Recherche de signes de conscience chez des malades non communicants

Recherche de signes de conscience chez des malades non communicants

Introduction

 Comprendre les bases neurales et les mécanismes neurophysiologiques de la conscience est un défi neuroscientifique et médical majeur. Dans ce but, nous allons décrire, dans un premier temps les propriétés et les particularités de la conscience notamment son aspect polysémique. En effet, nous distinguerons état conscient et accès conscient ; l’accès conscient ne pouvant survenir que chez un sujet en état conscient. Nous verrons, alors, le caractère nécessaire mais non suffisant de la vigilance pour l’émergence de la conscience. Nous examinerons ensuite les enseignements fournis par la comparaison état non conscient d’origine diverse (coma ou état végétatif, sommeil, sédation profonde)/ état conscient et arriveront à la conclusion que des stimuli peuvent être traités, de façon non consciente, jusqu’à un certain niveau par le cerveau de sujets non conscients, mais que l’état conscient associé à la possibilité d’une prise de conscience de ces stimuli semble reposer sur le caractère fonctionnel d’un réseau d’aires cérébrales associatives hétéromodales frontopariétales. Nous explorerons, alors, les enseignements fournis par la présentation à des sujets sains conscients, de stimuli subliminaux, puis, par la comparaison perception consciente/ perception non consciente, d’un même stimulus, chez de tels sujets. Cela nous permettra, de découvrir que le même réseau d’aires cérébrales associatives hétéromodales fronto-pariétales que celui impliqué dans l’état conscient participe également à l’accès conscient à une information. Nous décrirons alors un certain nombre de modèles de la conscience découlant de l’ensemble de ces données expérimentales. Par la suite, nous noterons et regretterons le fait que les contrastes état non conscient/état conscient explorés jusque-là, ne sont pas minimaux et nous proposerons le contraste, plus adéquat, patients en état végétatif/ patients en état de conscience minimale pour explorer les bases neurales et les mécanismes neurophysiologiques de la conscience. En effet, ces deux populations de sujets présentent l’intérêt d’avoir un niveau de vigilance identique mais un niveau de conscience différent. En explorant ce contraste minimal à l’aide des potentiels évoqués cognitifs et de stimuli auditifs, nous arriverons à la conclusion que ces deux populations de patients sont capables des mêmes traitements non conscients des stimuli présentés, mais que, seul le groupe de sujets conscients présentera un marqueur de la conscience, très spécifique, sous la forme d’une P300b. Nous préciserons que ce marqueur implique la fonctionnalité du réseau d’aires cérébrales frontopariétales cité ci-dessus. Chemin faisant, nous découvrirons un possible nouveau marqueur de la conscience lié à l’attention temporelle ce qui nous poussera à imaginer un paradigme auditif de potentiels évoqués cognitifs permettant l’exploration des relations entre attention 2 spatiale, attention temporelle et conscience. Nous discuterons alors nos résultats au vu des différents modèles de la conscience décrits. Nous présenterons également les résultats obtenus par d’autres équipes de recherche pendant la durée de ce travail de thèse. Enfin, nous ferons quelques critiques de notre travail et proposerons des voies de recherche afin de progresser, encore davantage, dans notre compréhension des bases neurales et des mécanismes de la conscience. 

