Reconnaissance automatique de l’émotion à partir de signaux EEG

Nous ressentons chaque jour de manière involontaire une grande variété d’émotions. Elles peuvent différer de par leur intensité ou leur caractère positif ou négatif. Ressentir une émotion, c’est un moteur dans la réflexion, l’appréciation ou encore la créativité, mais peut également, notamment dans le cas d’émotions négatives comme la peur, être un frein à certaines de nos actions.

Avoir la possibilité de connaître l’émotion ressentie par une personne, c’est aussi avoir la potentialité de lui venir en aide en suivant l’évolution de ses souffrances liées à des phobies dans le cadre d’un système cherchant à les en soulager. Cela peut par exemple concerner des personnes âgées en perte de mobilité et qui s’exposent à la crainte d’une perte de stabilité et donc d’une chute dans leurs déplacements. On peut également citer le cas de personnes souffrant d’apathie, c’est-à-dire qui ne sont plus en mesure de ressentir des émotions. Ce système, c’est celui que vise à créer le projet européen VERVE  (Vanquishing fear and apathy through E-inclusion) dans lequel s’est inscrit une majeure partie de cette thèse.

Ce n’est que depuis peu que l’informatique affective s’est emparée de l’électroencéphalographie (EEG) afin de l’intégrer dans les systèmes de reconnaissance automatique de l’émotion. Bien que son utilisation soit plus accessible que les moyens d’investigation de l’activité cérébrale utilisés en neurosciences (PET  , MEG  , IRM  ), elle demande à faire face à quelques obstacles si l’on souhaite en faire une utilisation convenable. Tout d’abord, d’un point de vue pratique, le système d’acquisition est lourd à mettre en place, certains casques pouvant compter jusqu’à 256 électrodes (BioSemi ActiveTwo  ). Les signaux EEG sont également facilement sujets à différents artefacts. De simples actions, tel que cligner des yeux ou serrer la mâchoire, sont sources de bruits dans le signaux enregistrés.

Hormis ces problèmes pratiques, un autre problème d’un point de vue théorique est également présent. Alors que les systèmes de reconnaissance de tâches motrices sont effectués indépendamment du sujet enregistré, les systèmes de reconnaissance d’activités cognitives telles que l’émotion présentent une difficulté majeure : les résultats obtenus sont dépendants au sujet. On peut remarquer que la plupart des travaux dans la reconnaissance automatique de l’émotion est réalisée pour chaque sujet de manière dépendante [Horlings et al., 2008; Koelstra et al., 2012; Schaaff and Schultz, 2009b; Wang et al., 2014b]. Ceci est du au fait que ressentir une émotion est une tâche subjective, les réactions provoquées par un même stimulus varient d’une personne à l’autre. Quelques travaux s’aventurent toutefois dans des systèmes de classification qui ne présentent pas de dépendance au sujet, mais les résultats obtenus ne sont pas significativement plus convaincants dans cette condition comme le montrent les travaux de Wang et al. [2014b] et Jatupaiboon et al. [2013b].

Le problème de l’utilisation d’une telle modalité est amplifié par le fait que la mise en place d’un enregistrement de signaux EEG est lourd en temps et en énergie, ce qui conduit souvent à des corpus disposant soit d’un faible nombre de participants ou bien d’une quantité de sessions ou d’essais assez limités. On peut également citer comme autre grande contrainte le peu de données disponibles pour chaque participant. Il faut donc pouvoir s’y adapter, notamment grâce à un modèle de validation croisée que l’on peut intégrer dans l’architecture de classification.

Il est néanmoins important de noter que l’EEG présente l’avantage de pouvoir contenir des informations sur des activités internes liées au phénomène émotionnel, tout en étant acquis par un système non-invasif. Les autres signaux physiologiques, qui s’attachent à être un recueil de manifestations extérieures, ne sont quant à eux que le reflet de modifications du comportement des organes internes.

Tous ces éléments amènent à adopter différentes stratégies afin de mettre en place un système de reconnaissance optimal.

La reconnaissance des émotions est habituellement approchée comme un problème de classification où le choix de caractéristiques appropriées est critique pour s’assurer d’une précision de reconnaissance satisfaisante. A l’heure actuelle, concernant les caractéristiques extraites à partir des signaux d’EEG, un consensus n’a pas été établi quant à un ensemble de caractéristiques appropriées qui pourrait garantir une caractérisation réussie des émotions chez un sujet humain. Il est toutefois reconnu dans le domaine des neurosciences qu’une grande quantité d’information pertinente est véhiculée par les propriétés spectrales des signaux EEG, où les différents types d’activités humaines résultent en différents motifs spectraux dans des bandes de fréquences spécifiques.

