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Applications des dérivés ambiphiles
En organocatalyse
La première application de ces dérivés comme catalyseur a été développée par Corey-Bakshi-Shibata1 en 1987. Ces dérivés ont été utilisés comme organocatalyseurs lors de la réduction énantiosélective des cétones prochirales. Corey-Bakshi-Shibata découvrirent que l’ajout d’une quantité catalytique d’oxazaborolidine chirale A sur un mélange de BH3 (borane) et de cétones accélère la réduction du carbonyle et permet la formation des alcools énantiopurs (Schéma 1). Ce catalyseur 1 est obtenu par couplage déshydrogénant entre un β-amino-alcool chiral et l’acide méthylboronique.
Réduction d’une cétone catalysée par un dérivé ambiphile
Des études mécanistiques ont montré que cette forte réactivité est due à l’action simultanée de l’amine, base de Lewis, et du bore, acide de Lewis. L’amine permet de renforcer le caractère hydrure de BH3 par complexation à l’azote. Quant au bore, il se coordonne à l’oxygène de la cétone ce qui a pour conséquence d’accroître l’électrophile du carbone (assistance électrophile). De plus, l’amine et le borane permettent que les deux substrats soient proches dans l’espace. Cette double activation conduit à la formation d’un état de transition à 6 chaînons 2 (Figure 2).
En changeant les groupements acide (Al au lieu de B) et base de Lewis (P au lieu de N), ainsi que la structure de l’organocatalyseur (bimoléculaire au lieu de monomoléculaire), une réactivité différente peut être observée, comme la formation de liaison C-C au lieu de liaison C-H. Ainsi Rieger2 a décrit la polymérisation de monomères polaires, de type accepteur de Michael en utilisant une paire de Lewis 3 possédant une forte interaction acide/base, R3P→AlR’3 (R = CH3, C2H5, C6H11 ; R’ = CH3, C2H5, C4H9, C6H5) (Schéma 2). Ce système permet d’obtenir des polymères possédant une faible dispersité et un bon contrôle de la tacticité.
Exemple de polymérisation catalysée par un adduit de Lewis 3
Deux mécanismes d’initiation dans lesquels l’acide de Lewis joue plusieurs rôles ont été proposés. Dans un premier temps, l’acide de Lewis sert à l’assistance électrophile en se coordonnant à l’oxygène du carbonyle. Dans un second temps, il permet la stabilisation des espèces actives. Dans le mécanisme a, l’initiation commence par l’addition nucléophile de la phosphine sur l’énone activée (Schéma 3). Dans le mécanisme b, cette initiation commence par la déprotonation du carbone α par la phosphine, conduisant à un allène (Schéma 3)
Schéma 3 : Mécanismes proposés pour la polymérisation d’oléfines polaires en présence de la pairede Lewis 3
Activation et transfert de petites molécules
En 2006, Stephan a décrit l’activation et le transfert du dihydrogène par une paire de Lewis frustrée D, de type phosphine-borane3 (Schéma 4). Cette réaction est importante car l’hydrogénation par H2 sans système métallique est un enjeu actuel. Le dihydrogène étant une molécule apolaire, possédant une énergie de liaison forte (ΔHf298 = 436 kJ.mol-1), seuls les métaux de transition, capables d’accéder à des degrés d’oxydation différents, pouvaient réaliser son activation et son transfert sur un substrat organique. Le système de Stephan est le premier composé non métallique à pouvoir réaliser cela. Cette phosphine-borane 4 est capable d’activer H2 de façon hétérolytique conduisant à la formation d’une espèce zwitterionique 5 possédant un groupement phosphonium et un groupement borate. Un simple chauffage permet la libération de H2. Ce dérivé a été utilisé comme catalyseur pour la réduction d’imines, de nitriles et d’arizidines par le dihydrogène4.
Activation réversible de H2 par une phosphine-borane
De nombreux systèmes possédant majoritairement un bore comme acide de Lewis sont capables d’activer de petites molécules insaturées telles que le dioxyde de carbone ou encore des alcènes5 (Schéma 5).
Réactivité d’un adduit de Lewis 6 avec des systèmes insaturés.
Dans notre équipe, nous avons développé des dérivés ambiphiles de type phosphine-borane possédant un espaceur ortho-phénylène. Ces dérivés se sont montrés capables de stabiliser des espèces hautement réactives. Cette réactivité sera développée dans l’introduction du premier chapitre.
Comme ligands
Les dérivés ambiphiles se sont révélés être des ligands versatiles intéressants6. Quatre modes de coordination ont été observés en fonction de la nature du ligand (force de l’acide de Lewis, taille et flexibilité de l’espaceur) et de celle du centre métallique. Le site base de Lewis B se coordonne au métal servant alors de site d’accroche. L’acide de Lewis peut ainsi se positionner dans la sphère de coordination du métal permettant ainsi à l’acide de Lewis de jouer différents rôles (Figure 3) :
– I : Le site acide de Lewis (A) est spectateur. Ceci permettrait la fixation de substrats, et faciliter ainsi son approche sur le centre métallique.
