Recherche du phénotype H déficient ou Oh
Bombay
LE SYSTEME DE GROUPE SANGUIN ABO
Antigène et phénotype du système ABO Par convention, les phénotypes érythrocytaires du système ABO sont définis par le ou les antigènes présents sur les hématies. Ces antigènes sont révélés par l’agglutination des hématies par les anticorps correspondants. Il existe de façon constante dans le sérum des anticorps (dits naturels) correspondant à l’antigène absent du globule rouge. Les phénotypes sont donc définis à la fois par l’antigène globulaire et l’anticorps sérique. Le groupage sanguin comporte donc deux étapes : la recherche des antigènes érythrocytaires à l’aide de sérums-tests monoclonaux anti-A, anti-B, anti-A+B la recherche des anticorps plasmatiques à l’aide d’hématies-tests A1 et B. La concordance entre ces deux épreuves est impérative. Cette double caractéristique antigènes/anticorps est à la base des techniques immunohématologiques de détermination des groupes sanguins et constitue une règle absolue pour le biologiste. Les phénotypes A et B se notent en nomenclature internationale respectivement ABO:1,-2,3 et ABO:-1,2,3. Le phénotype O (ABO:-1,-2,-3) correspond à l’absence des antigènes A et B et découle de l’allèle O entrainant une enzyme non fonctionnelle. Il est à noter que le groupe A est constitué de deux sous-groupes principaux A1 et A2 (80% de sujets A1 et 20% de sujets A2), très peu différents l’un de l’autre. La distinction entre A1 et A2 n’a aucun intérêt sur le plan transfusionnel ou obstétrical. Néanmoins, dans la nomenclature internationale, une différence de terminologie est à noter avec l’ajout de l’antigène A1 (ABO4). Ainsi le groupe A1 et A2 se notent respectivement ABO :1,-2,3,4 et ABO :1,-2,3,-4. Il existe également d’autres sous-groupes de A et de B, mais de faible fréquence, et se caractérisant par des réactions affaiblies ou nulles à l’épreuve globulaire. 11 Ces phénotypes affaiblis sont dus à des enzymes A ou B altérées du fait de mutations au niveau de leurs allèles correspondants. Ces patients sont classiquement transfusés en concentrés globulaires de groupe O. 2. Biochimie du système ABO Les voies de synthèse biochimique des antigènes du système ABO ont été progressivement comprises à partir des années 50 essentiellement à la suite des travaux des équipes de Kabat et de Morgan et Watkins [8]. Ce sont des sucres situés sur la partie terminale d’oligosaccharides reliés à des glycoprotéines membranaires du globule rouge (protéine de bande 3 majoritairement) ou à des glycosphingolipides (membranaires ou solubles), ou libres. Les antigènes se forment grâce à l’action d’enzymes spécifiques codées par le gène ABO. Ces enzymes sont des glycosyltransférases. La synthèse des antigènes fait intervenir plusieurs gènes distincts qui codent tous pour des glycosyltransférases agissant de façon séquentielle pour catalyser la synthèse de ces déterminants. Ces diverses glycosyltransférases ont une structure identique : une partie aminoterminale transmembranaire hydrophobe et une région extramembranaire Cterminale, où se trouve localisée l’activité catalytique. Chaque allèle produit une enzyme spécifique capable de fixer un sucre spécifique sur une structure précurseur H : la glycosyltransférase A ou N-acétylgalactosamine transférase fixe une Nacétyl-D-galactosamine sur la substance de base H. La différence entre les antigènes A1 et A2 résulte des différentes cinétiques des transférases et de