Régimes et trajectoires socio écologiques des principaux systèmes alimentation excrétion urbains
Sur la base de la méthodologie de caractérisation des systèmes alimentation/excrétion urbains que nous venons de décrire dans la seconde partie, nous allons désormais effectuer une revue des principaux systèmes alimentation/excrétion de l’humanité et chercher à les caractériser.
Nous avons pour ce faire consulté des ouvrages d’histoire, et plus spécifiquement d’histoire des sciences et des techniques, afin d’estimer les modalités de fonctionnement des systèmes alimentation/excrétion de l’humanité et avons cherché à couvrir un spectre spatial et temporel aussi large que possible.
Nous avons plus particulièrement étudié le cas de l’agglomération parisienne, déjà analysé en détail par Barles sur la période 1790-1970 (Barles, 2005 ; Barles, 2007b). Nous avons cherché à compléter ces travaux en développant une analyse quantitative de la circularité du système alimentation/excrétion de l’agglomération parisienne sur la période 1850-2010 afin de décrire la trajectoire socio-écologique de ce territoire suivant notre méthodologie (chapitre 3.1).
Dans le second chapitre (chapitre 3.2), nous présentons en détail le système alimentation/excrétion de l’agglomération parisienne aujourd’hui et étendons la caractérisation de la partie urbaine du système alimentation/excrétion à son hinterland agricole nourricier dans le but d’en donner une vision globale.
Enfin, dans le troisième chapitre (chapitre 3.3), nous étendons l’analyse de l’agglomération parisienne au fonctionnement des autres systèmes alimentation/excrétion urbains du monde occidental .La caractérisation des systèmes alimentation/excrétion développée dans la seconde partie n’a bien sûr de sens que pour les sociétés dont le régime socio-écologique est agraire ou industriel.
Pour toutes les sociétés de chasseurs-cueilleurs, il n’y a pas de système de production agricole pour lequel les urines et matières fécales pourraient constituer un intrant et la notion de circularité n’a donc pas de sens104. Cette absence d’utilisation des urines et matières fécales à des fins d’intrants de production agricole n’empêche pas par ailleurs leur usage à d’autres fins.
Les trois grands régimes socio-écologiques de l’humanité (chasseurs-cueilleurs, agraires et industriels) ont ainsi pu développer des couplages de leur système alimentation/excrétion avec d’autres systèmes (section 3.1.1).
Il est difficile d’établir une caractérisation quantitative de la circularité historique des systèmes alimentation/excrétion et nous présenterons donc surtout les systèmes passés d’un point de vue qualitatif, dans le monde (section 3.1.2) et plus particulièrement en France (section 3.1.3). Nous avons toutefois pu réaliser une telle quantification dans le cas de Paris sur la période 1850-2010 (section 3.1.4).
Usages non agricoles des urines et matières fécales
L’urine stockée utilisée comme solution d’ammoniaque L’urine a beaucoup été utilisée, après stockage, pour mettre à profit ses propriétés chimiques. L’hydrolyse de l’urée intervient spontanément dans le stockage et l’urine devient alors une solution d’ammoniaque qui possède des propriétés désinfectantes et dégraissantes.
Nous l’illustrons par quelques exemples ci-après. La pollution représentée par le rejet des urines et matières fécales des chasseurs-cueilleurs dans l’environnement ne peut pas non plus être analysée suivant notre grille méthodologique du fait de la très faible empreinte environnementale de ces sociétés dont l’activité ne saurait modifier substantiellement les cycles biogéochimiques globaux.
Les Inuits semblent avoir abondamment utilisé l’urine105. L’urine était stockée dans les habitations dans des bassines. Au moins trois types d’usages ont été relevés : le lavage (des cheveux, des corps, des habitats et des objets), le tannage des peaux et la désinfection des plaies (Victor, 2015 ; Victor et al, 2017).
L’odeur de l’urine imprégnait ainsi fortement les habitats et les corps. Nous reproduisons ci après un des dessins emblématiques de Paul-Émile Victor représentant sa compagne Doumidia se lavant les cheveux à l’urine stockée (Figure 3.1