– II : L’acide interagit avec un co-ligand X (X = Cl, Br, F …) formant ainsi un complexe présentant une interaction à 4 centres BM-XA. La liaison M-X est alors activée par l’acide de Lewis.
– III : L’acide de Lewis se comporte comme un ligand σ-accepteur (ligand Z). Il y a alors un transfert de la densité électronique du site donneur vers le métal et du métal vers le site acide de Lewis.
– IV : L’acide de Lewis abstrait un co-ligand formant ainsi des complexes zwitterionique. Cette rupture hétérolytique de la liaison M-X est dépendante de la nature du centre métallique et de l’acidité de l’acide de Lewis. La liaison M-X est alors ionisée par l’acide de Lewis.
De rare complexes, dans lequel l’acide de Lewis se comportait comme un ligand Z, ont été publiés par Hill7. Ces complexes sont issus de la coordination d’un borate de type R3B-H anionique (le tris(methimazolyl)borate) sur un complexe de Ru(II), puis de l’activation de la liaison B-H dans la sphère de coordination du métal pour conduire à un complexe 10 présentant une interaction M→B (Schéma 6). D’autres complexes suivirent avec les mêmes particularités : génération de l’interaction M→B après coordination des ligands tridentates conduisant à des complexes de géométries « cages » et impliquant principalement des centres métalliques à 18 électrons.
Synthèse du premier complexe possédant un ligand Z
Dans le groupe, nous avons étudié la synthèse et la coordination de ligands ambiphiles préformés. Ceci a permis de facilement faire varier la structure des ligands ainsi que la nature des centres métalliques. La coordination de ligands ambiphiles de type PE (E = élément du groupe 13 ou 14) ayant un espaceur de type ortho-phénylène a été en particulier étudié. Cette stratégie qui consiste à disposer d’un ligand ambiphile préformé a marqué le point de départ de la chimie de coordination de ces ligands. Les différents modes de coordination illustrés dans la Figure 3 ont été clairement mis en évidence dans le groupe. Un exemple significative est la préparation du premier complexe d’or 11 possédant une interaction donneur-accepteur AuB8 (Figure 4). Le bore joue ici le rôle de ligand Z, en acceptant de la densité électronique du centre métallique. La présence de la phosphine permet cette interaction en enrichissant assez le centre métallique en électrons et en permettant au bore d’être près du métal. Il s’agit du premier exemple où cette interaction est observée sans qu’aucune contrainte géométrique n’intervienne, et avec un centre métallique à 14 électrons.
L’accès à une grande diversité des complexes à base de ligands ambiphiles a ouvert la porte à l’étude de la réactivité où la présence de l’acide de Lewis dans la sphère de coordination peut avoir un impact direct. Récemment, un complexe de rhodium 12 possédant un ligand diphosphine-borane a été évalué dans la réaction d’hydrogénation de cétone9 (Schéma 7).
Réaction d’hydrogénation de cétone catalysée par des complexes de rhodium
Dans cet exemple le site acide de Lewis agit comme un agent de transfert d’hydrure dans la première sphère de coordination du métal. L’hydrure est transféré du métal au bore puis du bore à la cétone. La présence d’une forte interaction B-H-Rh a été déterminée par analyse spectroscopique et structurale. La faible réactivité du complexe 13 ne présentant pas de bore dans la sphère de coordination du rhodium souligne l’importance de cette interaction B-H-Rh.
D’autres ligands possédant un site acide de Lewis de type alane ont aussi été développés. Les complexes montrent une réactivité différente de celle des complexes de phosphine-boranes. Les ligands phosphine-alane et complexes seront traités dans l’introduction du second chapitre.
Objectifs du travail de thèse
Durant ces trois années de thèse, nous nous sommes intéressés à plusieurs aspects de la chimie des dérivés ambiphiles. Le premier chapitre porte sur la synthèse et l’activité en catalyse des phosphine-boranes. Dans un premier temps, nous avons étudié le rôle que pouvait avoir l’acide et la base de Lewis lors de la réduction du dioxyde de carbone par des boranes. Une meilleure compréhension de leurs rôles respectifs peut conduire à l’accès à des systèmes plus actifs par simple modulation des propriétés électroniques et stériques des sites acide et base de Lewis. Ce projet a été réalisé en collaboration avec le groupe du Prof. Fontaine, de l’université Laval à Québec, qui a montré que des phosphine-boranes possédant un espaceur de type ortho-phénylène sont capables de catalyser la réduction du CO2 (Schéma 8)10.
Réduction du CO2 catalysée par une phosphine-borane
Nous avons cherché à déterminer l’influence de l’acidité et de la basicité du dérivé ambiphile sur l’activité catalytique. Nous avons donc synthétisé de nouveaux dérivés en faisant varier les groupements sur la phosphine et le bore afin de pouvoir comparer l’activité des différents systèmes lors de la catalyse (Figure 5).
