Reconstruction a partir d’un corpus vidéo de situations de classe de chimie

Reconstruction a partir d’un corpus vidéo de situations de classe de chimie

Cadre théorique relatif aux connaissances des enseignants

L’enseignant est tenu pour être un des facteurs les plus importants dans l’apprentissage des élèves (Abell, 2007), mais quelles caractéristiques des connaissances de l’enseignant sont cruciales pour favoriser l’apprentissage des élèves ? Est-ce qu’un enseignant qui a de bonnes connaissances en sciences enseigne mieux les sciences ? Pour répondre, entre autres, à ces questions, la recherche en éducation s’est penchée, depuis de nombreuses années, sur les connaissances des enseignants. Fenstermacher, cité par (Abell, 2007), a développé une classification de ces recherches dans laquelle il distingue celles portant sur les connaissances à propos de l’enseignement (connaissances formelles) de celles acquises par les enseignants au cours de leur activité d’enseignement (connaissances pratiques). La recherche des années 60 et 70 sur l’enseignement des sciences s’inscrit dans le premier courant, définissant les connaissances des enseignants comme un élément statique (une compétence ou une qualification) d’une catégorie plus large : les caractéristiques des enseignants. Ces caractéristiques sont comparées à la pratique des enseignants ou aux productions des élèves. Dans ce premier courant, la professionnalité enseignante était l’objet de recherches et l’accent était mis sur la production d’une « base de connaissances » pour identifier les connaissances formelles nécessaires à l’enseignement. Dans les années 80, la recherche sur les connaissances des enseignants a changé grâce à de nouveaux programmes de recherche. Dans ces programmes, les enseignants étaient vus comme les « connaisseurs » et l’intérêt s’est porté sur leurs connaissances professionnelles ; ces travaux se situent dans le deuxième courant de la classification de Fenstermacher. La perspective est donc passée des connaissances à propos de l’enseignement produit par des tiers aux connaissances des enseignants construites par les enseignants. L’enseignant est donc vu comme détenteur et producteur de son propre savoir. Bien qu’appartenant à ce même courant de recherche, les travaux de Shulman (1986) se différencient du reste de ces travaux en ce qu’ils cherchent à répondre à la question : Quelles connaissances sont essentielles pour enseigner ? Pour cela, il étudie des enseignants de différentes disciplines (anglais, sciences, etc.). Ses travaux ont porté sur les connaissances des enseignants relatives à la fois à leur discipline et à l’enseignement. Ces Les connaissances professionnelles de l’enseignant : Reconstruction à partir d’un corpus vidéo de situations de classe de chimie 28 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas de Modification 2.0 France (http:// creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/) – CROSS David – Université Lyon 2 – 2009 travaux marquent de ce fait un tournant dans la recherche sur les bases de connaissance des enseignants. Ce qui suit présente un modèle de connaissances de l’enseignant fondé sur les travaux de Shulman. Ce modèle ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté des chercheurs en didactique et plusieurs de ses paramètres font débat. Nous préciserons donc notre point de vue et le modèle retenu. 

