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Démarche méthodologique envisagée
précision du contexte dans lequel ce thème a été choisi permettrait de comprendre les raisons de choix de la démarche adoptée dans ce travail. En effet, dans le cadre de la réorientation de son intervention, la coopération suisse au Bénin a opté pour la connaissance plus ou moins approfondie du milieu dans lequel elle veut intervenir, pour avoir constaté l’échec de l’appui institutionnel. C’est donc dans cette perspective qu’elle a commandité en 2001 une recherche dans les villages de Tamarou, Sonoumon, Marégourou et en 2003, dans les villages de Ouénou, Bori et les campements peuls de Bori et de Marégourou. Ces études ont été effectuées sous la direction scientifique de M. Bako – Arifari et la démarche Ecris9 avait été utilisée pour la production des données. Comme je l’ai dit, nous avons emprunté un canevas de recherche dénommé enquête rapide d’identification de conflits et des groupes stratégiques (ECRIS). C’est un canevas de travail qui repose pour beaucoup sur une phase collective préliminaire et inclut une phase de « terrain » anthropologique classique, laquelle reste indispensable et réclame une investigation individuelle relativement intensive et donc relativement prolongée (Bierschenk & Olivier de Sardan, 1998). C’est au cours de ces recherches que nous avons identifié à Ouénou des pistes de recherche qui ont suscité en moi des interrogations auxquelles j’ai voulu apporter des éléments de réponses. Au cours de cette recherche, en effet, nous avons constaté une forte tendance à la scissiparité dans les organisations villageoises qu’elles soient féminines ou mixtes, et cette scission se faisait suivant l’appartenance à un groupe de personnes soi disant autochtones ou à un autre groupe soi disant étrangers résidant dans le village. A Tamarou, où se sont déroulées les premières études, la scission avait touché l’orchestre des jeunes du village, qui s’est scindé en deux avec d’un côté les « citadins » et de l’autre les « villageois » ou les « étrangers » selon les termes de nos interlocuteurs à Tamarou. Cette scission menaçait aussi le groupement villageois des producteurs de coton (GV), mais les négociations entre les autorités locales du village et les uns et les autres du village ont permis de calmer les jeunes qui menaçaient de scinder le GV en deux. A Ouénou, cette tendance à la scission touche aussi bien les associations mixte (GV) que féminine (GF) avec d’un côté des producteurs ou des femmes qui sont considérés comme des autochtones et d’un autre côté des producteurs et des femmes déplacés avec la politique de regroupement des villages de 1961. A Bori aussi, le même phénomène s’observe autour du GV. C’est cette constance dans la tendance à la dissidence, et le profil des acteurs de ce phénomène qui m’ont amenée à l’élaboration d’hypothèses exploratoire mettant en relation le phénomène de regroupement et la démultiplication des associations villageoises.
Nous avions choisi ce canevas dans le cadre de cette étude commanditée par la coopération suisse étant donné qu’on était inscrit dans une perspective comparative (on devait comparer les données recueillies par site pour dégager les spécificités et y baser notre intervention) et dans celle d’une recherche anthropologique classique pouvant permettre une connaissance plus approfondie de ces milieux. Il faut préciser que les recherches sur ce thème ne se sont pas effectuées à partir de ce canevas, mais qu’il a tout simplement permis d’identifier des pistes sur la politique de regroupement, la gestion des ressources naturelles et la démultiplication des associations villageoises lors de la phase collective.
Etant donné que la principale raison qui a poussé dans la plupart des cas à la scission des associations est l’exclusion et que pour comprendre le phénomène de l’exclusion, il faille remonter aux représentations et aux logiques des acteurs, nous avons donc choisi une démarche socio-anthropologique. Elle permet de décrypter les logiques des acteurs, leurs représentations et de comprendre leurs pratiques dans un environnement donné.
La démarche socio–anthropologique est basée sur l’enquête de terrain. Elle se veut au plus près des situations naturelles des sujets enquêtés, et me paraît plus apte pour aborder les questions d’exclusion collective qui sont extrêmement sensibles. Cette démarche est faite d’observation de situations concrètes et de la vie quotidienne des acteurs, de conversation et de toutes formes d’échange dans une situation d’interaction prolongée avec les populations dont je tente de cerner les dynamiques. La proximité avec les enquêtés et la recherche quasi constante de situations réelles me renseigneront certainement mieux que tout autre procédés sur les comportements et perceptions usuelles des acteurs relatifs à mon objet ainsi que sur les significations locales qu’ils donnent à leurs agissements et aux différents rapports qu’ils entretiennent entre eux.