L’utilisation de dispositifs d’enregistrements de signaux d’EEG se démocratise et ils possèdent un nombre de plus en plus réduit d’électrodes en devenant de même plus mobiles avec l’apparition de casques d’acquisition de signaux EEG sans fil. La problématique dans la reconnaissance des émotions à partir de signaux EEG peut alors être envisagée sous l’angle d’une application grand public, à savoir dans le cadre d’un dispositif allégé pouvant aller éventuellement jusqu’à une configuration mono-canal.

Concernant l’étude des travaux existants, les premières questions que l’on vient à se poser sont comment définir une émotion et par quels moyens se manifeste t-elle ? Le phénomène émotionnel est complexe et touche à de nombreux domaines. L’informatique affective s’est appliquée à étudier une grande variété de manifestations de l’émotion chez l’homme par le biais de modalités variées. Ce n’est que plus récemment que des systèmes de reconnaissance des émotions basés sur l’EEG ont émergés et avec eux l’apparition de corpus dédiés à cette application.

En amont de la création d’un corpus de données liées à l’émotion il est nécessaire de se pencher sur les facteurs qui peuvent influencer l’expérience. La littérature est riche en ce domaine et les préalables présentés dans un premier temps font état de nombreuses réflexions qui prennent appui sur les théories psychologiques de l’émotion. Deux étapes sensibles interviennent dans la mise en place d’un protocole expérimental lié à l’émotion, à savoir la méthode employée pour éliciter l’émotion et la retranscription de l’émotion ressentie par le sujet. Ces travaux nous permettent, par le biais de discussions, d’apporter des solutions aux problématiques auxquelles on doit faire face dans le cadre de la création d’un corpus.

Les manifestations émotionnelles sont aussi bien physiques que psychiques. C’est cette dernière manifestation qui est reflétée par les informations contenues dans les signaux EEG. Le dernier chapitre est consacré à une étude comparative des descripteurs existants et de descripteurs proposés dans le cadre d’un système de reconnaissance des émotions basé sur l’EEG. Cette étude cherche à mettre en évidence la caractérisation de ces manifestations émotionnelles par le biais de descripteurs pertinents pouvant contenir des informations temporelles, spatiales et/ou fréquentielles. La spécificité de ce système tient notamment à la recherche d’une configuration allégée des données EEG pouvant aller jusqu’au mode mono-canal.

Table des matières

1 Introduction
1.1 Introduction
1.2 Vers un système de reconnaissance automatique des émotions basé sur l’EEG
1.3 Objectifs et Contributions
1.4 Organisation du document
2 La reconnaissance des émotions : Etat de l’art et Préalables
2.1 A la recherche de l’émotion
2.1.1 Une définition possible ? Les théories de l’émotion
2.1.2 Le cerveau et les émotions
2.1.3 Bilan et discussion
2.2 Le point de vue en informatique affective et les différentes modalités pour la reconnaissance des émotions
2.2.1 Les signaux physiologiques périphériques
2.2.2 Les signaux audio-visuels
2.2.3 Les signaux EEG
2.2.4 Les systèmes multi-modaux
2.3 Une vue d’ensemble des systèmes précédents pour la reconnaissance des émotions basée sur l’EEG
2.3.1 Les pré-traitements des signaux EEG
2.3.2 Le système de classification
2.4 L’expérience des émotions
2.4.1 Retranscrire l’émotion
2.4.2 Eliciter une émotion
2.5 Les corpus existants
2.5.1 ENTERFACE’06 [Savran et al., 2006]
2.5.2 DEAP Dataset [Koelstra et al., 2012]
2.5.3 MAHNOB-HCI [Soleymani et al., 2012a]
2.5.4 Discussion
2.6 Conclusion
3 EMOGEE : un nouveau corpus pour la reconnaissance des émotions basée sur l’EEG
3.1 Introduction
3.2 Stratégie d’élicitation : les stimuli
3.2.1 Dimensionnement des stimuli
3.2.2 Stimuli visuels statiques
3.2.3 Stimuli audio-visuels
3.3 L’installation expérimentale
3.3.1 Le système matériel
3.3.2 Le protocole expérimental
3.4 Stratégie d’annotation
3.4.1 Annotation statique
3.4.2 Annotation dynamique
3.5 Les données enregistrées
3.6 Analyse statistique des annotations
3.6.1 Analyses des annotations sur les stimuli visuels
3.6.2 Analyse des annotations sur les stimuli audio-visuels
3.6.3 Bilan
3.7 Conclusion
4 Conclusion

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