Le modèle de Shulman

Shulman est parti du constat que les investigations portant sur les connaissances des enseignants portaient soit sur les connaissances disciplinaires, soit sur les connaissances pédagogiques. Pour Shulman, ces recherches ne permettaient pas de répondre à une question essentielle : quelles connaissances sont nécessaires pour enseigner la chimie ? l’histoire ? etc. Il a donc proposé un modèle des connaissances des enseignants permettant de répondre à cette question. Ce modèle permet de distinguer différents types de connaissances de l’enseignant et de les catégoriser. Ces catégories forment la base de connaissances5 (knowledge base) de l’enseignant dont la structure fait débat. Shulman lui-même a proposé plusieurs versions de la catégorisation des connaissances de l’enseignant. Carlsen (1999) en a répertorié pas moins de quatre. Ainsi, dans son article de 1987 (Shulman, 1987) le modèle présenté comprend les catégories de connaissances suivantes : Curriculum, Apprenants et apprentissages, Pédagogie, Connaissances Pédagogiques liées au Contenu, Philosophie buts et objectifs, Contexte et Connaissances disciplinaires. Dans un article précédent (Shulman & Sykes, 1986), des catégories supplémentaires sont présentes : Culture générale et Aptitude à la communication, et une autre ne l’est pas encore : la catégorie Contexte. La typologie constituant la base de connaissances proposée par Grossman (Abell, 2007) (Figure 7) est directement issue des travaux de Shulman, tout en reprenant de nombreux travaux sur les connaissances d’enseignants de sciences ; elle semble donc bien acceptée par la communauté des chercheurs en éducation. Dans ce modèle, les connaissances des enseignants peuvent appartenir à quatre catégories en relation entre elles : 5 Le terme de base de connaissance est issu du paradigme cognitiviste, qui n’est pas le nôtre. Nous conservons toutefois ce terme pour des raisons de clarté. Nous discutons plus loin de l’utilisation de ce modèle au sein d’un paradigme de la cognition située.  Figure 7 Catégories de connaissances professionnelles de l’enseignant d’après Grossman. ∙ Les connaissances du contenu disciplinaire : il s’agit des connaissances que l’enseignant est chargé d’enseigner aux élèves, mais ses connaissances disciplinaires ne se limitent pas à celles qu’il doit enseigner. Les connaissances du contenu disciplinaire peuvent être de deux natures : elles peuvent porter sur l’organisation des concepts, faits, principes et théories ou bien sur les règles régissant les preuves utilisées pour généraliser et justifier les connaissances produites par la discipline (Schwab, cité dans Abell, 2007). ∙ Les connaissances pédagogiques font référence aux connaissances générales de l’enseignant à propos de l’enseignement, sans être liées à un contenu disciplinaire. Par exemple on peut citer les connaissances mises en œuvre par l’enseignant lorsque celui-ci désire ramener le calme dans la classe. ∙ Les connaissances sur le contexte regroupent les connaissances que possède l’enseignant à propos de l’origine de ses élèves (classe sociale etc.), du type Les connaissances professionnelles de l’enseignant : Reconstruction à partir d’un corpus vidéo de situations de classe de chimie 30 Sous contrat Creative Commons : Paternité-Pas de Modification 2.0 France (http:// creativecommons.org/licenses/by-nd/2.0/fr/) – CROSS David – Université Lyon 2 – 2009 d’établissement dans lequel il enseigne etc. et qu’il prend en compte dans son enseignement. ∙ Les connaissances pédagogiques liées au contenu (Pedagogical Content Knowledge, PCK) : ce sont les connaissances que développe un enseignant pour aider les élèves à comprendre et apprendre un contenu. Une de ces catégories de connaissances a tout particulièrement attiré l’attention des chercheurs en éducation : les connaissances pédagogiques liées aux contenus (PCK).

Les PCK

Initialement le concept de PCK a été introduit par Shulman (1986; 1987) comme une forme particulière de connaissances du contenu, transformées dans le but d’enseigner. Shulman a décrit cette transformation comme survenant lorsqu’un enseignant réfléchit de manière critique sur un contenu et l’interprète, trouve des manières de le présenter (analogies, métaphores, problèmes, expériences …) et adapte son enseignement aux capacités et aux idées des élèves. Pour Shulman, les PCK peuvent se voir comme un amalgame entre des connaissances pédagogiques et des connaissances disciplinaires. Depuis, le concept a été repris de nombreuses fois et ce que la notion de PCK recouvre est devenu flou (Berry, Loughran, & Driel, 2008; Hashweh, 2005). Le débat qui dure depuis plus de 20 ans porte essentiellement sur deux points : la spécificité des PCK vis-à-vis du contenu et la nature des connaissances qui les constituent. Nous présentons dans un premier temps les principaux arguments de ce débat. Puis, dans un second temps, notre intérêt se portera sur le modèle retenu pour notre travail/recherche avant de nous intéresser au modèle que nous avons retenu pour notre travail.

Un débat qui rend flou la notion de PCK

Comme nous venons de le préciser, deux points sont au centre des débats sur les PCK. Nous regarderons donc comment différents auteurs ont traité les questions relatives à la spécificité des PCK par rapport au contenu, et la nature des connaissances qui constituent ces PCK. 

Des connaissances spécifiques à un contenu ?

