Recherche d’optimisations dans la production de cellules souches embryonnaires murines

Introduction

Contexte professionnel

Les séquençages des génomes de l’homme et de la souris ont révélé que 99% des gènes murins ont un gène de fonction équivalente chez l’homme. Parmi ceux-ci, 90% ont la même fonction dans les deux espèces tout en conservant 75% de colinéarité synténique (ordre des gènes conservé) et 80 % ont un gène orthologue chez l’homme avec certains gènes dont la séquence est intégralement conservée. Le développement de techniques de génie génétique adaptées au génome de la souris, l’existence de lignées de cellules souche embryonnaire de souris et ces nombreuses similitudes génétiques que partage la souris avec l’Homme ont fait de la souris un modèle de prédilection pour l’étude des pathologies humaines et la caractérisation intégrale de notre génome. Pour accélérer le développement de modèles in vivo, le consortium international IKMC (International KnockOut  Mouse Consortium) a lancé trois programmes internationaux : KOMP (KnockOut Mouse Project), EUCOMM (European Conditional Mouse Mutagenesis) et NorCOMM (North American Conditional Mouse Mutagenesis) qui se coordonnent pour produire 20000 modèles conditionnels. Parmi ces modèles, 12000 sont des « gene trap » qui permettent d’inactiver un gène tout en reportant son expression, et 8000 sont des modèles de mutations géniques responsables de pathologies (Belizário et al., 2012).

Le Centre d’Immunophénomique

Le Centre d’Immunophénomique (CIPHE) s’intègre à cet effort scientifique international en réalisant des prestations des programmes EUCOMM et KOMP. En tant qu’unité mixte de service de l’INSERM d’AixMarseille Université et du CNRS, le CIPHE réalise différentes prestations de biotechnologie pour des structures académiques et privées. Le CIPHE propose des prestations de création de souris génétiquement modifiées, leur hébergement, leur cryoconservation et leur phénotypage. L’expertise du CIPHE est composée d’une cinquantaine de personnes réparties sur les cinq plateformes technologiques du centre : la plateforme GEMTis (Genetic Engineering and Mouse Transgenesis) qui crée des lignées de souris génétiquement modifiées, les équipes d’hébergement et de zootechnies, un service de cryopréservation, et deux plateformes de phénotypage dont une dédiée aux analyses d’animaux infectés par des pathogènes de risque biologique de niveau 3.

La plateforme GEMTis

Mon équipe, la plateforme GEMTis, utilise les techniques de la transgénèse par recombinaison homologue qui combinent les domaines de la biologie moléculaire, de la biologie cellulaire et de la transgénèse. Cette plateforme est constituée de trois services répartis par domaine d’activité. Le service de biologie moléculaire construit les vecteurs de ciblage génique qui sont par la suite utilisés par le service de biologie cellulaire, dans lequel je travaille, pour obtenir des cellules souches embryonnaires murine (mESC) porteuses de la mutation souhaitée. La dernière étape, réalisée par le service de micro-injection consiste en la micro-injection des mESC mutées dans des embryons au stade blastocyste et leur réimplantation dans des souris pseudogestantes. A l’issue de la gestation nous obtiendrons les premières souris chimères porteuses de la mutation.
La nouvelle lignée murine est établie lorsque ces souris chimères transmettent à leur descendance l’information génétique des cellules ES injectées. Depuis la création de la plateforme, nous nous efforçons d’améliorer continuellement nos prestations. Souhaitant valoriser nos efforts, nous avons mis en place un système de management de la qualité selon la norme ISO9001, pour lequel nous sommes certifiés depuis 2014.

Mise en place d’une procédure de contrôle de la pluripotence

Au vu du nombre de prestations fournies par la plateforme chaque année et de l’importance que revêtent les cellules ES dans un projet de modification génique par recombinaison homologue, il est indispensable de pouvoir maitriser leur qualité. En culture in vitro le maintien de la pluripotence est primordial pour l’obtention de la lignée murine porteuse de la mutation. Puisqu’il dépend des procédures de culture utilisées nous devons disposer de tests fiables pour évaluer la qualité de nos cellules ES tout au long des différentes étapes de leur manipulation. Mon objectif est de mettre en place une procédure de contrôle pour mesurer rapidement et facilement l’état de pluripotence cellulaire. Ceci nous permettrait de valider de nouvelles lignées de cellules ES et d’optimiser nos instructions de travail. Le but de cette démarche est d’augmenter l’indépendance, l’expertise et donc la performance de la plateforme GEMTis. Pour respecter les contraintes de productivité, le temps, le  budget et la quantité de matériel biologique nécessaire seront pris en compte pour choisir les types de contrôles à mettre en place. Par exemple, un test peu coûteux, nécessitant peu de matériel biologique et rapide à mettre en œuvre nous permettra d’installer un contrôle de « surveillance », destiné à être fréquemment utilisé. A l’inverse, si le test mis en place est long, onéreux et utilise une grande quantité de cellules il s’agira  d’un contrôle utilisé de manière ponctuelle pour la « validation » de nouvelles lignées ES, de nouvelles procédures ou lors de l’identification de dysfonctionnements récurrents.

