L’analyse du sujet
Soit donc le sujet : Faut-il être seul pour être soi-même ? J’imagine que certains ont déjà envie de répondre par oui ou par non… C’est exactement ce qu’il faut éviter de faire. Comment répondre en effet à une question sans savoir précisément ce qui nous est demandé ? La dissertation est d’abord un exercice de lecture et lire n’est pas seulement déchiffrer des mots mais chercher à comprendre, le crayon à la main, ce qui est précisément écrit. Avant de répondre à une question, il faut l’interroger car elle n’est jamais simple. Ainsi, pour notre sujet : qu’est-ce que signifie être seul ? N’y a-t-il pas plusieurs sens à cette expression ? Que veut dire être soi-même ? Le verbe falloir n’a-t-il pas plusieurs sens en français ? etc. C’est pour cela qu’il faut respecter scrupuleusement les étapes suivantes :
• Repérer d’abord, en les soulignant, les mots et expressions clef et entourer les mots qui donnent sens à la question. Dans notre exemple, nous obtenons le résultatsuivant :
• Définir très précisément les mots et expressions soulignés. Être seul, c’est bien sûr être sans les autres mais la solitude peut revêtir des formes très diverses :
o Il y a d’abord la solitude volontaire et temporaire de celui qui s’isole quelques minutes, voire quelques heures mais en vivant ordinairement avec les autres
o Il y a ensuite la solitude toujours volontaire mais durable de l’ermite qui s’isole pour de nombreuses années
o Il y a la solitude involontaire de Robinson qui, à la suite d’un naufrage, se retrouve sur une île déserte pendant 20 années mais après avoir connu l’éducation que procure une existence sociale
o Il y a la solitude involontaire de l’enfant sauvage qui commence dès la petite enfance
o Enfin, pourquoi ne pas envisager aussi ce cas très particulier de solitude qu’est l’autisme quand l’individu se trouve isolé des autres dans la forteresse que crée la maladie mentale ?
On le voit une réponse trop rapide qui ignore l’interrogation nécessaire du sujet nous aurait fait passer à côté de biens des aspects de notre question. Qu’est-ce, maintenant, qu’être soi-même ? L’expression est paradoxale. Puis-je être autre chose que moi-même ? Etre soi- même, c’est d’abord être son être propre, authentique, pensant et agissant librement et non comme les autres. Être soi- même, c’est être le sujet de ses pensées et actions et non en train de copier, d’imiter autrui. Se pose donc la question de la coïncidence avec soi-même sans contamination par la personnalité d’autrui. Etre soi-même, c’est ne pas être aliéné puisque l’aliénation est la perte de soi dans un autre. Dans l’aliénation mentale, par exemple, le fou n’est plus lui-même. Mais on peut aussi parler de l’aliénation sociale, du conformisme qui fait que chacun perd son authenticité dans le nivellement social. Les passions aussi peuvent être aliénantes. Ne dit-on pas de l’homme en colère qu’il est « hors de lui » et celui- ci s’excuse après coup : « je n’étais plus moi-même, je ne savais plus ce que je faisais ». Être soi-même, c’est donc aussi se dominer, se maîtriser.
• Définir les expressions et mots entourés. Dans notre exemple, qu’est-ce que signifie « faut-il »? Le verbe falloir a deux sens en français. Il peut signifier « être nécessaire » (est-il nécessaire d’être seul pour être soi-même ?) ou « être de mon devoir de » (est-il de mon devoir d’être seul pour être moi-même ?). On voit aisément que le sens moral importe peu ici. La question posée est donc de savoir si la solitude est nécessaire à l’authenticité, à la coïncidence de soi avec soi. Remarque importante : il faut toujours faire très attention avant d’éliminer un des sens d’un mot du sujet. Dans un premier temps, tous les sens doivent être examinés.