l’affinité qu’elles ont pour leur substrat (les allèles A1 et A2 codent pour des enzymes de même spécificité, mais qui ont quelques différences de comportements biochimiques) ; la galactosyltransférase B ou D-galactose transférase fixe un D-galactose sur 12 la substance de base H ; pour le groupe O, la substance de base H n’est pas modifiée. La protéine synthétisée par l’allèle O étant non fonctionnelle. Sur une hématie, il y a donc des chaînes plus ou moins ramifiées, plus ou moins substituées. Ainsi un sujet A exprime encore un peu de H. Si un sujet possède les allèles A et B, il produit les deux enzymes, le globule rouge aura alors des chaînes A et des chaînes B. La représentation biochimique des antigènes du système ABO est présentée dans la figure 1 suivante : Figure 1 : Structure des antigènes H, A et B Les antigènes H, A et B ne sont pas seulement présents sur les hématies, mais également sur les cellules de l’organisme à l’exception des hépatocytes, du tissu conjonctif, des cellules de Malpighi, de l’os et de la cornée. Ils sont également sécrétés dans le plasma et dans de nombreux liquides biologiques. L’expression des antigènes A ou B nécessite la présence d’une substance de base dont la biosynthèse est contrôlée par deux gènes différents en fonction de sa localisation tissulaire : FUT1 (allèle H/h) et FUT2 (allèle Se/se) codant pour une 13 même enzyme la fucosyltransférase qui ont des spécificités de substrat différentes pour synthétiser l’antigène H, structure précurseur indispensable à la synthèse des antigènes A et B. 3. Base génétique du système ABO La base moléculaire du système ABO, codant pour les enzymes A et B, a été mise en évidence par Yamamoto et al. en 1990 [9] [10]. Le gène ABO est localisé sur le chromosome 9 (9q34) et comprend sept exons, dont les cinq premiers sont de très petite taille (respectivement 53 pb, 70 pb, 57 pb, 48 pb et 36 pb). La quasi-totalité de la séquence codant le site catalytique est contenue dans les exons 6 et 7, plus longs (134 pb et 1181 pb). Ces derniers codent à eux seuls pour la plus grande partie de la protéine enzymatique. Le gène s’étend sur 20 kb et code pour une glycoprotéine transmembranaire de 354 acides aminés. Les allèles A1 et B ne diffèrent que par 7 mutations nucléotidiques dont quatre entraînent un changement d’acide aminé en positions 176, 235, 266 et 268 comme indiqué dans le tableau 1 suivant : Tableau I : Différence dans la séquence protéique entre le transcrit de l’allèle A1 et B 176 235 266 268 Allèle A1 Arginine Glycine Leucine Glycine Allèle B Glycine Sérine Méthionine Alanine 14 L’allèle A2 diffère de l’allèle A1 par une mutation C467T (Proline156leucine), ainsi que par une délétion d’une cytosine entre la position 1059 à 1061. Ceci entraîne une extension du cadre de lecture de 64 nucléotides. La séquence d’acides aminés est prolongée de 11 acides aminés (365 au lieu de 354). Quant à l’allèle O, l’élément fondateur essentiel est une délétion de la guanine en position 261 au sein de l’exon 6 qui entraîne un décalage du cadre de lecture et l’apparition d’un codon stop prématuré. Ceci aboutit à une protéine tronquée de 117 acides aminés (au lieu de 354), dépourvue du site catalytique. De plus les bases moléculaires de nombreux variants faibles ont été rapportées. Ainsi 27 allèles A, 15 allèles B et au moins 26 allèles O sont aujourd’hui décrits, sans tenir compte de plusieurs allèles hybrides qui ont été également rapportés.