Les bases neurales de la conscience 

La conscience 

 Une définition opératoire de la conscience 

 Lorsque l’on traite de l’exploration de la conscience, trois éléments essentiels doivent être soulignés. Le premier est que la conscience est subjective, autrement dit, que nous n’avons pas d’accès direct à la conscience d’autrui. Le second est que lorsqu’ un sujet prend conscience d’une information, ce sujet prend, en fait, conscience d’une représentation mentale élaborée par son cerveau. La meilleure démonstration de cette dernière déclaration est l’hallucination. Le sujet halluciné prend conscience d’un objet créé par son cerveau puisque par définition l’hallucination est une perception sans objet à percevoir. Le troisième est qu’une représentation mentale est consciente lorsqu’elle peut faire l’objet d’une rapportabilité c’est-à-dire d’une communication au sujet lui-même ou à son entourage, par un comportement verbal ou non, de la prise de conscience et de l’identité de cette représentation (Naccache and Dehaene, 2007). Un expérimentateur extérieur va donc pouvoir s’appuyer sur ces comportements pour s’assurer qu’un sujet a pris conscience d’une représentation mentale donnée. Il faut également remarquer que le terme de conscience a lui-même une définition ambigüe. En effet, la conscience, au sens intransitif, constitue un état dans lequel le sujet est susceptible de prendre conscience de n’importe quelle information, émanant de lui-même ou de son environnement. C’est ce que l’on nomme l’état conscient. Au sens transitif, la conscience correspond à la prise de conscience d’une information donnée. Par exemple, je prends conscience du fait que je commence la rédaction de mon travail de thèse. C’est ce que l’on nomme le contenu conscient. Ces deux définitions correspondent à deux états physiologiques différents et successifs. En effet, je ne peux pas prendre conscience d’une 3 information donnée (accès conscient) si je n’ai pas atteint un niveau d’éveil ou de vigilance suffisant, autrement dit si je n’ai pas atteint un état dans lequel il m’est possible de prendre conscience de n’importe quelle information (l’état conscient). Ce sont les conditions nécessaires à l’apparition, d’une part, de l’état conscient, et d’autre part, de l’accès conscient, que nous allons explorer maintenant.