La première étude à avoir identifié les PCK les définit comme étant les connaissances spécifiques d’un contenu que l’enseignant développe et accumule en relation avec l’enseignement de ce contenu (Hashweh, 2005). Au fur et à mesure, les PCK sont passées de connaissances spécifiques d’un contenu à des connaissances plus générales. Pour certains auteurs les PCK ne sont donc plus liées à un contenu. A l’opposé de cette tendance, certains chercheurs insistent sur la spécificité des PCK vis-à-vis du contenu. Ainsi, van Driel, Verloop, & de Vos (1998) notent que « in our view, the value of PCK lies essentially in its relation with specific topics 6 » (page 691). Nous suivons Hashweh lorsqu’il dit qu’une PCK est, par définition, liée à un contenu. Ceci implique qu’une connaissance pédagogique qui n’est liée à aucun contenu particulier. Par exemple, la situation au cours de laquelle un enseignant varie les activités dans la classe pour que les élèves ne s’ennuient pas, ne constitue pas une PCK. La question qui se pose maintenant est de savoir s’il est possible de distinguer une PCK spécifique d’une PCK générale. Un modèle a été proposé par Veal et McKinster (1999), il s’agit d’une taxonomie 6 De notre point de vue, l’intérêt des PCK réside essentiellement dans leurs relations vis-à-vis d’un contenu spécifique.  des PCK, représentée par la figure 8, qui a été construite à partir de la littérature sur le sujet. Il y apparait différents niveaux de généricité de PCK correspondant à différents niveaux de découpage du savoir. Ce découpage provient de l’organisation des savoirs à l’école : au niveau le plus général, ceux-ci sont regroupés en disciplines (histoire, sciences …), chacune regroupée en domaines (chimie, physique …) qui eux-mêmes contiennent des thèmes (oxydoréduction, acides et bases …). A chacun de ces niveaux est associé un type de PCK. Les connaissances qui ne sont liées à aucun contenu en particulier, et qui sont susceptibles d’être mises en œuvre par tous les enseignants (peu importe ce qu’ils enseignent), sont appelées connaissances pédagogiques. Le but du travail de Veal et McKinster (1999) était d’homogénéiser les termes employés et de proposer un modèle de généricité des PCK. Dans ce modèle, le degré de généricité ou de spécificité des PCK se caractérise par un découpage du contenu auquel elles sont liées ; or ce découpage du contenu pose problème. Il suppose en effet que des frontières soient attribuées aux connaissances et que celles-ci soient regroupées en entités (thèmes, domaines, disciplines). Ce découpage nécessite de faire appel à une référence ou un point de vue. Veal et McKinster ont choisi le découpage en œuvre à l’école. Or cette référence est extérieure à la classe : un enseignant de physique peut faire un rappel de mathématiques à ses élèves, et ce faisant, être susceptible de mettre en œuvre des PCK liées à la fois au domaine de la physique et des mathématiques. Imaginons un enseignant de chimie qui introduit la relation mathématique entre le pH d’une solution et la concentration en ion H3O + présent dans cette solution, cette relation s’écrit : pH = –log[H3O + ] Si l’enseignant, lors de l’introduction de cette relation rappelle aux élèves les relations suivantes : alors il est possible de dire qu’il a mis en œuvre une PCK concernant les difficultés des élèves vis-à-vis des propriétés algébriques de la fonction logarithme. Cette PCK est liée à la fois à un contenu mathématique (la fonction logarithme) et est utilisé pour l’enseignement d’un contenu de la chimie (relation entre le pH d’une solution et la concentration en ion H3O + ). Ces contenus n’ont pas forcément le même degré de spécificité et n’appartiennent pas à la même discipline. Le modèle de Veal et McKinster ne permet pas de caractériser convenablement ce genre de PCK. Morge (2003) propose une caractérisation des PCK en fonction de la situation dans laquelle les PCK sont mises en œuvre. Il définit des PCK locales, comme étant liées à une situation spécifique, et des PCK globales, comme étant liées à une situation plus générale. Reprenons notre exemple de l’enseignant de chimie : la PCK correspondant au rappel sur les propriétés algébriques de la fonction logarithme est dite locale s’il ne la met en œuvre que lors de cet enseignement. Nous verrons comment nous traitons ce problème de la spécificité des PCK en fonction du contenu lorsque nous présenterons le modèle de PCK retenu. 