Dans un second temps, nous avons cherché à étudier plus précisément le mécanisme de la réaction, et ainsi identifier de potentiels intermédiaires réactionnels. Nous nous sommes focalisés sur l’isolement d’un intermédiaire clef, qui a ensuite été testé en catalyse. Les outils spectroscopiques et les calculs théoriques ont été utilisés lors de cette étude.
Le second chapitre est consacré à la réactivité de complexes possédant un ligand de type phosphine-alane. Durant ce travail, nous nous sommes focalisés sur la compréhension de la coopérativité métal-acide de Lewis, dans un complexe possédant un acide de Lewis dans la sphère de coordination du métal qui venait d’être préparé dans notre équipe. Nous avons essayé de déterminer la nature de cette coopérativité et le rôle de l’acide de Lewis dans cette coopérativité. Cette étude a été menée en collaboration avec le groupe du Prof. Uhl (préparation du ligand), de l’université de Münster, et du Dr. Slootweg (calcul théorique), de l’université d’Amsterdam. Le ligand choisi possède un espaceur à un atome de carbone d’hybridation sp2, mettant ainsi les sites acide et base de Lewis en position géminale l’un de l’autre. Marc Devillard, doctorant au sein de notre équipe a initié l’étude de la coordination de ce ligand sur différents précurseurs métalliques (Schéma 9)11. Lorsque ce ligand est mis en présence de métaux d8 possédant un co-ligand de type halogène, il se forme un complexe où l’acide de Lewis se coordonne au co-ligand. Mais lorsqu’il s’agit de métaux d10, l’aluminium ionise la liaison M-X permettant ainsi la formation d’un complexe zwittérionique. Dans le cas de co-ligand non halogéné, il y a formation d’un complexe où l’aluminium se comporte comme un ligand Z.
Réactivité du ligand avec des métaux d 8 et d10
Nous nous sommes focalisés sur la réactivité d’un complexe de platine possédant ce ligand monophosphine-alane. Ce complexe a aussi été synthétisé par le groupe. Dans ce complexe, l’aluminium joue le rôle d’un ligand Z (Figure 6). Les complexes possédant un aluminium dans la sphère de coordination sont très rares, et leur réactivité a été très peu étudiée.
La réactivité de ce complexe venait d’être étudiée par le groupe via l’activation du dihydrogène (Schéma 10). La non-innocence de l’aluminium, lors de la réaction, avait alors été mise en avant lors d’études théoriques et expérimentales. Nous avons alors étudié la réactivité de ce complexe lors de l’activation d’une liaison N-H polaire. Nous nous sommes aussi focalisés sur la réactivité vis-à-vis de petites molécules insaturées, telles que CO2, CS2 et des alcènes/alcynes. Cet « adduit de Lewis » entre le métal et l’acide de Lewis a tendance à agir comme une « paire de Lewis » frustrée de par la contrainte géométrique de l’espaceur. La coopérativité métal/acide de Lewis lors de la réactivité du complexe vis-à-vis des petites molécules a été étudiée.
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
APPLICATIONS DES DERIVES AMBIPHILES
A. En organocatalyse
B. Activation et transfert de petites molécules
C. Comme ligands
OBJECTIFS DU TRAVAIL DE THESE
REFERENCES
CHAPITRE I : REDUCTION DU DIOXYDE DE CARBONE CATALYSEE PAR DES PHOSPHINE-BORANES.
CONTEXTE
A. La phosphine ortho-borée.
1. Un stabilisateur d’espèces hautement réactives
2. Un organocatalyseur bifonctionnel.
B. La réduction du CO2
1. La catalyse hétérogène
2. La catalyse homogène par les métaux de transitions
3. La catalyse homogène par des organocatalyseurs
C. Réduction du CO2 par un phosphine-borane
RESULTATS ET DISCUSSION
A. Synthèse des nouvelles phosphine-borane.
B. Etude de l’activité catalytique des nouveaux systèmes.
C. Etude du mécanisme
D. Etude de l’activité catalytique des systèmes phosphonium-borate.
E. Etude de l’activité de l’adduit formyle
F. Etude du devenir de l’adduit formyle
G. Etude DFT et mécanisme probable
H. Conclusion
REFERENCES
PARTIE EXPERIMENTALE ET THEORIQUE
CHAPITRE II : REACTIVITE D’UN COMPLEXE DE PLATINE POSSEDANT UN LIGAND MONOPHOSPHINE-ALANE
CONTEXTE
A. Complexes possédant un ligand de type phosphine-alane.
1. Les ligands monophosphine-alane
2. Ligands di/triphosphine-alane.
B. Un nouveau dérivé ambiphile de type monophosphine-alane.
1. Synthèse et réactivité du dérivé 30
2. Synthèse de complexe possédant le ligand 30
C. Les premiers résultats avec le platine
1. Synthèse du complexe
2. Activation de H2.
RESULTATS ET DISCUSSION
A. Réactivité du complexe de platine sur une liaison σ polaire, N-H.
B. Fixation de molécules par la paire de Lewis.
1. Réaction avec CO2
2. Réaction avec CS2.
3. Perspectives
C. Conclusion
REFERENCES
PARTIE EXPERIMENTALE ET THEORIQUE
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
ANNEXES