L’enquête socio-anthropologique en tant qu’approche méthodologique combine quatre grandes formes d’instruments de production de données : l’observation participante qui passe par l’insertion prolongée de l’enquêteur dans le milieu de vie des enquêtés, l’entretien où l’enquêteur a la possibilité de susciter des « interactions discursives », les procédés de recension et le recueil de sources écrites10. Ma démarche sera faite d’un perpétuel aller-retour entre la production des données et mes hypothèses théoriques.
La spécificité de mon approche réside donc dans le fait qu’elle « essaie de combiner le point de vue de l’acteur et l’analyse des contraintes et des ressources collectives et que sa perspective repose sur l’étude empirique multidimensionnelle des groupes sociaux contemporains et de leur interaction, dans une perspective diachronique et combinant l’analyse des pratiques et celle des représentations ». (Olivier de Sardan, 1995).
Mes recherches sur le terrain se sont déroulées en deux phases. Une première phase de tâtonnement où j’étais partie avec des hypothèses toutes faites qu’il s’agissait simplement de vérifier. Elles étaient centrées exclusivement sur l’exclusion. Mais sur le terrain, je me suis rendu compte de l’incapacité de ces hypothèses à m’offrir un champ de recherche ouvert. C’est alors que de peur de laisser de côté des dynamiques plus intéressantes que celle dans laquelle me confinaient mes hypothèses, je les ai abandonnées pour m’inscrire dans la seconde phase de ma recherche. Cette phase qui est véritablement la phase de production de données pertinentes, est basée sur un éternel va et vient entre le terrain et les données théoriques. L’objectif à chaque fois était de recentrer mon travail sur les nouvelles pistes issues des observations et entretiens. Cette perspective basée sur le terrain est connue sous le nom de « grounded theory » ou la théorie du terrain. Cette perspective me semble proche d’un modèle théorique basé sur la notion de « configuration » (Elias, 1997). Elle considère la réalité sociale comme une chaîne d’interdépendances des individus qui font que ces individus forment une configuration. Cette théorie a aussi guidé en grande partie la démarche sur le terrain en ce sens qu’elle m’a amenée à prendre en compte l’interdépendance ou la relation structurelle qui existe entre les données, les interlocuteurs et les objets sur le terrain.
Dans la conduite de mon travail sur le terrain, je me suis entretenu avec des interlocuteurs autochtones, des déplacés, des acteurs de l’administration ayant pris part de près ou de loin au regroupement et aussi des gens dont les noms ont été mentionnés lors des entretiens comme des acteurs étant impliqués dans le regroupement ou la crise du groupement villageois (GV). Nous avons fait un va et vient dans notre analyse entre le modèle d’analyse des interdépendances, et l’analyse stratégique.
Comme difficulté ne relevant pas forcément de mon approche méthodologique, il serait important de mentionner que tout au long de ma recherche j’ai éprouvé la peur de raviver ou rallumer les cendres d’une situation conflictuelle que les populations tentent d’oublier même si la situation actuelle qu’elles vivent en est la preuve vivante. A des moments donnés, j’ai écouté certains de mes interlocuteurs se remémorer et en parler comme si le temps n’avait pas eu raison de leurs souvenirs et de leurs sentiments. Comment être à l’aise en faisant parler les gens d’un fait qu’ils essayent de ne pas mentionner dans leurs relations parce que pour eux la cohésion sociale, la paix sociale en dépendent ? Telle fut la situation dans laquelle je me suis trouvée tout au long de cette recherche.
La seconde difficulté est liée au piège du populisme misérabiliste (Frésia, 2001), dans lequel on se trouve en permanence quand on travaille sur des populations déplacées et qu’on les écoute raconter leur histoire. A certains moments, j’ai été tentée d’éprouver de la compassion pour les déplacés. A d’autres moments, j’ai été tentée de chercher des excuses aux autochtones qui disent que les déplacés se sont fait des préjugés et interprètent leurs propos et leurs comportements à partir de ces préjugés. L’obligation d’objectivation que le chercheur se doit de s’imposer n’a pas toujours été aisée à observer sur ce terrain où mes sentiments et mes émotions ont été éprouvés par la charge émotionnelle des récits.