LE SYSTEME DE GROUPE SANGUIN H
Antigène H1
L’antigène H1 est le substrat accepteur commun des glycosyltransférases A et B pour la formation des antigènes du système ABO. Il s’agit d’une structure fucosylée: α-L-fucosyl-(1,2)-β-D-galactosyl dont la synthèse est catalysée par des α-(1,2)-fucosyltransférases [11]. Ces enzymes catalysent la fixation d’un fucose sur le carbone 2 d’un disaccharide précurseur, lui-même appartenant à une glycoprotéine ou un glycolipide. Cette étape biochimique est indispensable pour que les enzymes A et B puissent agir à leur tour. À la suite de l’action de ces dernières enzymes, l’antigène H sera donc en partie ou presque totalement transformé. L’antigène H1 est exprimé dans la lignée endothéliale et érythrocytaire par le gène FUT1, dans les sécrétions, dans le plasma et dans certains tissus épithéliaux (digestif, urinaire, respiratoire). L’expression de H dans les tissus et les sécrétions a dans un premier temps été considérée sous le contrôle d’un gène régulateur Se, pour “sécréteur”. L’existence de deux α-(1,2)-fucosyltransférases structurellement différentes en fonction des tissus a été suggérée par Lemieux, en 1978, sur la base de différences stéréochimiques entre les précurseurs de type 1 et de type 2 [12]. Cette hypothèse fut appuyée par Oriol et al. , en 1981 [13]. Plusieurs études biochimiques corroborèrent enfin cette hypothèse par la suite, aboutissant à la conception actuelle de la synthèse de l’antigène H1. Il s’agit donc d’un antigène pouvant être synthétisé par deux enzymes différentes, en fonction du tissu et du substrat accepteur, ces enzymes étant codées par deux gènes structurels différents mais homologues et rapprochés du point de vue génétique: FUT1 (H) dans les dérivés mésodermiques (lignée érythrocytaire, endothélium) FUT2 (Se) dans les dérivés endodermiques (épithéliums digestifs et pulmonaires, glandes sécrétrices).
Biochimie du système H
La protéine FUT1 (H)
La protéine FUT1 est une α-(1,2)-fucosyltransférase exprimée au niveau de la lignée érythroïde et de l’endothélium. Elle est composée de 365 acides aminés. C’est une enzyme transmembranaire ancrée dans l’appareil de Golgi. Structurellement, elle est constituée d’un domaine cytosolique NH2-terminal de 8 acides aminés, d’un domaine transmembranaire de 15 acides aminés et d’un grand domaine extra-membranaire de 340 acides aminés. L’activité catalytique semble “concentrée” sur les 333 acides aminés terminaux. 16 Figure 2 : Réaction catalysée par FUT1 b) La protéine FUT2 (Se) Dans les tissus dérivant de l’endoderme, l’expression et la sécrétion des antigènes A, B, et H est sous la dépendance de l’enzyme FUT2, également appelée Se pour “sécréteur”. Cette protéine est fonctionnelle chez 80% des sujets européens qui sont, de ce fait, dits “sécréteurs”. Les autres ne présentent dans les sécrétions aucun antigène ABH, ils sont “non sécréteurs”. Structurellement la protéine FUT2 est quasiment la même que FUT1. Elle est composée de 343 acides aminés bien qu’une isoforme plus courte du côté NTerminal cytoplasmique faisant 332 acides aminés ait été prise pour référence dans la littérature. Cependant il s’agit de l’isoforme de 343 AA qui est la référence au niveau des bases de données moléculaire en ligne 17 3. Base génétique du système H c) Gène FUT1 (H) Afin d’obtenir de l’ADNc correspondant à la glycosyltransférase H, Ernst a transfecté, dans une lignée cellulaire de souris déficiente pour la transférase H, des fragments d’ADN génomique humain. L’analyse par Southern-Blot des transfectants H positif a permis de mettre en évidence des fragments de restriction dont le plus grand code pour la transférase H [14]. En 1990, la même équipe a décrit la séquence de la fucosyltransférase H. La séquence codante prédisait une glycoprotéine transmembranaire à activité enzymatique, probablement résidente de l’appareil de Golgi (comme les autres glycotransférases). Ce gène fut nommé FUT1 pour FucosylTransférase-1. En 1994, Kelly et al. déterminèrent la structure génomique et la séquence de l’allèle “sauvage” de FUT1, et la comparèrent à un sujet de phénotype H:-1 et un sujet H:W1 [15]. Les premières mutations causant un phénotype H déficient étaient alors publiées. Kelly a rapporté pour la première fois les bases moléculaires des phénotypes Bombay et para-Bombay. Il a mis en évidence, au niveau de la séquence d’un allèle Bombay, désormais identifié FUT1 948G, six différences par rapport à la séquence de l’allèle sauvage FUT1. Le gène est localisé sur le chromosome 19 en 19q13.3. Il s’étend sur moins de 9Kb et possède 8 exons. d) Gène FUT2 (SE) Le clonage du gène FUT2 (ou gène SE, «sécréteur») intervint en 1995, après celui de FUT1. Rouquier et al. clonèrent le locus où se situe FUT1, mettant en évidence deux séquences extrêmement homologues liées à FUT1, nommées Sec1et Sec2 (pour Secretor candidate 1 et 2) [16]. L’étude de l’expression des transcrits et du séquençage de Sec1 et Sec2, révéla que l’α-(1,2)-fucosyltransférase responsable 18 du statut sécréteur est codée par Sec2 qui prit alors le nom de FUT2 [17]. Quant à Sec1, l’absence de transcrit correspondant et la présence de codons stop dans le cadre de lecture établirent qu’il s’agissait d’un pseudogène. Figure 3 : Représentation du locus « H » Le gène FUT2, de 3,1 kb, possède 2 exons. Le premier exon non codant, tandis que le deuxième contient toute la séquence codante. FUT1 et FUT2 sont identiques sur 70% de leurs séquences et sont séparés par 35,5 kb. L’identité de séquence entre FUT1 et FUT2 est surtout visible au niveau de la zone catalytique, à partir des 292 derniers acides aminés des protéines. Il s’agit ainsi également d’une glycoprotéine transmembranaire de type II.
