Régions sources des météorites martiennes

Régions sources des météorites martiennes

Les météorites martiennes sont les seuls échantillons de la planète Mars dont nous disposons. Ces météorites ont été caractérisées en détail grâce aux instruments disponibles sur Terre. Cependant, bien que plusieurs éléments nous indiquent que ces météorites viennent de Mars, leur source exacte à la surface nous est encore inconnue. Ne pas pouvoir replacer ces météorites dans leur contexte géologique nous empêche d’exploiter totalement les informations qu’elles nous fournissent sur la composition et l’évolution de la surface de Mars et de son manteau. Plusieurs études ont déjà tenté d’identifier la provenance de ces météorites en utilisant leurs âges ainsi que nos connaissances sur la dynamique des impacts pour contraindre géologiquement et chronologiquement les terrains et les cratères martiens appropriés [Nyquist 1983 ; McSween 1985 ; Mouginis-Mark et al., 1992 ; Treiman 1995 ; Barlow 1997 ; Rice 1997 ; Nyquist et al., 1998]. Hamilton et al., [2003] se sont basés sur la comparaison entre les propriétés spectrales dans l’infrarouge thermique des météorites martiennes et celles des spectres TES de la surface de Mars afin d’identifier des régions sources possibles. L’étude présentée ici propose une approche similaire, mais en se basant sur les données OMEGA dans l’infrarouge proche. Nous avons vu que ces données permettent une couverture quasi globale de la surface de Mars à une résolution allant de la centaine de m au km rendant possible l’identification et la cartographie à un niveau global des régions de propriétés spectrales similaires aux météorites martiennes. Sans avoir l’ambition de retrouver la source exacte des météorites martiennes, cette étude peut nous donner une idée du type de contextes géologiques et de terrains dans lesquels ces météorites auraient pu être formées. Suivant l’âge des terrains où elles sont observées et le nombre de régions identifiées, cette étude pourrait également poser des contraintes sur l’âge de ces météorites, qui varient de 175 Ma à 4.1 Ga suivant la méthode de datation dans le cas des shergottites, ainsi que sur leur représentativité qui sont des sujets encore débattus. La première partie de cette section sera consacrée à la description et à la validation de la méthode utilisée afin d’identifier et de cartographier les régions de la surface de Mars de propriétés spectrales similaires à celles des météorites martiennes choisies. La deuxième partie sera consacrée aux résultats et la troisième à une discussion sur l’implication de ces résultats et sur leurs limites.