PRESENTATION DU CADRE DE L’ETUDE
CADRE GEOGRAPHIQUE DE L’ETUDE
Le village de Ouénou est un arrondissement de la commune de N’Dali et est situé sur la route Djougou – Nikki. Il est situé sur un axe routier perpendiculaire à la RNIE 2 orienté vers l’ouest. Il est limité au nord par le village de Tamarou, au sud-ouest par celui de Bounyérou, au nord-est par la commune de N’dali et à l’ouest par la rivière Doon’dou. Ouénou est le chef lieu d’un arrondissement irrigué par sept (7) cours d’eau qui sont :
– Fô sari sur la route de Tamarou avant le premier campement peul ;
– Basi situé sur le même tronçon que Fô sari ;
– Bona Koha sur la route de Bounyérou ;
– Maré Buya
– Kotobi au nord-est non loin du village ;
– Wonka n’darou situé au sud (le plus grand des cours d’eau qui irriguent le village) ;
– Doon’dou
Le sol de Ouénou est sablonneux (appelé poupourarou) par endroit, caillouteux (sôsôrou) à d’autres endroits, et enfin latéritique (danka) à d’autres endroits encore. On note une disponibilité en terre et une impossibilité de marchandisation de cette terre. Mais ce principe de non – marchandisation s’estompe avec le foncier bâti où la toiture en tôle constitue un élément « négociateur » de ce principe. En effet, un migrant qui a coiffé sa maison de tôle et non de paille peut se voir autorisé de la vendre dès qu’il voudra quitter le village afin de récupérer ses sous. Et par là, il vend la terre sur laquelle la maison est bâtie.
Parlant des exploitations agricoles à Ouénou, il faut noter qu’il existe deux grandes zones de culture dues au fait que les « déplacés » ont gardé leurs anciens champs et continuent d’y travailler, et que les autochtones (non déplacés) sont aussi restés avec leurs anciennes exploitations.
On est donc en présence de deux tableaux : un premier tableau dans lequel des producteurs ont été déplacés et de ce fait éloignés de leurs exploitations, et qui se trouvent quelque peu contraints de parcourir de grandes distances avant d’arriver dans leurs exploitations (puisque ces exploitations se situaient à deux ou trois kilomètres de leurs anciens villages eux-mêmes situés à deux ou cinq kilomètres de leur nouveau village) ; et un deuxième tableau dans lequel des gens restés sur place essayeront d’implanter des marchés de coton11 non loin de leurs exploitations, donc loin de celles des déplacés et exiger que ces derniers y vendent leur coton au même titre qu’eux. On verra plus loin comment la distance qui sépare les exploitations des déplacés de ces marchés a constitué un facteur de démultiplication des marchés avec tout ce que cela comporte en termes de développement de stratégies et d’émiettement de l’organisation des producteurs de coton.
Données historiques
Une première version sur l’histoire de la création de Ouénou d’avant le regroupement nous a été donnée par un forgeron, octogénaire, du nom de Orou Goura Kossou. Selon lui, un petit groupe de chasseurs serait parti d’un village de Nikki appelé Ouénou, à la recherche de zones giboyeuses. Dans leurs investigations, ils s’établirent à Ouénou (actuel arrondissement de N’dali). Au cours de leur chasse, ils identifièrent une forêt appelée « Sinisson » située sur la RNIE2 juste après Tamarou et à 10 Km de N’dali . Ce serait cette forêt qui aurait donné son nom à l’actuel village de Sinisson. Cette forêt doit son nom à une plante appelée « siinnou » qui servait à teinter les pagnes traditionnels. Elle devint leur espace de chasse et était très giboyeuse. C’est alors que des princes quittaient Nikki pour venir faire des exactions sur ces chasseurs à leur lieu de résidence en leur arrachant leur butin. Ces derniers n’en pouvant plus décidèrent d’aller se plaindre au roi de Nikki. Mais avant d’y aller, ils décidèrent de faire la chasse afin de donner leur butin au roi. Ce butin était constitué de toutes sortes d’animaux dont le lion qu’ils ont dû griller (kpakoua) du fait de ne l’avoir pas pu identifier à l’époque. Au terme de leurs discussions, ils demandèrent au roi de leur permettre de rentrer au village avec l’un de ses fils afin qu’il les protège des exactions des princes dont ils sont victimes. Le roi accepta et leur demanda des précisions par rapport à la situation géographique de leur forêt. Il instruit le prince de s’établir entre cette forêt et la résidence des « envahisseurs ». Le roi leur proposa de donner le nom de Ouénou au lieu de résidence de ce prince et celui de Kpakérou à la forêt où ils chassent et qui devaient jouir de la protection du prince. Le roi choisit le nom de Kpakérou pour le lieu de chasse des chasseurs pour lui avoir donné la viande d’un animal qu’ils avaient kpaké c’est à dire grillé. Voilà pourquoi, selon Orou Goura l’actuel Ouénou de la mairie de N’dali est souvent appelé soit Ouénou soit Ouénou Kpakérou.
