Réflexion pure : la conversion existentielle

Réflexion pure : la conversion existentielle

La question de la réflexion ne peut être assimilée ni posée hors de celle de la conscience. La réflexion est un témoin étrangerde la conscience qui dirige son existence. Grâce à elle, le pour-soi se saisit et s e pense lui-même explicitement. D’ailleurs, toute la philosophie existentielle tient à affirmer que les droits de la réflexion se limitent à cette saisie immédiate et non thématique du pour-soi. Or, toute tentative de celui-ci pour expliciter la saisie réflexive ou de se rendre lui-même comme objet de penser est sujette à des erreur s ; car pour que le pour-soi devienne pensable ou connaissable, il faut qu’il y ait un autre pour-soi qui l’extériorise. Cet autre pour-soi peut être autrui ou surtout moi-même (grâce à ma réflexion), si je tente de me voir avec les yeux d’un autre. Dans la mesure où elle possède la capacité de se néantiser, la réflexion se porte comme cet autre pour-soi qui m’extériorise : cela implique que le surgissement de la conscience réflexive n’est pas un événement ex nihilo d’une conscience neuve qui vient de se braquer sur la conscience réfléchie. N’étant pas une conscience autonome, la réflexion est seulement une modification infra-structurale du pour-soi : « Il suffit, en effet, que le pour-soi reflétant se pose pour lui comme témoin du reflet, lira-t-on dans L’Etre et le Néant, et que le reflet se pose pour lui comme reflet de ce reflétant »1. Cette unité du réflexif et du réfléchi joue un double rôle : elle garantit l’adéquation de la saisie réflexive, d’un côté ; et, de l’autre, interdit en même temps de considérer que l’ébauche de scission préfigurée dans le pour-soi irréfléchi est une forme de dualisme entre le réflexif et le réfléchi, même si ce dernier est un « quasi-objet » pour le réflexif.
Par ailleurs, sans remettre en question l’intentionnalité, il est capital de remarquer que la réflexion, qui se veut une orientation nouvelle de la problématique existentialiste, est la clef de voûte de tout l’édifice de cette philosophie. La réflexion devient donc un problème ontologique chez Sartre, puisque c’est elle qui, se questionnant, interroge l’être. Se référant au plan purement phénoménologique, la réflexion est en ce ens le questionnant ; l’être qui est un objet connu est le questionné. Sur le plan ontologique, en réalité, le questionnant en tant qu’existence réfléchissante est hors d’atteinte ; il est le non-questionnable, puisqu’il se pose comme la condition d’existence du questionné. La réflexion se présente comme une existence qui ne peut pas être visée ou réfléchie. Sa seule existence, c’est de questionner perpétuellement l’être. C’est ainsi qu’à l’intérieur de la question de l’être se pose le problème de la réflexion sur l’existence. Envisageant d’étudier un autre type de l’être (celui-ci est objet), l’ontologie se constitue comme connaissance d’être- connu. Même de l’existant particulier, elle cherche uniquement son être. C’es t dans cette perspective que chez Sartre la phénoménologie a répondu aux besoinsde l’ontologie existentielle. Se présentant comme existence, la réflexion ne peut à son tour être réfléchie ; car pour que la réflexion soit à son tour réfléchie, ilfaut qu’il y ait une autre réflexion qui vise la réflexion. Sinon, l’ontologie existentialiste créerait un circuit infernal qui aboutirait à un autre échec ontologique fatal et non voulu dont l’auteur de L’Etre et le Néant ne pourrait pas sortir.
En se référant au bilan de l’enquête ontologique, la conscience s’apparaît à elle-même dans une « indistinction sans point de vue « . Connaître pour elle, c’est déterminer et affirmer ce qu’elle pose sans explication. Ne nous apprenant rien sur elle-même, la réflexion dévoile seulement dans la conscience  » un être qui était déjà dévoilement de son être »1. D’ailleurs, la tentative primitive de la réflexion est de se connaître comme ce qu’on est. Autrement dit,la motivation originelle de la réflexion est le projet du pour-soi d’être pour-soi sur le mode de l’en-soi. Or, ne pouvant pas réaliser ce soi par soi qu’elle vise, la réflexion est le moyen d’accéder à cette possible connaissance exhaustive de soi par soi. Entre elle et le pour-soi se manifeste une négation seconde d’elle-même.
