Reconstruction de la variation de la concentration en ion CO₃²⁻ des eaux profondes du Pacifique Est tropical au cours des transitions MIS 12 et 11 et MIS 16 et 15
Les carottes de sédiment marin ont permis de mettre en évidence la forte variabilité du climat au cours des derniers 800 ka et au‐delà. Ainsi, au cours du Pléistocène supérieur, on observe de grands cycles, qualifiés de glaciaires‐interglaciaires de par la présence de calottes plus ou moins étendues aux hautes latitudes, avec une cyclicité de l’ordre de 100 000 ans (Hays et al., 1976). Cette variabilité se caractérise par de fortes variations du volume des glaces et de la température, et aussi par de fortes variations des concentrations en gaz à effet de serre dans l’atmosphère, comme l’ont montré les enregistrements des carottes de glace antarctiques (Petit et al., 1999 ; Jouzel et al., 2007 ; Luethi et al., 2008) (Figure 69). Ces grands cycles montrent une très forte corrélation entre volume des calottes de glace et concentration en CO2 de l’atmosphère. Or l’atmosphère est un réservoir de carbone relativement restreint par rapport à l’océan, principal réservoir avec lequel elle peut échanger du carbone aux échelles de temps décennales à millénaires. Ainsi, on suppose que la majorité du carbone relargué dans l’atmosphère au cours des différentes déglaciations provient de l’océan, et notamment de l’océan profond.
De nombreuses études ont porté sur la reconstruction de la variation du contenu en carbone de l’océan profond au cours de ces grandes transitions du Pléistocène supérieur. Mais les proxies étaient le plus reconstruites à partir du seul pourcentage en CaCO₃ des sédiments (e.g. Farrell and Prell, 1989; Hodell et al., 2001). L’hypothèse à la base de cette approche, est que la teneur en CaCO3 des carottes sédimentaires dépend essentiellement des processus de dissolution/préservation, et donc de l’état de saturation des eaux de fond. Or, la teneur en CaCO3 des sédiments ne dépend pas que des changements de la dissolution elle dépend également de la productivité de particules calcaires en surface ainsi que de la dilution par les particules non‐carbonatées (e.g. argiles, silice biogène). Quelques études plus récentes ont utilisé des proxies plus quantitatifs et plus directement associés à la saturation des eaux de fond comme le poids des tests de foraminifères, le rapport Mg/Ca des foraminifères benthiques, le rapport Zn/Ca ou encore l’isotopie du bore (e.g. Broecker and Clark, 2001 ; Elderfield et al., 2006 ; Marchitto et al., 2005 ; Hönisch et al., 2008, respectivement), chacun de ces proxies présentant leurs avantages et leurs inconvénients que nous détaillerons dans ce chapitre.
Dans le cadre de cette thèse, nous nous sommes intéressés à reconstruire l’évolution de la concentration en ion carbonate dans l’océan pacifique profond au cours de deux déglaciations, les transitions entre les stades isotopiques marins MIS 12/11 et MIS 16/15. Entre 400 et 800 ka, les variations de la pCO2 atmosphérique durant les déglaciations était de l’ordre de 80 ppm, tandis que pour les transitions plus récentes (0‐400 ka) cette variation était de 100 ppm (Figure 69). Nous avons donc choisi d’étudier deux transitions qui sont chacune typique de ces deux périodes : transition MIS 16/15, associée à un changement de 80ppm de la pCO2 atmosphérique, et la transition MIS 12/11, qui est la première du Pleistocène supérieur à montrer une variation pCO2 de 100 ppm. L’objectif de cette étude est de mettre en évidence les variations de la concentration en ion carbonate au cours de ces deux transitions, ainsi que les différences entre les deux transitions qui seraient à même d’expliquer la différence de variation de pCO2 observée. Pour mener à bien ce genre d’étude, les sédiments déposés dans l’océan Pacifique constituaient une cible privilégiée. En effet, l’Océan Pacifique profond n’est que peu impacté par les variations de circulation océanique au cours des déglaciations. Contrairement à l’Océan Atlantique, par exemple, où les changements glaciaires/interglaciaires s’accompagnent d’importantes variations dans l’importance relative et la composition de plusieurs masses d’eaux très contrastées (e.g. North Atlantic Deep Water, Antarctique Bottom Water), l’Océan Pacifique profond est plus représentatif des changements de composition chimique à grande échelle de l’océan mondial.