Une seconde version nous a été donnée par Doko Bah Agba Gounou, commissaire au compte de l’école groupe A et secrétaire du chef traditionnel Kora Saka Mako. Il est réputé dans le village pour sa mémoire « infaillible » et pour ses connaissances par rapport à l’histoire du village. Selon lui, le fondateur de Ouénou serait un chasseur du nom de Bantiagui qui aurait quitté Ouénou, un village de Nikki, pour aller à la recherche de zones giboyeuses. Au cours de ses investigations, il aurait trouvé sur son chemin une espèce de plante du nom de « ouéni » qui se trouverait aussi dans son village d’origine : Ouénou de Nikki. Surpris de cette trouvaille, il aurait décidé que cette plante fasse partie des aliments prohibés de sa caste. A l’arrivée des colons qui voulaient savoir le nom de ce village, Bantiagui décida de l’appeler « Ouénou » du fait de l’existence de cette même plante « ouéni » dans un village de Nikki appelé Ouénou et qui serait son village d’origine.
Les propos qui semblent se recouper à partir de ces deux versions sont que le ou les premier fondateur de Ouénou est chasseur (comme toujours s’agissant de l’origine des villages bariba) et serait venu du village Ouénou de Nikki et que Ouénou, mon site de recherche tiendrait son nom de celui du village d’origine de son créateur.
Aussi faut-il mentionner que le village de Ouénou est le résultat du regroupement des villages de 1961 et compte actuellement les quartiers de Dankourou, Daso, Caasérou, Sinrou, Sêbê, Babi, Bourannou, Bonérou, Dori , Téri, (tous des villages déplacés) et Ouénou y compris.
Table des matières
1ère Partie : CADRE GENERAL ET METHODOLOGIQUE
Chapitre I CADRE GENERAL
I. Introduction générale : contexte de l’étude
II. Problématique
III. Objectif
IV. Hypothèses
V. Définition et clarification des concepts
1) Le regroupement de villages
2) Le déplacement forcé
3) L’intégration
4) La différenciation
5) La configuration
VI. Revue critique de littérature et état de la question
Chapitre II CADRE METHODOLOGIQUE
Démarche méthodologique envisagée
2ème Partie : PRESENTATION DU CADRE DE L’ETUDE
Chapitre III CADRE GEOGRAPHIQUE DE L’ETUDE
I. Données historiques
II. Données socio économiques et religieuses
3ème Partie : PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS DE L’ENQUÊTE
Chapitre IV REGROUPEMENT ET DEPLACEMENT DES VILLAGES A OUENOU
I. Historique du regroupement et du déplacement
II. A propos de l’installation à Ouénou
1. Présentation de la nouvelle disposition des villages à Ouénou après le regroupement des villages
2. Comment en est – on arrivé à cette nouvelle disposition?
Chapitre V : REGROUPEMENT ET DIFFERENCIATION SOCIALE A OUENOU
I. Du regroupement aux premières crises de différenciation.
II. L’étranger : une catégorie au visage flou.
III. Les tentatives de conciliation à Ouénou
Chapitre VI : LES ORGANISATIONS LOCALES A OUENOU : DES ESPACES D’EXCLUSION ?
I. les instances traditionnelles
Le chef traditionnel de Ouénou.
II. les instances modernes ou administratives
– Le chef de village (le délégué)
– Le chef d’arrondissement
III. les instances de décision collectives
– Le Groupement Villageois (GV)
• Fonctionnement du GV à Ouénou
• La scission du GV
• Les tractations internes liées à la scission du GV
– Le Groupement Féminin (GF)
CONCLUSION ET PERSPECTIVES POUR LA THESE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
LES INSTRUMENTS DE PRODUCTION DE DONNEES
1. Guide d’entretien avec les déplacés
2. Guide d’entretien avec les autochtones
3. Guide d’observation
4. Guide d’entretien des autres acteurs du regroupement et autres personnes