C’est ainsi qu’elle se trouve enveloppée dans la réflexion impure parce qu’elle a tendance à se dépasser vers un but hors de ses possibilités authentiquement réflexives. Cette réflexion qui recherche à poser le pour-soi dans son intériorité est par conséquent menacée perpétuellement par la mauvaise foi. Etant impure à titre de structure originelle de fait, la réflexion perd en ce sens sa valeur d’être irréfléchie. Pour que la réflexion ait sa valeur de projet ou de réflexion, il faut que le pour-soi retienne et ressaisisse par un libre choix son intention primitive et originelle de réfléchir. Néanmoins, nous venons d’expliciter que L’Etre et le Néant, en tant qu’essai d’ontologie phénoménologique qui interroge essentiellement l’être du pour-soi et sa réalisation avec l’en-soi, développe surtout la réflexion constituante au détriment de la réflexion pure, domaine de la morale. En outre, l’étude qui lui devait être consacrée est annoncée aux dernières lignes du livre. Elle aurait vraisemblablement fait partie de l’essai sur la morale que l’auteur envisageait à cette époque, mais qui n’a jamais paru sur les lignes. Cette œuvre publiée en 1943 développe systématiquement les ambiguïtés dea l réflexion complice plutôt que les possibilités de la réflexion véritable. Cependant, bien que la réflexion pure n’appartienne pas à la perspective d’une affirmation de l’être, l’ontologie phénoménologique accorde aussi la possibilité d’uneréflexion véritable, même si elle ne la justifie ni la met en œuvre. Car, grâce à la réflexion, la réalité humaine se détermine comme être historique en situation. Pr ofilant donc son ombre à l’arrière-fond d’une théorie de l’être, la réflexion pure permet à la conscience de dénoncer la réflexion impure comme étant complice, puisqu’elle tente d’atteindre le pour-soi uniquement dans son être. Réflexion pur e ou véritable, de quoi s’agit-il ? Dans nos recherches antérieures1, nous avons vu que la difficulté intrinsèque de toute problématique du cogito réflexif est de montrer que le cogito prétend se connaître. Or, prétendre se connaîtregnifiesi que le cogito se traitera comme objet du monde. Assurément, le propre de la réflexion pure est de s’abstenir de s’objectiver. C’est effectivement en s’abstenant d’objectiver le soi qu’elle pose que la réflexion se présente authentiquement et adéquatement pure. Il faut éviter que le réflexif prenne le réfléchi comme objet transcendant. En fait, pour que la réflexion soit automatiquement et adéquatement pure, elle doit se porter comme témoin muet que le réfléchi entretientavec l’être-en-soi. Elle ne me renseigne en rien sur l’en-soi lui-même. Posant seu lement la connaissance primaire de l’être comme une libre relation de la c onscience au transcendant, le réflexif n’envisage pas de connaitre le réfléchi. Dans cette perspective, l’en-soi apparait à la réflexion comme quelque chose de certain qui déborde tout ce que je peux connaître de lui. Ainsi, le réflexif et le réfléchi deviennent tous les deux consciences (de) : l’un est conscience (de) soi ; l’autre devient conscience (d’) être réfléchie. N’étant pas assimilée à un jugement où à une appréciation thématique de soi, la réflexion pure est aveugle dans son surgissement originel. Elle ne prend pas de position sur ce qu’elle voit.
En fait, la réflexion pure permet au cogito préréflexif de se connaître d’abord en tant qu’existant. Contrairement à la réflexion impure qui cherche à chosifier et à atteindre le pour-soi dans son être, la réflexion pure permet à la réalité-humaine de se connaître en tant qu’existantqui pose l’être en dehors de lui. C’est elle qui permet au héros de s’affirmer comme existant libre et responsable de son existence. Exigeant de l’ontologie qui elle se connaisse comme connaissance du connu, la réflexion pure n’est ni connaissance ni être : étant entièrement existence, elle est tout autre que connaissance. Censée interroger l’être, en ce sens que celui-ci est hors de lui, la réflexion pure offre au pour-soi ce caractère d’absolu qui n’est rien d’autre que la capacité de recul néantisant qui, aux yeux de Sartre, est la condition sine qua non de toute affirmation de l’objet ou de l’être.

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