Réflexion sur la construction de la relation thérapeutique avec des enfants présentant un Trouble du Spectre Autistique
Rencontre avec Hélios ou comment prendre le temps de s’apprivoiser
Premières rencontres
Le groupe éducatif
Avant que ne commence mon stage, Florianna, une psychomotricienne et également ma maître de stage, m’explique le déroulé de celui-ci et mentionne notamment Hélios, un enfant que je verrai dans plusieurs espaces. Cela se passera sans la présence directe de ma maître de stage mais aux côtés d’autres professionnels de l’hôpital de jour. Nous nous rencontrerons uniquement sur des temps de groupe lors desquels j’aurai pour mission de prendre cet enfant en soin plus spécifiquement. Lors de mon premier jour, je repère un trombinoscope des enfants accueillis au centre, affiché dans le hall. Je me dirige vers celui-ci pour avoir un premier aperçu de cet enfant que je vais être amenée à rencontrer et auprès duquel j’aurai un investissement particulier. Sur sa photo, je constate que son visage est très marqué par son handicap, ce qui me procure un léger sentiment de malaise. Cela m’inquiète, je me demande comment je vais parvenir à surpasser ce sentiment qui se manifeste au premier abord. En effet, comment correctement prendre en soin un enfant qui nous bouscule dans nos représentations ? J’imagine bien que cela pourrait être une entrave à notre relation et à mon engagement corporel vis-à-vis de lui. Par la suite, Florianna me présente à une partie de l’équipe et m’emmène sur le groupe éducatif d’Hélios, le groupe 3, pour que je le rencontre ainsi que les éducateurs et les autres enfants qui l’accompagnent. Nous entrons dans la pièce, les référents me saluent et Florianna appelle Hélios. Celuici vient vers nous sans nous regarder, avec des bruits de gorge. Elle lui dit « Bonjour » et lui explique brièvement qui je suis et le fait que nous serons amenés à régulièrement jouer ensemble. Il se détourne et va chercher des jouets avant la fin de son explication, sans m’avoir regardée, ni indiqué qu’il avait entendu ou compris la teneur de la discussion. Cette première rencontre me soulage car il est différent de la photo. Le voir en mouvement le fige moins dans ses caractéristiques physiques peu avenantes. Il est plutôt grand et dégage quelque chose qui me donne finalement envie d’apprendre à le connaître et de Page | 10 lui construire un projet thérapeutique.
Le repas Je rencontre
Hélios pour la deuxième fois dans le cadre du repas. Je mangerai avec lui tous les mercredis midi et devrai lui apporter un soutien pour son autonomisation. Ce premier repas est assez laborieux, Hélios mange et boit seul mais préfère utiliser ses doigts plutôt que ses couverts. Je l’incite à manger avec la cuillère en le soutenant au niveau du coude, ce qui semble bien l’aider. Néanmoins, dès que je me retourne vers ma propre assiette, il lâche la cuillère et réutilise ses doigts. Cela est légèrement décourageant. De plus, après avoir bu, il jette son verre ou le lâche dans son assiette. Je suis systématiquement très mal positionnée pour le ramasser et lorsqu’il tombe dans l’assiette, il est souillé de nourriture. Cela me désespère, surtout qu’il ne m’investit pas, ne me regarde pas, ne cherche pas à entrer en relation avec moi. Quand il a fini son steak, il attrape le mien à pleine main et fait de même avec mon fromage à la fin du repas. Je me sens intrusée, j’ai l’impression qu’il n’a pas de limites et réagit à tous ses besoins et ses envies sans prendre en compte l’autre, sans me prendre en compte. Cela est déstabilisant et me demande une énergie considérable pour récupérer calmement ma nourriture et lui dire avec douceur que c’est mon repas, que je vais le resservir s’il en désire de nouveau. Je remarque également qu’il est très en recherche de stimulations sensorielles car il tape en continu avec sa cuillère et sa fourchette, soit sur sa paume, soit dans son assiette. Cela fait un bruit répétitif et fort qui irrite les autres enfants ainsi que les professionnels. Je me dis que peut-être, lors de notre prochaine rencontre, je pourrai passer par différents canaux sensoriels pour entrer en relation avec lui. Je ressors de ce repas fatiguée et un peu découragée.
La salle Snoezelen
Nous nous retrouvons le lendemain en salle Snoezelen avec une éducatrice spécialisée et deux autres enfants. Lors de cette séance, j’observe beaucoup Hélios pour voir comment il investit cet espace, ses pairs, son corps… De manière générale, j’ai trouvé qu’il était tranquille mais assez peu présent psychiquement. Cependant, à peine entré dans la salle, il s’éveille, affiche un grand sourire et pousse de longs cris que j’interprète comme de l’excitation. Il se balance fortement, debout, d’avant en arrière et de gauche à droite. A aucun moment, lors de cette séance, il ne se tourne vers moi ou ne me sollicite.
