane n’ont donc pas encore été mises en évidence.
Méthode
Isotopes stables
Le test des foraminifères planctoniques est composé de carbonate de calcium (CaCO3). La composition en isotopes de l’oxygène et du carbone de ce test permet de retracer les conditions environnementales lors de leur calcification. La composition isotopique d’un échantillon est exprimée par rapport à un standard international, pour les carbonates par exemple, le Vienna Pee Dee Belemnite.
Le δ
13C de l’eau de mer est compris entre – 2 et + 2 ‰ (Berger and Vincent, 1986). Le δ 13C du CO2 atmosphérique est d’environ – 7 ‰ (Keeling, 1961). La décomposition de la matière organique par l’action biogénique ou thermogénique permet seule d’obtenir des valeurs de δ 13C inférieures à – 10 ‰.
En particulier, la composition du δ 13C des gaz hydrates de méthane est estimée à environ – 65 ‰ (Kvenvolden, 1995). Les isotopes du carbone des foraminifères s’ils enregistrent des valeurs extrêmement appauvries, peuvent donc être des indicateurs de relargages de gaz hydrates de méthane.
Résumé de l’article
Les changements de concentration atmosphériques en méthane sont enregistrés dans les carottes de glace pôlaires. Ces changements varient en phase avec les variations climatiques rapides du dernier stade glaciaire. La source principale de méthane atmosphérique provient des marécages des basses latitudes. Néanmoins, les déstabilisations de gaz hydrates peuvent aussi affecter le cycle global du carbone par des relargages catastrophiques de méthane. Nous décrivons dans ce travail, un enregistrement à très haute résolution des changements des isotopes stables du carbone dans le Golfe de Papouasie. Cet enregistrement montre deux excursions très négatives (atteignant – 9‰) à ∼39 ka BP et ∼55 ka BP qui affectent toute la colonne d’eau. La seule cause possible pour de telles appauvrissements du δ 13C est le relargage massif de gaz hydrates de méthane de la marge continentale. Ces largesquantités de méthane ont été dégazées par dissociation thermique des gaz hydrates pendant le bas niveau du stade marin isotopique 3 dans le Golfe de Papouasie. Si de tels relargages de méthane sont communs des marges continentales de basses latitudes pendant les phases chaudes des bas niveaux marins, les gaz hydrates de méthane ont été une composante majeur du cycle global du méthane.