• A ce moment de l’analyse, on peut rechercher la réponse spontanée à la question posée. Quelle est la réponse la plus évidente que je peux donner à cette question que je commence maintenant à comprendre ? Il semble évident que la réponse est affirmative. Comment puis-je en effet être assuré d’être vraiment moi-même sans subir l’influence d’autrui, sinon dans la solitude ? Mais justement, les réponses spontanées sont rarement les bonnes et c’est du reste pour cela qu’il importe de les repérer.
• Repérer les présupposés éventuels de la question. Ils sont importants pour éviter le hors sujet mais n’existent pas toujours. Ici, il est plus ou moins présupposé qu’il est possible d’être soi-même. La question de cette possibilité n’est donc pas ce qui est fondamentalement en question.
• Repérer les notions du programme concernées. Ici le sujet concerne la question de la conscience et celle d’autrui. Deux notions au moins sont donc concernées.
• Enfin, reformuler la question, de préférence et quand cela est possible sous la forme d’une alternative (ou bien …ou bien) qui met bien en évidence les deux thèses fondamentales et opposées auxquelles ouvre la question. Ici, les deux thèses sont les suivantes :
o Ou les autres m’empêchent d’être et constituent un obstacle à mon authenticité
o Ou, au contraire, c’est par l’existence sociale et le contact avec autrui que se constitue mon être.
On pourra donc formuler la question de la façon suivante : les autres sont-ils le ferment de la constitution de soi, ou, au contraire, l’obstacle qui m’empêche d’être ?
Cette analyse de la question, maintenant terminée, nous a pris du temps et nous n’avons pas encore traité le moins du monde le sujet. Sachez bien qu’il ne s’agit pas d’un temps perdu et que si vous ne procédez pas ainsi à l’examen vous courez à la catastrophe. Le hors sujet est le défaut le plus grave d’une dissertation.
Rechercher les idées et faire un plan
La recherche des idées se fait au brouillon. A l’examen vous ne disposerez d’aucun document et ne pourrez-vous fier qu’à vos souvenirs de cours ou de lecture… et à votre intelligence. La philosophie consiste avant tout à penser par soi-même. À vous donc de vous interroger et il n’est pas d’autre méthode que de noter soigneusement au brouillon toutes les idées que le sujet vous évoque. Néanmoins, vos professeurs apprécieront vos éventuelles connaissances philosophiques et, puisque nous ne sommes pas ici à l’examen, je vous propose quelques références qui pourront nourrir votre réflexion. Une première piste possible consiste à reprendre les différents sens du mot solitude que nous avons repérés. En ce qui concerne d’abord la solitude temporaire et volontaire, on pourra trouver des éléments intéressants de réflexion chez Heidegger (auteur malheureusement difficile) sur le thème du nivellement social et de ce qu’il appelle la « dictature du On » (Être et temps), et aussi chez Schopenhauer. On pourra aussi se référer au thème de la mauvaise foi chez Sartre et notamment du célèbre épisode du garçon de café ( L’être et le néant », 1ère partie, chapitre 2) où Sartre montre comment nous sommes conduits face aux autres à jouer une comédie, un personnage. Le thème de la robinsonnade a été abordé dans un roman de lecture facile : Vendredi ou les limbes du Pacifique de Tournier dont je vous recommande vivement la lecture. L’incontournable livre de Lucien Malson, Les enfants sauvages vous éclairera sur ce que ferait réellement de nous l’absence totale de contact social.