LES PHENOTYPES ERYTHROCYTAIRES H-DEFICIENTS
Le phénotype “Bombay” En 1952, le Docteur Bhende a montré que les hématies d’un patient de la ville de Bombay n’étaient pas agglutinées par les sérums-test polyclonaux anti-A, anti-B, anti-AB ou anti-H. En revanche, son sérum contenait un anti-A, un anti-B et un puissant anti-H [18]. La première hypothèse avancée pour expliquer ce phénotype “Bombay” ou Oh a été celle d’un allèle supplémentaire ABO mais d’autres auteurs ont imaginé i 19 l’implication d’un gène suppresseur indépendant du gène ABO. En 1955, Levine a démontré, grâce à une étude familiale, que l’anomalie était probablement due à l’implication effective d’un autre gène qu’ABO puisque les descendants présentaient des phénotypes ABO classiques. Il a envisagé l’intervention d’un gène “X” (allèle silencieux “x” chez les sujets Bombay) dont l’implication est nécessaire pour que les gènes ABO puissent à leur tour permettre la fabrication des antigènes A ou B [19]. Il est devenu rapidement évident que les gènes “H” et “X” étaient les mêmes, le gène “x” identique au gène “h” et de nombreux autres exemples ont permis de confirmer la ségrégation indépendante des gènes H et ABO. Le phénotype “Bombay” ou “Oh” est ainsi défini, aujourd’hui, comme d’absence totale d’antigène H sur les hématies et dans les sécrétions (phénotype H:-1) associée à la présence d’un anticorps anti-H puissant. Sa base moléculaire a été mise en évidence en 1997 par Koda et al. [20] : l’étude de plusieurs indiens de phénotype «Bombay» a révélé de façon homogène la présence d’une mutation faux-sens de FUT1 à l’état homozygote: c.725T>G entraînant le remplacement de la leucine en position 242 par une arginine. Il était également mis en évidence une délétion du gène FUT2 (allèle sedel) expliquant le statut non sécréteur de ces sujets. La prévalence du phénotype “Bombay” en Inde est estimée à un pour 10.000 (0,01%) [2] [21]. Cet haplotype [FUT1:c.725T>G / sedel] devant être à l’état homozygote pour que le phénotype s’exprime, une prévalence haplotypique élevée est attendue. En réalité, la prévalence élevée de ce phénotype récessif résulte en Inde des mariages “consanguins” qui sont culturels. La prévalence du phénotype “Bombay” est beaucoup plus faible dans le reste du monde. Cette mutation FUT1:c.725T>G n’a pour l’instant était retrouvée que chez des sujets d’origine indienne ou du pourtour de l’Océan Indien. Des phénotypes H-déficients “totaux” H:-1 ont déjà étaient décrits en Europe mais les bases moléculaires étaient à chaque fois différentes [22] [23]. Ce 20 phénotype présenterait une prévalence de un pour 300.000 sujets européens selon Wagner [24].
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