Jeu vidéo et simulation
Il semblerait que les jeux de simulation à l’instar des serious games soient à même de véhiculer des messages. Ainsi, par exemple, pour le docteur Marc Valleur, psychiatre et médecin chef de l’hôpital Marmottant à Paris, les Sims 374 (Fig.31) seraient porteurs des valeurs consuméristes nord américaines : plus un joueur est riche plus il a d’amis. Will Wright l’auteur de ce jeu de simulation a-t- il réellement cherché à faire passer un message qui prône le système consumériste ? Ou alors, a -t-il cherché tout simplement à reproduire la fonction de l’argent dans les sociétés occidentales pour donner plus de réalisme à son application ? Ce questionnement semble démontrer à lui seul qu’un jeu de simulation peut aussi faire l’objet d’un support pour la diffusion de messages.
Cependant avec la suppression de TOY et des applications de type jouets vidéo de notre corpus, cela semble impliquer ipso facto, que nous ne pouvons plus considérer les jeux de simulations, à l’instar de Sim City, comme des jeux vidéo, d’un point de vue formel. En effet, si nous nous référons à Natkin, celui-ci explique que les jeux de simulations ne présentent pas de fin : « Certains jeux de stratégie sont des simulations écologiques, sociales ou économiques qui n’ont à priori pas de fin. Il s’agit par exemple, de gérer un aquarium, une ville ou un petit peuple virtuel (les fameux Sims). » (p.14)375
Cette absence de fin implique donc une absence d’évaluation. Ce que Natkin semble confirmer en apportant les précisions suivantes : « Dans la plupart de ces jeux, il existe une notion d’échec : mort de tous les poissons, destruction de la ville, perte de toute stabilité sociale. Par contre, la notion de succès est beaucoup plus relative : qu’est-ce qu’un bel aquarium, une ville bien gérée ou une bonne politique sociale ? » (p.14)
Ainsi, les jeux de simulations sont dépourvus de critères pour juger d’une réussite. Le joueur ne peut donc pas dans cette approche gagner. Natkin explique que dans ce contexte : « seule la complexité de l’univers simulé limite la durée de jeu ». (p.14) Approche que semblent partager les frères Le Diberder. En effet pour eux, les jeux de simulations sont définis comme des « jouets logiciels », représentant un « monde », dans lequel le sens du détail est un ingrédient important. Cependant, il n’y a pas dans ces applications d’objectifs clairement établis (p.70)376. Ce dernier point nous renvoie semble t-il, à la notion de paidia, qui contrairement au ludus ne convoque pas de règles de jeu (Cf. chapitre 3 : 2.1). Ainsi les jeux de type simulation, semblent exclure le ludus au profit de la paidia. Nous serions donc plutôt dans l’idée d’un « serious play » que d’un serious game. C’est ce que confirme Frasca : C’est impossible de gagner à Sim City : c’est un jeu de type paidia.377 » (p. 13)378 Ce dernier prend aussi pour exemple l’un des premiers opus du jeu de simulation d’avion Flight Simulator379 (Fig.32) où il n’y a pas de but précis à atteindre. L’utilisateur peut ainsi s’amuser à voler librement (paidea) ou bien décider de se fixer un objectif comme, par exemple, passer à tout prix sous un pont sans s’écraser. (p.13) Dans ce cas nous serions dans le cadre d’un ludus mais introduit de manière cognitive. Ce type d’approche nous renvoie de ce fait à la notion de détournement de jeu vidéo, que nous avons abordé dans le premier chapitre de cette thèse (Cf. chapitre 1 : 2.2). Or cette approche n’est pas selon nous compatible avec la définition globale du serious game que nous avons avancée. (Cf. chapitre 1 : conclusion)
De ce fait, puisque les jeux de simulation ne semblent pas compatibles avec notre approche du serious game, et que contrairement aux jeux vidéo, ils peuvent être vus comme des applications ne présentant pas de but, à l’instar de Sim City, il nous semble préférable d’écarter ces derniers de notre corpus.