Table des matières

Contrat de diffusion
Remerciements
Introduction
Chapitre 1 : Problématique
1.1. De l’intérêt d’étudier les connaissances professionnelles
1.2. Nécessité d’une nouvelle approche
1.3. De l’intérêt d’utiliser des données issues d’enregistrements vidéo
1.4. Caractérisation des connaissances
1.5. Synthèse de la problématique
Chapitre 2 : Cadre théorique
2.1. Cadre théorique relatif à l’action
2.1.1. Quel paradigme pour l’analyse de l’action de l’enseignant ? . .
2.1.2. L’action de l’enseignant dans sa classe
2.2. Cadre théorique relatif aux connaissances des enseignants
2.2.1. Le modèle de Shulman
2.2.2. Les PCK
2.2.3. Connaissances professionnelles et action
2.3. Caractérisation des PCK
2.3.1. Caractériser les PCK à partir du savoir
2.3.2. Caractériser les PCK à partir de la mise en œuvre du savoir
2.4. Synthèse du cadre théorique
Chapitre 3 : Questions de recherches et méthodologie
3.1. Questions de recherche
3.1.1. Questions relatives à la reconstruction des TPC à partir de l’action.
3.1.2. Questions relatives à la caractérisation des TPC en lien avec le savoir
3.1.3. Questions relatives à la méthodologie de reconstruction des TPC
3.2. Méthodologie
3.2.1. Présentation du cas
3.2.2. Données
3.2.3. Présentation de la méthode d’analyse
3.3. Conclusion de ce chapitre
Chapitre 4 : Analyse des épisodes interactionnels en termes de systèmes d’activité
4.1. Mise en évidence de la cohabitation, au sein de la classe, de deux systèmes
d’activité
4.1.1. Méthode d’analyse des devoirs
4.1.2. Résultats de l’analyse en fonction des six critères retenus
4.1.3. Caractérisation des sujets Bac et non-Bac
4.2. Caractérisation des épisodes interactionnels en fonction des systèmes d’activité à l’œuvre
4.2.1. Le contrat didactique de la classe
4.2.2. Typologie des questions d’élèves
4.2.3. Mots clés issus de la caractérisation des épisodes interactionnels en fonction des systèmes d’activit
Chapitre 5 : Analyse des épisodes interactionnels en fonction du savoir
5.1. Analyse en fonction de la vie du savoir dans la classe .
5.1.1. Chronogénèse
5.1.2. Mésogénèse
5.1.3. Topogénèse
5.2. Analyse des épisodes interactionnels en termes de la nature du savoir en jeu
Chapitre 6 : Reconstruction des TPC
6.1. Méthode de reconstruction pour chaque type de TPC
6.1.1. Connaissances sur les difficultés des élèves
6.1.2. Connaissances sur les stratégies d’enseignement
6.1.3. Connaissances sur les buts et valeurs de l’enseignement
6.1.4. Connaissances sur le curriculum
6.1.5. Connaissances sur l’évaluation
6.2. Triangulation des TPC issus de la méthode de reconstruction
6.3. Quelques réflexions d’ordre méthodologique
6.3.1. Caractérisation de la méthode de reconstruction
6.3.2. Communiquer les TPC reconstruites
6.3.3. Caractéristiques du savoir en jeu dans les épisodes ayant permis de reconstruire des TPC
6.4. Reconstruire des TPC à partir des caractéristiques d’un ensemble d’épisodes interactionnels
Chapitre 7 : Mise en œuvre des TPC et reconstruction de PCK
7.1. Mise en œuvre des TPC .
7.1.1. Vue globale des TPC mises en œuvre dans la séquence
7.1.2. Répartition des TPC en fonction de leur caractère global ou local
7.2. Buts et valeurs
7.3. Curriculum
7.4. Stratégies
7.5. Difficultés
7.6. Deux niveaux d’analyses : niveau du thème et de l’épisode
7.7. Reconstruction des PCK
7.8. Retour sur les catégories de TPC
Chapitre 8 : Résultats
8.1. De l’action aux connaissances des enseignants (TPC et PCK)
8.1.1. Intérêt de prendre en compte des buts pour reconstruire des TPC
8.1.2. Description de la situation en termes de mise en œuvre du savoir
8.1.3. Description de la situation en termes de niveau de modélisation du savoir
8.1.4. Reconstruction des PCK à partir de TPC
8.2. Type de TPC mises en œuvre et caractérisation des TPC
8.2.1. Type et nombre de TPC mises en œuvre dans un enseignement de chimie
8.2.2. Caractérisation des TPC à l’aide de la mise en œuvre du savoir
8.2.3. Caractérisation des TPC à l’aide des niveaux de modélisation du savoir en jeu
8.3. Caractérisation de la méthode d’analyse
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Annexe I : Transcription du discours de la classe
Transcription de la séance du / / 6
Transcription de la séance du 23 / /6
Transcription de la séance du 3 / / 6
Transcription de la séance du 5 / / 6
Transcription de la séance / / 6
Transcription de la séance / / 6
Transcription de la séance du / 1 / 7
Transcription de la séance du / 1 / 7
Annexe II : Correspondance entre les symboles utilisés dans les graphes cohésitif et les mots clés
Annexe III : Cohésitivité et contribution des individus pour les graphes d’implications
Vue globale des TPC mis en œuvre dans la séquence
Analyse des TPC de la catégorie « Buts et valeurs »
Analyse des TPC de la catégorie « Curriculum »
Analyse des TPC de la catégorie « Stratégies »
Analyse des TPC de la catégorie « Difficultés »
Discussion sur la méthode de reconstruction
Reconstruire des TPC à partir des caractéristiques d’un ensemble d’épisodes
interactionnels
Reconstruction des PCK

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