La régulation des marchés des télécommunications est rendue nécessaire par le fait que livrés à euxmêmes, ces marchés semblent incapables, au moins dans une première phase du processus de leur libéralisation, d‟atteindre un équilibre concurrentiel au sens néoclassique du terme.
En effet, de fortes barrières à l‟entrée et à la sortie de ces marchés facilitent l‟émergence d‟un ou de plusieurs opérateurs dominants qui peuvent fausser le jeu concurrentiel en adoptant des comportements de quasi- monopole.
Ces barrières à l‟entrée puisent leurs sources aussi bien dans les caractéristiques de la demande adressée aux marchés des télécommunications que dans celles de l‟offre. Du coté de la demande, la présence de fortes externalités de consommation sur les marchés de détail implique que les nouveaux entrants, surtout en cas de différenciation de réseaux, sont d‟emblée astreints à atteindre un niveau d‟investissement élevé.
Du coté de l‟offre, l‟existence de ressources rares limite de facto le nombre de concurrents et la détention des ressources essentielles par un petit nombre d‟opérateurs crée une situation de dépendance économique des entrants potentiels.
Ainsi l‟appartenance des infrastructures à un nombre limité d‟opérateurs leur confère une position dominante dont ils peuvent abuser notamment en surfacturant les prix d‟usage de leurs réseaux.
Cette position dominante sur les marchés en amont peut se répercuter également sur l‟ensemble des chaînes de valeur qui y sont rattachées et fausser par conséquent le jeu concurrentiel des marchés en aval correspondants.
Au vu de ce que la dominance des marchés peut engendrer en termes de coûts sociaux, une lutte a été engagée par les différents pays pour y faire face.
Ainsi, depuis plus d‟un siècle, les régulateurs des différents pays, essaient d‟opérationnaliser les concepts économiques liés à la dominance des marchés afin de proposer des remèdes adéquats. Les pratiques qui y sont liées sont contrôlées. On tente d‟en endiguer les coûts en mettant sur pied un système juridico – économique qui empêche les comportements prédateurs des différents opérateurs sur le marché en tentant de restituer artificiellement les conditions néoclassiques de fonctionnement des marchés.
Bien qu‟étant accentués dans le domaine des télécommunications du fait des singularités de ce secteur que nous avons évoquées, les problèmes posés par la lutte contre la dominance ne sont pas spécifiques à ce marché et sont traités au sein d‟un cadre juridique global, même si la majorité des pays ont également prévu des cadres particuliers pour réguler ce secteur.
C‟est au Etats-Unis que l‟appareillage juridique concernant la lutte contre les distorsions des marchés semble le plus élaboré. En 1890, est votée la loi Sherman qui interdit le monopole ainsi que toute tentative de monopolisation. Le « Sherman Act » est complété en 1914 par le « Clayton Act » dont les mesures sont renforcées par la création d‟une commission fédérale « la Federal Trade Commission » chargée de veiller à la protection effective de la concurrence.
Les dispositions des textes historiques du « Sherman Act », à la base de polémiques diverses, sont en fait très simples dans leur nature. La première section concerne les collusions et la seconde la monopolisation ou les tentatives de monopolisation.
En Europe, la concurrence a historiquement été protégée par le traité de Rome, qui stipule dans son article 85 [art.81 TCE] que « toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. » sont prohibées.
Le traité de Rome n‟est cependant pas, loin s‟en faut, aussi restrictif que le « Sherman Act » dans ses dispositions. En effet, l‟article 86 [art. 82 TCE] de ce traité assouplit l‟application de l‟article 85[art. 81TCE] en stipulant que sous certaines conditions, ces pratiques anticoncurrentielles peuvent être permises.
En France, ce sont les articles 59 et 59 ter de l‟ordonnance du 30 juin 1945 qui constituent les textes fondateurs de la protection de la concurrence.
L‟article 59 bis prohibe « les actions concertées sous quelque forme que ce soit ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’entraver la libre concurrence et faisant obstacle à l’abaissement des prix de revient ou de vente, ou en favorisant une hausse artificielle des prix ».
Ce même article prohibe également « les activités d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises occupant sur le marché intérieur une position dominante caractérisée par une situation de monopole, ou par une concentration manifeste de la puissance économique, lorsque ces activités ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’entraver le fonctionnement normal du marché ».