Méthode 

Description

 Cette étude est basée sur les spectres dans l’infrarouge proche [1.0-2.5µm] de 6 météorites martiennes appartenant aux 4 familles énoncées dans la section 1.2.2.1 [McFadden and Cline, 2005]: deux shergottites basaltiques (Los Angeles, Shergotty), une shergottite lherzolitique (ALH A77005), une Nakhlite (Nakhla), une Chassignite (Chassigny) et l’orthopyroxénite ALH84001 (Figure 97). Ces spectres sont issus de McFadden and Cline [2005] et les principales caractéristiques des échantillons de météorites dont ils sont issus sont données dans le Tableau 7. Un spectre de la lithologie A de la météorite EET79001 aurait également pu être utilisé dans cette étude afin de représenter la famille des shergottites enrichies en olivine. Cependant cette lithologie est la seule parmi les trois lithologies observées dans cette météorite qui contient de l’olivine, et ne représente donc pas la composition de cette météorite dans son ensemble. De plus, aucune bande d’olivine n’est détectée dans les spectres issus de cet échantillon obtenus par McFadden and Cline, [2005]. Pour ces raisons nous avons décidé de ne pas intégrer cette météorite dans l’analyse présentée dans ce chapitre.Le jeu de données OMEGA utilisé est celui décrit dans la section 3.2 auquel ont été ajoutées les observations acquises en mode 16. Il correspond à 7731 cubes de données et 3.6 années martiennes d’observation. Les cubes de données acquis en mode 16 ayant une meilleure résolution spatiale, ils ont l’avantage de capter les signatures spectrales de zones plus localisées, où peuvent être potentiellement observées les signatures particulières des météorites, sans que celles-ci soient perdues dans les signatures spectrales de la surface environnante. De la même façon que pour les cartes globales présentées dans le chapitre 3, ces données sont filtrées afin d’exclure les spectres affectés par les artéfacts instrumentaux ainsi que par la présence de glace ou d’une trop grande quantité d’aérosols. Afin de réduire l’échantillon de spectres OMEGA à comparer aux spectres des météorites, nous avons fait une présélection selon leurs propriétés spectrales et celles de la météorite martienne étudiée. Ainsi, les météorites Los Angeles, Shergotty, Nakhla et ALH84001 montrant des signatures importantes de pyroxène, nous n’avons sélectionné que les spectres présentant un critère spectral de pyroxène supérieur à 1 %. De même, les spectres des météorites Chassigny et ALH77005 ne seront comparés qu’aux spectres présentant un critère spectral d’olivine OSP2 supérieur à 1.0. De plus, certains spectres principalement acquis en mode 16, montrant des albédos très faibles (<0.06) correspondant à des pixels couvrant une zone d’ombre, sont exclus. La comparaison entre les propriétés spectrales des météorites martiennes et celles de la surface de Mars se fera par un ajustement des spectres des météorites sur les spectres OMEGA. À l’inverse des spectres acquis en laboratoires, les spectres de la surface de Mars peuvent être affectés par différents facteurs observationnels tels que la présence de poussière ou d’aérosols, les mélanges intimes et spatiaux, ainsi que les effets photométriques. Afin de prendre en compte ces effets, nous avons décidé d’ajuster les spectres des météorites en faisant varier trois paramètres selon l’équation 9 : un paramètre d’échelle (E), un paramètre de pente (P) et un « offset » (O).  éq. 12 Bien que ces paramètres soient empiriques, nous pouvons leur attribuer un sens physique. Le paramètre de pente est principalement utilisé afin de prendre en compte les effets des aérosols et de la poussière qui vont avoir tendance à bleuir les spectres i.e augmenter sa réflectance aux courtes longueurs d’onde. Afin que ce paramètre reste cohérent avec les effets des aérosols et de la poussière, nous avons cependant limité ce paramètre aux pentes négatives. Des tests préliminaires réalisés avec la météorite Los Angeles ont de plus montré qu’appliquer une pente positive sur son spectre avait l’effet non désiré d’augmenter relativement la profondeur de bande à 1 µm et par rapport à la bande à 2 µm, lui permettant de s’ajuster parfaitement à des spectres modélisés comme correspondant à un mélange pyroxène-olivine avec plus de 15 % d’olivine alors que cette météorite n’en contient qu’environ 2 %. Le paramètre d’échelle va permettre de faire varier la profondeur de bande des spectres de météorites. En effet, pour certaines météorites (Shergotty, Nakhla, ALH84001 ou Chassigny) la profondeur de leurs bandes d’absorption peut atteindre plus de 30 %, le paramètre d’échelle est donc nécessaire si on veut ajuster ces spectres aux spectres de la surface de Mars dont les profondeurs de bande ne dépassent que très rarement les 10 %. Cette différence de profondeur de bande peut être due à plusieurs facteurs comme la méthode d’acquisition des spectres de météorite en laboratoire ; les conditions observationnelles lors de l’acquisition des spectres OMEGA (incidence, aérosols, etc.) ; l’état et l’exposition de la surface ; une différence dans la taille des grains ; ainsi que les mélanges avec du matériau sans signature dans l’infrarouge, tel que la poussière, la magnétite, ou des composants spectralements neutres (plagioclase, phases riches en silices, etc.). Nous ne pouvons donc pas exclure que les spectres de la surface de Mars 192 identifiés avec cette méthode comme ayant des signatures spectrales similaires aux météorites aient en fait une abondance en minéraux neutres différente de celle des météorites. Le facteur d’échelle ne joue cependant pas sur les positions des bandes d’absorption. Le facteur de pente peut lui légèrement jouer sur leur position, mais que très faiblement, d’autant plus que nous verrons dans la suite que les ajustements satisfaisants sont généralement obtenus pour les valeurs de ce paramètre les plus faibles (sauf pour la météorite ALH84001). Le type de pyroxène et d’olivine, ainsi que leurs proportions relatives seront donc globalement préservées. On peut cependant noter qu’appliquer un facteur d’échelle trop petit peut complètement aplatir le spectre et lui permettre d’ajuster des spectres de la surface de Mars ayant des signatures faibles, mais pas forcément similaires à celles des météorites. Cependant, afin d’éviter de rejeter de bons ajustements, nous avons décidé dans un premier temps de ne pas appliquer de limite sur le paramètre d’échelle. Si nécessaire, cette limite sera déterminée et imposée au cas pas cas pour chaque météorite après l’étude de plusieurs de leurs ajustements. Une fois le spectre de météorite modifié par les paramètres de pente et d’échelle, l’ « offset » permet de réajuster son niveau de réflectance moyen sur celui du spectre OMEGA. Étant donné les petites valeurs du paramètre d’échelle qui seront nécessaires pour ajuster les spectres de météorites, divisant par 2 à ~20 fois sa réflectance moyenne, cet offset sera environ égal à l’albédo du spectre OMEGA. 