La vigilance : condition nécessaire mais non suffisante de la conscience 

Les structures qui permettent un niveau de vigilance nécessaire à l’émergence de la conscience ont été précisées. Le tronc cérébral et le diencéphale sont rapidement apparus comme des structures importantes dans le maintien de la vigilance. Historiquement, dans l’encéphalopathie de Van Economo (1917), les sujets atteints, dormaient anormalement longtemps (20 heures) ne se levant que pour manger et boire. Intrigué par cet état de fait, Van economo mettait en évidence une région située à la jonction entre le tronc cérébral et le diencéphale qui était constamment altérée chez ces patients et qui a donc rapidement été rattachée à l’éveil (Von Economo, 1930). Les travaux de Magoun et Moruzzi en 1949 ont permis de préciser les choses en montrant qu’une lésion bilatérale d’une région située à la jonction de la partie haute de la protubérance et de la partie basse du mésencéphale correspondant au tegmentum ponto-mésencéphalique s’accompagnait d’un désordre de la vigilance. Par conséquent, cette région, connue sous le nom de formation réticulée activatrice ascendante, apparaissait donc indispensable au maintien de l’éveil. Les chats présentant des lésions à ce niveau, de façon bilatérale, présentaient un tracé électroencéphalographique comparable à celui de chats en sommeil profond (Moruzzi and Magoun, 1949). A partir des années 1970, des précisions ont pu être apportées (figure 1). Il existe en effet à la jonction de la protubérance et du mésencéphale un certain nombre de noyaux cellulaires, contenant des neurotransmetteurs, qui sont impliqués dans l’éveil par deux voies essentielles. L’une d’entre elles, provenant des noyaux pédonculo-pontin et latéral dorsal du tegmentum a une influence activatrice sur les neurones de relais thalamiques et une influence inhibitrice sur les neurones réticulaires du thalamus, autorisant les informations extérieures à gagner le cortex. Ces neurones sont actifs pendant la veille et le sommeil paradoxal et le sont, beaucoup moins, en sommeil profond. Ces neurones agissent également sur les noyaux médians et intralaminaires du thalamus dont on sait que l’atteinte bilatérale, secondairement à un accident vasculaire cérébral touchant l’artère de Percheron, génère des troubles de la 4 vigilance, pouvant aller jusqu’au coma. La deuxième voie provient du locus coeruleus (noyau noradrénergique), des noyaux du raphé dorsal et médian (noyaux sérotoninergiques), des noyaux dopaminergiques de la substance grise péri-aqueducale, des neurones histaminergiques de l’hypothalamus postérieur auxquels s’associent les neurones du basal forebrain ou noyau basal de Meynert. L’ensemble de ces structures est responsable de l’activation corticale (Saper et al., 2005). En faveur de cette physiologie de l’éveil, une étude récente (Parvizi and Damasio, 2003), explore les imageries par résonnance magnétique (IRM) de 47 patients ayant présenté un infarctus cérébral touchant le tronc cérébral. Ces auteurs montrent que, sur les neuf patients ayant présenté à la phase aigüe de cet accident un coma, tous avaient des lésions du tegmentum ponto-mésencéphalique, le plus souvent bilatéral (7/9), qui siégeaient, soit dans le tiers supérieur de la protubérance (4/9), soit touchant à la fois la partie supérieure de la Figure 1 : centres et voies de la vigilance : PPT : noyau pédonculo-pontin du tegmentum ; LDT : noyau latéral dorsal du tegmentum, LC : locus coeruleus, vPAG : substance grise péri-aqueducale ventrale, LH : hypothalamus latéral, TMN : noyau tubéromamillaire de l’hypothalamus, BF : basal forebrain ou noyau basal de Meynert, NA : noradrénaline, 5-HT : sérotonine, His : histamine, ACh : acetylcholine, ORX : orexine, MCH : melanin-concentrating hormone, GABA : acide gamma aminobutyrique, DA : dopamine. Une voie activatrice est représentée en orange et l’autre en rouge (figure reprise de Saper et al., 2005) 5 protubérance et le mésencéphale (5/9). Cette étude suggérait donc, de nouveau, l’importance de ces structures du tronc cérébral dans l’apparition et le maintien de la vigilance. Même si, comme nous venons de le voir, la vigilance est une condition nécessaire à l’éveil et à la conscience, des données, issues de la clinique, viennent prouver que cette condition n’est pas suffisante. En effet, certains patients victimes d’agressions cérébrales sévères ont un niveau de vigilance normal, ont des cycles veille-sommeil mais l’examen minutieux et répété de ces patients montre que ces derniers n’ont pas de signes de conscience d’eux-mêmes ou de leur environnement, en dépit d’un niveau d’éveil excellent. Ces sujets sont alors dits en état végétatif. A partir de cet état de fait, la question de savoir, quelles structures et mécanismes étaient nécessaires à la conscience, s’est posée. Deux grandes voies de recherche ont été utilisées pour tenter de répondre à cette question. D’une part, la comparaison, état non conscient d’origine diverse (coma ou état végétatif, sommeil, sédation) / état conscient et d’autre part la comparaison perception non consciente / perception consciente d’un stimulus donné chez des sujets conscients. Ce sont ces 2 approches que nous allons successivement décrire ci-dessous. Avant cela, nous allons décrire très précisément les états de conscience altérée ainsi que différents potentiels évoqués cognitifs explorés tout au long de ce travail

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Description des états de conscience et potentiels évoqués cognitifs explorés 

Les états de conscience altérée

Les états de conscience altérée explorés dans ce travail sont les états végétatifs et les états de conscience minimale. a) Etat végétatif : A la phase aigüe d’une agression cérébrale dont l’étiologie peut être diverse (traumatisme crânien, anoxie, encéphalopathie, accident vasculaire cérébral), les sujets plongent le plus souvent dans un coma c’est-à-dire un état de non réponse dans lequel les sujets sont allongés, ont les yeux fermés, sont non réveillables et ne montrent pas de signes de conscience d’eux-mêmes ou de leur environnement. Le système d’éveil est alors touché directement ou indirectement. 6 Par la suite, dans la majorité des cas, le retour à la conscience se fait de façon rapide. Mais dans un certain nombre de cas, le réveil est plus progressif. Ainsi, un certain nombre de patients vont, dans un délai le plus souvent inférieur à 4 semaines par rapport à la date du début de leur coma et en l’absence de paralysie des troisièmes paires crâniennes, recommencer à ouvrir les yeux d’abord en réponse à des stimuli douloureux puis, de façon spontanée, et va apparaître des cycles veille-sommeil. Dès lors, si malgré cet éveil, les sujets ne montrent pas de signes de conscience d’eux-mêmes ou de leur environnement, les sujets sont dits en état végétatif dont les critères diagnostiques signalés ci-dessous doivent être tous remplis (sauf éventuellement le dernier) pour affirmer un tel diagnostic (Bernat, 2006). 