Le multisports
Après Snoezelen, nous allons en multisports, dans un gymnase en dehors de l’hôpital de jour, avec les autres enfants du groupe 3. La salle est très grande, il y a un grand tatami sur lequel est installé un parcours moteur avec de gros blocs de mousse. Je sais que dans cet espace, je suis censée accompagner plus spécifiquement mais je ne le connais pas encore. Je n’ai pas pu établir de profil psychomoteur qui recenserait toutes ses capacités et ses difficultés en si peu de moments et de propositions. Je ne sais donc pas vraiment ce dont il a besoin et je n’ose pas aller vers lui. Je décide alors de nous laisser du temps pour nous rencontrer davantage. Lors de cette séance, je me tourne vers les enfants qui me sollicitent.
Conclusion de ces premières rencontres
Après ces différents temps avec Hélios, je réalise que cet enfant est long à rencontrer. Il fuit souvent le regard et peut s’enfermer dans des stéréotypies3 importantes qui le coupent de toute relation. Lorsqu’on lui parle, je n’ai pas l’impression qu’il soit attentif, ni qu’il comprenne. Tous ces éléments me font me questionner quant à l’évolution de notre relation. Comment vais-je construire une relation thérapeutique avec cet enfant qui ne semble pas remarquer ma présence ni ne manifeste le désir de m’approcher ?
Retour sur la question du bilan psychomoteur et des premières observations psychomotrices
Dans cette institution, chaque enfant bénéficie d’un bilan psychomoteur à son arrivée. Le bilan psychomoteur est un outil diagnostic permettant de repérer les capacités comme les difficultés du patient. Il intéresse la cognition, la motricité, la perception, la sensibilité ainsi que les interactions entre ces différentes sphères et représente une première mise en relation avec le patient. Cette évaluation s’effectue par le biais de tests standardisés ainsi que d’observations qualitatives. A l’issue de ce bilan, le psychomotricien dégage plusieurs axes thérapeutiques qui orienteront la prise en soin. Du fait du profil des enfants accueillis à l’hôpital de jour, les tests classiques sont compliqués à réaliser. Le bilan se base donc essentiellement sur des observations cliniques spontanées ou dirigées. Chaque année, une remise à jour de ces observations est effectuée au fil de l’évolution du patient. Concernant Hélios, sa minceur nous ramène d’emblée à une certaine fragilité psychocorporelle ainsi qu’à la sphère osseuse, comme s’il n’était constitué que d’os. Il va d’ailleurs souvent chercher la dureté par les objets qu’il explore et les percussions qu’il peut s’imprimer sur la mâchoire, le crâne ou la cage thoracique. Depuis tout petit, Hélios présente un désinvestissement du bas du corps, ce que l’entrée dans la puberté a semblé redynamiser. Néanmoins, il manque toujours d’ancrage au sol et de tonicité dans les jambes lors des déplacements. Il marche sur la pointe des pieds en effectuant parfois des petits rebonds, comme si cela lui permettait de se verticaliser. Le syndrome pyramidal qui lui a été diagnostiqué très jeune a engendré la constitution d’une carapace tonique que l’on repère aisément. En effet, il est 3 « Répétition d’une attitude, d’un geste, d’un acte ou d’une parole, sans but intelligible. » (Larousse en ligne, s. d.) extrêmement poreux et hypersensible à son environnement : un moindre bruit ou un moindre mouvement génèrent une réaction tonique et une mise en mouvement importantes. Par ailleurs, son équilibre dynamique est précaire et il semble éprouver des difficultés à organiser ses mouvements de façon globale. Il est également en recherche permanente de stimulations fortes d’ordre tactile, visuelle et vibratoire. Mes observations cliniques, mises en lien avec celles de ma maître de stage, m’ont permis de réfléchir à l’organisation psychomotrice d’Hélios et de guider ma réflexion pour l’accompagner au mieux. Ce travail a notamment engagé le processus relationnel en cherchant à le comprendre pour lui proposer des appuis adaptés. Ces premiers temps de rencontre m’ont donc permis de me centrer davantage sur quelques axes et propositions spécifiques pouvant servir d’étayage à la construction de notre lien. Ceuxci étaient donc les suivants : soutenir le réinvestissement du bas du corps, favoriser la conscience corporelle et l’exploration sensorielle ainsi que prendre plaisir à se mouvoir et interagir avec l’autre.
Introduction |