Validation

 Afin de valider cette méthode nous l’avons testée sur la météorite Los Angeles, qui de par la profondeur de ses bandes d’absorption et sa composition (pyroxène et un peu olivine), a les propriétés spectrales les plus similaires aux spectres de la surface de Mars observés avec OMEGA. La première étape a été de vérifier si aucun biais systématique dans les valeurs du χ2 n’est introduit par le bruit dans les spectres, par le vieillissement du détecteur ou par le mode d’acquisition des observations (mode 16, 32, 64, 128). Les résultats de ces tests sont présentés sur la Figure 99. La Figure 99A illustre l’évolution du χ2 avec la valeur des données brutes (idat) à 1.7m. Cette valeur du idat est proportionnelle au flux reçu par OMEGA et le rapport signal/bruit dans le spectre sera donc d’autant plus élevé que cette valeur est forte. Des faibles valeurs de χ2 (typiquement <0.002) sont observées pour toutes les valeurs de idat excepté pour les plus faibles (<300) qui restent cependant très peu nombreuses. Le bruit ne semble donc pas affecter de manière significative le calcul du χ2. Le vieillissement du détecteur, provoquant la défaillance de nombreux spectels au cours du temps, va entrainer une perte d’information dans l’ajustement et dans le calcul du χ2. Cette perte d’information peut entrainer une augmentation de la valeur du χ2 . L’évolution de ces valeurs en fonction du numéro de l’orbite i.e en fonction du temps, ne semble cependant pas montrer d’augmentation significative et nous considèrerons donc que cet effet est peu important (Figure 99C). Les valeurs du χ2 en fonction du mode d’acquisition des observations, qui va principalement jouer sur la taille du pixel à la surface, sont présentées sur la Figure 99B. On peut observer que les observations acquises en mode 32 et 64 sont les plus utilisées dans cette étude. La distribution des valeurs du χ2 semble cependant identique pour les 4 modes et des faibles valeurs de χ2 sont obtenues dans tous les cas. Le mode de l’observation i.e la résolution spatiale semble donc ne pas avoir d’effet sur la valeur du χ2 . Nous nous sommes ensuite intéressés à la variation des valeurs du χ2 avec les trois paramètres utilisés dans l’ajustement : les paramètres de pente, d’échelle et d’« offset » (Figure 100). Ces paramètres n’ont été que peu restreints dans cette méthode afin d’éviter d’exclure des bons ajustements, il est donc important de vérifier qu’ils n’ont pas introduit de biais ou permis des ajustements trop incohérents avec les propriétés spectrales de la météorite. On peut observer sur la Figure 100 que les petites valeurs de χ2 (<0.002) sont obtenues pour des paramètres de pentes proches de 0 (0, -0.03) n’ayant donc que peu ou pas modifiés le continuum du spectre de la météorite. De même, ces petites valeurs de χ2 présentent un « offset » inférieur à 0.2 ce qui est en accord avec la réflectance moyenne de la météorite Los Angeles (0.09) et qui correspond aux valeurs d’albédo observées dans les terrains sombres de la surface de Mars. Bien que la plupart des petites valeurs de χ2 soient observées pour des valeurs du paramètre d’échelle comprises entre 0.4 et 0.8, ce qui reste réaliste, ont peut remarquer qu’un petit groupe de valeurs de χ2 légèrement supérieures à 0.002 présentant des valeurs de paramètre d’échelle entre 0 et 0.2, se détache (flèche sur la Figure 100C). Ce groupe de valeur de χ2 est également observé sur la Figure 100A (flèche) pour des valeurs du paramètre de pente comprises entre – 0.03 et -0.04. Ce petit groupe de χ2 correspond principalement à des ajustements réalisés sur les spectres de plaines du nord présentant une pente bleue importante et des bandes d’absorption de pyroxène très faibles. Ces ajustements sur des spectres montrant une pente importante et/ou présentant peu de signatures spectrales sont assez fréquents pour toutes les météorites et peuvent présenter des valeurs de χ2 très faibles. Ils constituent le principal biais induit par cette 195 méthode et justifient la nécessité de faire une vérification visuelle des ajustements. Afin de repérer plus facilement ces ajustements, les valeurs des paramètres d’échelle, de pente et l’ « offset » sont enregistrées avec les valeurs de χ2. 

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