Table des matières

Introduction
I. Les bases neurales de la conscience
1) La conscience
A) Une définition opératoire de la conscience
B) La vigilance : condition nécessaire mais non suffisante de la conscience
2) Description des états de conscience et potentiels évoqués cognitifs explorés
A) Les états de conscience altérée
a) Etat végétatif
b) Etat de conscience minimale
c) Vers une nécessité d’améliorer la fiabilité du diagnostic
des états de conscience altérée
B) Principaux potentiels évoqués utilisés
a) La négativité de discordance (MMN)
b) L’onde P300
C) La quête des corrélats neuronaux de l’état conscient
a) Comparaison coma/sujet conscient et état végétatif/sujet conscient
1) Comparaison coma/sujet conscient
a. Approche en neurophysiologie
b. Approche en PET
2) Comparaison état végétatif/sujet conscient
a. Approche en neurophysiologie
b. Approche en PET
b) Comparaison sujet à différents stades
de sommeil/sujet conscient
1) Approche en neurophysiologie
2) Approche en TEP
c) Comparaison sujet en sédation profonde/sujet conscient
1) Approche en neurophysiologie
2) Approche en TEP et IRM fonctionnelle
3) La quête des corrélats neuronaux de l’accès conscient
A) La conscience et l’inconscient
a) Le blindsight : un exemple de traitements non conscients
b) Vers l’absence de limites topographiques aux traitements inconscients
1) Techniques d’étude des traitements non conscients chez le sujet normal
2) Un inconscient sans limites
B) Comparaison à stimulus constant des processus
conscients et non conscients
a) Approche en IRM fonctionnelle
b) Approche en électrophysiologie
1) En potentiels évoqués cognitifs
a. En analyse directe
b. Après analyse temps-fréquence
2) Analyse en enregistrements de neurones uniques
c) Importance de l’état du système sur lequel arrive le stimulus
4) Les modèles de la conscience
A) Microconscience, macroconscience et conscience unifiée
B) Le modèle de l’espace de travail global conscient
C) Conscience phénoménale et conscience d’accès
D) Le modèle de l’information intégrée
E) Points communs et divergences
5) Etat des lieux de la comparaison état végétatif/ état de conscience minimale au début de notre travail (fin 2008)
A) Approche en neurophysiologie
B) Approche en TEP et en IRM fonctionnelle
C) Vers l’émergence d’un nouveau paradigme
II. Contribution expérimentale
1) Article 1 : Event-related potentials elicited by violations of
auditory regularities in patients with impaired consciousness :
2) Article 2 : Probing consciousness with event-related potentials in vegetative state
3) Article 3 : Dissociating temporal attention from spatial attention and motor response preparation during an auditory target detection task
4) Article 4 : Article relatif à la valeur pronostique du diagnostic
de VS/MCS (en préparation)
III. Discussion
1) Intérêts pratiques et théoriques de notre travail
A) Avancées pratiques
B) Implications théoriques de ces résultats en termes de
modèle de la conscience
C) Implications théoriques concernant la MMN
D) Des certitudes cliniques parfois friables
2) Limites de notre travail
A) Manque de sensibilité pour détecter la conscience
B) Vers l’émergence d’un marqueur neurophysiologique
de la conscience sensible et spécifique
C) Les facteurs confondants dans l’exploration
de la conscience
D) Un réseau de la conscience distribué ou plus limité
3) Perspectives
Bibliographie
Appendice
A.1 Neurology of consciousness impairments: Brain Disorders
in Critical Illness (chapter 7)
A.2 Information sharing in the brain indexes consciousness
in noncommunicative patients
A.3 Single-trial decoding of auditory novelty responses facilitates the detection of residual consciousness
A.4 Large scale screening of neural signatures of consciousness
in patients in a vegetative or minimally conscious state

projet fin d'etude

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