Reconstruire le discours des enseignants sur le débat
Introduction
Comment recueillir et analyser les discours des sujets didactiques, ici les enseignants, sur le débat au cycle 3, et plus précisément leur pratique de débats en lecture-littérature, en sciences et en philosophie ? Assimilée aux méthodes des sciences humaines et sociales, la question des méthodologies en didactique est longtemps restée peu traitée avant d’être constituée plus récemment comme un questionnement nécessaire, voire crucial (Reuter, 2006). C’est en ce sens que Marie-Cécile Guernier (2006, p. 17) peut avancer que la méthodologie est un « axe majeur des recherches actuelles en didactique » auquel est consacré par exemple un séminaire international (PerrinGlorian et Reuter, 2006 ; Lahanier-Reuter et Roditi, 2007 ; Cohen-Azria et Sayac, 2009) Ce chapitre vise à présenter les choix méthodologiques qui ont permis la constitution de notre document de recherche, son traitement et son analyse. Partons de la définition d’une méthode de recherche proposée par Yves Reuter (2006, p. 17): La méthode de recherche peut se définir comme la forme prise par le travail de mise en forme pour tenter de répondre à une question dans une discipline de recherche déterminée. Cette démarche fait nécessairement appel à des familles d’activités reliées entre elles : constitution du document, construction de données, traitement des données, écriture, et est soumise à l’évaluation. Nous pensons en effet qu’il revient au chercheur non seulement d’expliciter les choix qu’il effectue pour élaborer et mettre en œuvre les opérations constitutives de son entreprise, mais qu’il lui revient également de montrer la consistance des liens qui unissent ces opérations. On pourrait d’ailleurs penser que rendre compte et soumettre à la discussion une démarche de recherche participe également d’une méthode scientifique.
Démarche générale retenue
La constitution du document
Par document de recherche, nous entendons les différents documents collectés au moyen d’outils déterminés par les tâches à observer (Reuter, 2006). La constitution du document de recherche n’est pas une tâche hasardeuse e nécessite une réflexion a priori. L’éclairage d’Isabelle Delcambre et Dominique Lahanier-Reuter (2003, p. 127) sur l’unité du document de recherche nous amène à nuancer les données récoltées. Les auteures emploient pour spécifier le document de recherche la dichotomie entre unité « intrinsèque » et unité « extrinsèque » : Nous définirions alors deux types de critères permettant une description du (des) document(s) recueillis : – Unité intrinsèque : 1) la dimension de l’espace constitué lors de la production, de la diffusion ou de l’usage de ce document (plutôt restreint, voir privé vs large, public) 2) la dimension du temps qui s’actualise dans le type des traces collectées (gestes, paroles, écrits éphémères vs gestes, paroles, écrits inscrits dans la durée, etc.) – Unité extrinsèque : 1) l’espace symbolique construit (de la classe à l’extra-scolaire) et sa diversité quantitative ; 2) le temps construit : de la séquence isolée à l’accumulation. Pour le dire autrement, l’unité « extrinsèque » à la différence de l’unité « intrinsèque » des documents, est une unité construite par le chercheur pour faire des documents recueillis divers et variés, un document didactique, « construit pour la recherche en didactique » (ibidem, p. 126). Pour cette deuxième partie, le document de recherche est reconstruit autour des documents écrits que sont les déclarations des acteurs à propos des situations didactiques de débats disciplinaires. Ce premier document de recherche est constitué des déclarations de pratiques des enseignants de cycle 3. Le document ainsi constitué, soit le corpus Questionnaires, nous semble être davantage caractérisé par son espace que par sa temporalité. En effet, la question de la temporalité nous parait être une dimension plus délicate à identifier puisque nous identifions plusieurs temporalités dans ce document de recherche, à savoir la temporalité de l’observation de recherche et la temporalité des séances observées. Ces temporalités ne sont pas similaires, le temps de l’observation de recherche étant plus long que celui des séances observées, notre temps de présence dans les classes observées ne s’étant pas limité aux séances observées pour cette recherche. Par exemple, nous sommes allés dans les classes plusieurs fois avant et après les séances observées. La question de l’espace est plus évidente car « l’espace symbolique » est celui de l’école, plus précisément, la classe de cycle 3. Précisons que nous nous situons dans l’analyse de l’espace des pratiques mais à partir de ce que les sujets didactiques (Reuter, 2010c ; Daunay, 2013a ; Fluckiger, 2013 ; Daunay & Fluckiger, 2011a, 2011b ; Fluckiger & Reuter, 2014) vont en dire.
La construction des données1: la conception du questionnaire
Pour mettre en évidence la reconstruction du genre du débat par les sujets didactiques, les données sont les déclarations des enseignants recueillies par questionnaires (De Singly, 2012). Le choix du questionnaire, premier outil construit dans cette recherche s’est assez vite imposé. Le questionnaire a permis de mettre en évidence deux enjeux. Tout d’abord, il a permis de valider la pertinence des choix quant aux disciplines des débats retenues. Travailler sur le débat en sciences, en lecture-littérature et en philosophie était en effet légitime puisque cela correspond aux pratiques largement représentées, voire les plus significatives pour la lecture-littérature et les sciences (infra, p. 188 et s.). De plus, la comparaison des pratiques de débat dans les trois disciplines retenues avec les mêmes questions posées, a permis de construire des catégories d’analyse. La comparaison de ces catégories a, de surcroit, facilité l’entrée dans les différents espaces disciplinaires. Par contre, des dimensions qui nous semblaient a priori importantes, voire nécessaires, comme le lieu d’exercice (rural ou urbain), l’ancienneté dans le métier ou encore la formation professionnelle suivie, ne semblent plus être significatives. Ces critères sociologiques n’ont effectivement pas été des variables exploitées pour la construction des catégories. Ces données ont, en revanche, permis de mettre en corrélation les représentations des enseignants sur le débat avec leur connaissance des programmes (MEN, 2008). Le questionnaire est bâti en quatre parties117. Une première partie, intitulée « Vous » consiste en des données sociologiques comme l’ancienneté dans le métier et dans le cycle, le lieu d’exercice ainsi que des informations relatives au niveau des formations universitaire et professionnelle. Une deuxième partie, « Votre conception de l’oral », vise à rendre explicite les représentations sur l’oral à l’école. La troisième partie, « Les pratiques de débat », permet de dresser un état des lieux des pratiques de débat au cycle 3. On relève dans cette partie les justifications des pratiques ou le refus des pratiques de débat, les freins à la mise en place des débats en classe, l’organisation spatiale et temporelle de débats ainsi que leur inscription disciplinaire. La dernière partie, intitulée « Les pratiques de débats philosophique, en littérature et en sciences », est scindée en trois sous-parties identiques, chaque partie reprenant les mêmes questions que les questions posées pour la troisième partie. Ce choix permet ainsi la comparaison entre les disciplines des débats. On relève une nouvelle fois les outils du débat, l’organisation matérielle, spatiale et temporelle des débats ainsi que les objectifs visés au cours des débats. Le questionnaire élaboré autour de 92 questions est relativement long118. Notons que les enseignants n’ont pas tous renseigné les 92 questions ; seuls les enseignants mettant en œuvre des débats en philosophie, des débats en lecture-littérature et en sciences ont eu à compléter ces 92 questions, soit 34 enseignants menant les débats dans les trois disciplines. Précisons encore que sur les 92 questions, seules 11 questions sont des questions ouvertes, le reste étant des questions fermées (questions à choix multiples, questions avec des échelles de valeurs, questions nécessitant un choix exclusif ou questions nécessitant un classement de réponses).