En Tunisie, le traitement juridique des dysfonctionnements des mécanismes du marché est assez récent. En effet, ce n‟est qu‟en 91 que la législation a adopté un point de vue libéral consacrant le marché comme étant le régulateur des prix.
Avec l‟adoption de ce principe, le législateur (loi n° 64-91 du 29 Juillet 1991) a adopté une série de mesures visant à garantir le bon fonctionnement des mécanismes de marché en situation de concurrence et donc à empêcher certaines pratiques pouvant l‟entraver. Une commission de la concurrence disposant d‟un pouvoir décisionnel a donc été créée dont le rôle est justement d‟éviter les pratiques anticoncurrentielles.
Si l‟on se réfère cependant à la jurisprudence des différents pays en matière de régulation de la concurrence, on peut penser que l‟applicabilité des règles juridiques concernant l‟abus de position dominante pose un certain nombre de problèmes notamment en ce qui concerne la délimitation des marchés pertinents et d‟appréciation du pouvoir de dominance d‟un opérateur sur le marché.
En effet, à partir du moment où l‟on ne peut juger de la dominance d‟une entreprise que par référence à un certain marché, se pose alors le problème de sa délimitation. En particulier, il s‟agit de définir les critères à appliquer pour en définir les frontières. Sur quelles bases décider de l‟inclusion ou de l‟exclusion des produits au sein d‟un même marché, sur quel espace géographique ou à quel horizon temporel faut-il limiter l‟analyse, sont autant de questions auxquelles les réponses données peuvent substantiellement modifier la structure des marchés impliqués et doivent à ce titre être rigoureusement traitées.
Cournot, le premier, s‟est intéressé au XIXème siècle aux formes imparfaites de la concurrence, monopoles et oligopoles. Il a proposé un modèle, dit d‟équilibre du monopoleur, dans lequel un producteur peut choisir la quantité de biens à émettre sur le marché et influe de ce fait sur son propre profit ainsi que sur celui de ses concurrents. Il a ainsi démontré l‟existence d‟une rente due à l‟absence d‟une concurrence sur le marché. Dix années plus tard, Mill [1848] introduit le concept de monopole naturel qu‟il associe aux activités économiques dont la technologie particulière implique une production à grande échelle .
En 1920, Pigou présente une autre variante de l‟équilibre du monopoleur, le monopole discriminant. L‟idée est que la demande n‟est pas homogène. Elle est constituée de consommateurs ayant des fonctions de préférence différentes. Le monopoleur peut alors discriminer entre les prix et tarifer en fonction de ce que serait prêt à payer chaque consommateur. Ce qui implique par conséquent que les différences des prix pratiqués ne reflètent pas les différences de coûts encourus.
La discrimination peut alors être à l‟origine de pratiques anticoncurrentielles telles que le prélèvement des profits sur des segments de marché sur lesquels une entreprise possède une position dominante qui serviraient à financer une stratégie de dumping sur un segment de marché concurrentiel.
En 1933, Chamberlin aux USA, et Robinson en Angleterre, soutiennent l‟idée d‟une discrimination appliquée non pas aux prix de Pigou, mais aux produits vendus : les produits offerts par les entreprises sont sciemment différenciés dans le but d‟acquérir des positions de dominance leur permettant de dégager des rentes de monopole. Les différenciations opérées pouvant être de diverse nature et de différente ampleur, se pose alors le problème de définition des produits et des marchés qui y correspondent. Ce problème de définition du marché engendrant celui de l‟appréciation de la dominance. En effet, dans le cas d‟un produit homogène, l‟offre, la demande et par conséquent la définition du marché qui en résulte, sont faciles à définir : la demande globale adressée à un marché est une agrégation des demandes individuelles, elles-mêmes issues de programmes de maximisation des utilités sous contrainte budgétaire. L‟offre sur un marché est égale à la somme des productions des différentes entreprises produisant le même bien – productions déterminées par les fonctions de maximisation du profit individuelles des différentes entreprises-. Le marché est par conséquent constitué par la somme des quantités de produits échangés et la dominance des entreprises peut être appréciée par référence à ce marché.
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