Contexte scientifique

La théorie cellulaire

La biologie cellulaire a débuté au 17e siècle lorsque les technologies de microscopie furent assez perfectionnées pour observer des cellules végétales. Robert Hooke, scientifique de cette époque utilisa le terme « cellule » pour définir l’unité de base des tissus végétaux ( Hooke, 2005). A la fin du 19e siècle William Turner rédigea une synthèse des découvertes scientifiques réalisées dans le domaine de la biologie cellulaire  qu’il intitula « La théorie cellulaire ». Martin Barry découvrit en 1838 la cellule originelle des organismes vivants qu’est le zygote. Il observa le développement embryonnaire du lapin décrivant un amas cellulaire  ressemblant à une mûre ouvrant la voie à la biologie de développement (Turner, 1890).

Le développement de l’embryon précoce

Lors de la fertilisation, les pronucléus mâle et femelle fusionnent pour créer un noyau diploïde (figure n°1). Cette première cellule diploïde nommée zygote contient des facteurs épigénétiques et transcriptionnels clés, hérités de l’oocyte, qui régule le développement précoce. Le basculement du zygote dans le programme de développement embryonnaire se produit quand la transcription s’initie à la fin du stade zygotique ou au stade 2 cellules (Solter, 2006). Cette transcription est suivie par le développement préimplantatoire pendant lequel six cycles de division cellulaires transforment le zygote en blastocyste (Surani et al., 2007). Au cours de ces cycles se forme la morula à 3 dpc (day post coïtum), puis la blastula formée de 64 cellules et le blastocyste préimplantatoire composé d’environ 128 cellules (Belizário et al., 2012; Chou et al., 2008). Le blastocyste représente le premier stade embryonnaire où deux types cellulaires distincts peuvent être identifiés : les cellules de la masse cellulaire interne (Inner Cell Mass) d’où sont issues les cellules ES et les cellules du trophoblaste, composant la couche externe, qui vont uniquement former les annexes extraembryonnaires (Gan et al., 2007). Le rôle du trophoblaste est de permettre l’implantation du blastocyste dans la paroi utérine et de former les annexes extra embryonnaires (figures n°1 et 5). Après implantation dans la paroi utérine, l’ICM commence à former l’épiblaste du stade « egg cylinder » (figure n°1). Sous l’influence des tissus extra embryonnaires cet épiblaste initiera l’étape de gastrulation pendant laquelle il formera les lignages germinaux de l’embryon qui sont l’endoderme, le mésoderme et l’ectoderme (Chou et al., 2008; Nichols and Smith, 2009; Surani et al., 2007) (figure n°2). A la suite de l’implantation dans les embryons femelles, les cellules de l’épiblaste commencent à s’orienter vers les différents lignages embryonnaires (Nichols and Smith, 2009) lorsqu’un de leurs deux chromosomes X qui s’inactive (Heard, 2004). Chez les mammifères, seuls le zygote et les blastomères de l’embryon au stade « deux cellules » sont totipotents (Solter, 2006; Kelly, 1977) et peuvent générer tous les tissus embryonnaires  et extra-embryonnaires. Les cellules de l’ICM ont été cultivées in vitro sous le nom de cellules souches embryonnaires (Embryonic Stem Cells). Ces cellules sont qualifiées de pluripotentes car elles peuvent produire tous les types cellulaires d’un organisme, mais demeurent incapables de générer le lignage du trophoblaste.

Un Marqueur Spécifique : les Phosphatases Alcalines

Mulnard en 1955 a reporté la présence de phosphatases alcalines (PAL) chez les embryons de mammifères aux stades préimplantatoires. Depuis cette découverte, les PAL ont été au centre de très nombreuses études, visant à identifier les caractéristiques spatiotemporelles de leur expression (Dehghani et al., 2000). En 1973 Edward G Bernstine fait une corrélation entre l’expression des phosphatases alcalines mesurées dans les tératocarcinomes et leur composition cellulaire (Berstine et al., 1973). Il observe dans les cellules de carcinome embryonnaire une expression des PAL jusqu’à cent fois supérieure à celle des cellules somatiques. Suite à leur différenciation les cellules de carcinomes embryonnaires expriment nettement moins de PAL. Cette enzyme est détectée à la surface des cellules embryonnaires des stades 2-4 cellules jusqu’au stade blastocyste, où l’expression se localise sur les cellules de l’ICM (Johnson et al., 1977; Mulnard and Huygens, 17 1978). Les PAL se concentrent dans les zones intercellulaires des cellules pluripotentes : les jonctions ICMtrophoblastes sont dépourvues de PAL, alors que les jonctions ICM-ICM sont riches  en PAL au même titre que les jonctions inter-blastomèriques (figure n°4). Au bout de cinq jours de développement les cellules de l’ectoderme primitif conservent une expression des PAL similaire à celle de l’ICM tandis que les cellules de l’endoderme et du trophectoderme expriment une quantité de PAL qui décroit au fil de leur différenciation. La PAL devient le premier marqueur des cellules pluripotentes. En 1989 il a été découvert que la PAL présente chez l’embryon est biochimiquement différente des isozymes connus jusqu’alors (Dehghani et al., 2000). Ce nouvel isotype nommé EAP (Embryonic Alkaline Phosphatase) est codé par le gène Akp5.

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