Enfin La forteresse vide de Bettelheim permettra d’étudier l’autisme. On pourra se référer aussi aux auteurs qui ont insisté sur le rôle d’autrui dans la constitution de soi : Hegel, Lacan et aussi la thématique du regard chez Sartre. Encore une fois, tout ceci est donné à titre indicatif et il est tout à fait possible, quoiqu’un peu risqué, de construire une dissertation sans référence philosophique. Une fois vos idées trouvées, il faudra les mettre en ordre et constituer un plan. À vous de voir ce qu’il est logique d’aborder en premier. Rappelez-vous que la thèse que l’on défend est toujours la dernière abordée dans le devoir et qu’il faut d’abord commencer par celle que l’on va réfuter, que les parties doivent être équilibrées c’est à dire être d’à peu près même longueur. Le nombre de vos parties est libre. Certes la dissertation idéale suit un plan en trois parties (mais on n’exige pas de vous une dissertation idéale). Vous pourrez n’en faire que deux ou aller jusqu’à quatre. N’allez pas au-delà néanmoins car il n’est pas réaliste de vouloir mener une dissertation de plus de quatre parties dans le temps imparti à l’examen. Quant à ne pas faire de partie du tout, cela signifierait que votre dissertation n’a pas de plan et n’est donc pas une dissertation. Pour le sujet qui nous occupe, vous trouverez ci-dessous une proposition de plan. Attention ! il ne s’agit en aucun cas d’un modèle. Il y a toujours plusieurs cheminements possibles et celui qui vous est proposé n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Si certains points de ce plan ne vous semblent pas clairs (un plan est toujours un rapide résumé), pas de crainte, un corrigé complet suivra.
La nécessité de la solitude pour être soi-même
1) La société, c’est le nivellement
• La « Dictature du On » chez Heidegger
• Schopenhauer montre que l’authenticité passe par la solitude
2) L’être et le paraître
• Autrui ne voit pas ma conscience mais l’apparence extérieure de moi.
• Je peux donc être conduit à paraître, à jouer un rôle, un personnage comme le montre l’exemple du garçon de café chez Sartre qui joue à être ce garçon de café parce que c’est ce que les autres attendent de lui.
• Si je confonds l’être et le paraître, si je crois que ce personnage à l’usage d’autrui, c’est moi, alors je suis de mauvaise foi et je ne peux plus être moi-même
3) Société et individualité.
• Il est vrai que la société exerce une contrainte sur nous comme le montrent les analyses des sociologues Tardes ou Durkheim
• Néanmoins la société ne fait pas de nous des robots. Nous ne sommes pas tous semblables et chacun a son originalité. Ne faut-il pas alors dépasser cette analyse ? Que serais-je sans les autres?
Que suis-je sans les autres ?
1)L’enfantsauvage
Montrer ici que l’enfant sauvage doit à son isolement de n’avoir pas constitué de personnalité. La privation sociale ne nous fait pas être nous-mêmes.
2)L’autisme
En s’isolant, l’enfant autistique se constitue une forteresse vide, c’est à dire qu’en l’absence de relation avec l’autre la personnalité, le Moi, disparaît. L’enfant autistiquenepeutêtrelui-même.
3)Larobinsonnade
Montrer ici à partir du roman de Tournier comment la solitude ronge progressivement les facultés de Robinson. La conscience de soi et celle des choses
nécessitent la présence d’autrui qui manque à Robinson.
Si sans les autres nous ne sommes rien, il faut conclure que c’est autrui qui nous constitue. Comment le fait-il ?
Comment l’autre me constitue-t-il ?
1) Autrui et le développement de la personnalité
On développera ici les analyses de Lacan et notamment comment l’enfant constitue une personnalité séparée de celle de sa mère par le rapport avec son père dans la situation œdipienne. On pourra aussi se référer aux analyses de Hegel sur le thème delareconnaissance.
2)Leregard
A travers la thématique du regard chez Sartre, on montrera comment l’autre me fait exister, me dévoile à moi-même. La pièce Huis-Clos, où l’on voit comment la mauvaise foi des personnages ne résiste pas au regard d’autrui et oblige les protagonistes à révéler qui ils sont pourra servir d’illustration.
3) Autrui est-il une condition suffisante pour être soi-même
Il s’agit ici de montrer que si autrui est une condition nécessaire pour être soi, il n’en est pas une condition suffisante. On peut se laisser aller au piège du conformisme. Socrate, qui reste soi jusque dans la mort, constitue une exception.