Appréhender l’objectif
Ainsi, pour tâcher de nous conformer à une approche formelle du jeu vidéo, afin de rester dans la ligne fixée par Propp, nous nous devons, semble t-il, d’adopter l’approche de Salen et Zimmerman, en considérant que le jeu vidéo implique au moins un objectif que le joueur doit atteindre (Cf. chapitre 3 : 2.2). Frasca semble recouper cette approche puisque qu’il a identifié l’existence de différentes règles liées aux jeux vidéo, dont l’une concernerait l’objectif du jeu380 : les « goal rules ». (p.9) La question que cela soulève à présent pour nous, c’est de savoir comment ces règles s’inscrivent dans un jeu vidéo au niveau formel. En effet, nous avons pour l’instant listé des briques Gameplay. Peut -être devons-nous à présent envisager de les compléter par des « briques goal » ? Pour tâcher de le déterminer, il nous semble que nous devons appréhender ce que représente dans un jeu vidéo la notion d’objectif.
Reprenons Pacman . Dans ce jeu, l’objectif est de manger toutes les pastilles présentes dans le labyrinthe afin de gagner. « Manger » est une approche cognitive. Dans une approche informatique, cela se traduit plutôt par supprimer les instances qui symbolisent les pastilles. La notion de suppression nous renvoyant à notre brique DESTROY. Ainsi, selon nous l’objectif est ici de détruire toutes les pastilles. Ce que l’on pourrait traduire de façon formelle par : DESTROY (Pastilles).[n]
Où [n] est une liste contenant ici un élément représentant la variable n. Celle-ci symbolise le nombre d’instances à détruire pour gagner, et (Pastilles) la désignation de cette instance. Le point reliant [n] à (Pastilles) symbolisant leur rattachement. Si nous prenons à présent le Pong, où le but du jeu consiste à ne pas laisser la balle s’échapper, nous pourrions l’écrire de la façon formelle suivante : AVOID (Balle).[x ; x2]
Ici la liste entre crochet représente les coordonnées horizontales à ne pas atteindre.
Ainsi dans ces deux exemples, l’objectif est à la fois lié à l’une de nos briques gameplay, à une instance et à une liste de variables. De ce fait, il semble qu’il n’y ait pas de brique objectif à identifier puisque les briques Gameplay sont à même de les retranscrire.
Des briques gameplay associées à l’objectif
Cependant, si nos briques Gameplay semblent impliquées dans l’objectif du jeu, nous devons présent, tâcher de savoir si l’ensemble de celles-ci sont bien concernées par une telle approche. Pour cela, nous nous proposons de passer en revue l’ensemble de nos briques pour tenter de leur associer un objectif que l’on pourrait retrouver dans un jeu vidéo. Si nous occultons AVOID et DESTROY que nous venons de prendre pour exemple, il nous en reste huit. En passant en revue l’ensemble des jeux indexés dans V.E.Ga.S., qui contiennent respectivement chacune de ces briques et qui correspondent bien à des jeux vidéo, c’est-à-dire présentant une fin, nous obtenons les retours suivants :
SHOOT : nous n’identifions pas d’objectif associé directement à cette brique. Ainsi si nous prenons, par exemple le jeu Space Invaders, qui propose bien au joueur de tirer sur des vaisseaux ennemis, le but final consiste quant à lui à détruire (DESTROY) tous les ennemis. Le tir semble ici être seulement un moyen d’atteindre ce but.
CREATE : nous observons par exemple des parties de Warcraft 3 , où le joueur a pour quête de construire un certain nombre de bâtiments pour gagner. Ainsi, nous avons ici un but que l’on pourrait retranscrire de manière formelle par CREATE (Bâtiments).[n]
MOVE : nous n’identifions pas d’objectif associé directement à cette brique. Celle-ci est pour nous un moyen d’atteindre un objectif. Ainsi dans l’exemple du Pacman, le joueur doit déplacer son personnage dans le labyrinthe pour détruire toutes les pastilles. Le déplacement constitue donc pour nous un moyen permettant de remplir le but fixé par le jeu.
POSITION : nous recensons des jeux où le but est de positionner un élément à un endroit donné. Ainsi pour le jeu du solitaire, au final, le joueur doit avoir un seul pion en lice et positionner celui-ci au centre du plateau. Nous pouvons retranscrire ce but ainsi : POSITION (pion).[(x,y)]
BLOCK : nous observons par exemple le jeu d’échec, où le but serait de bloquer le roi adverse. Nous pouvons ainsi le retranscrire de manière formelle suivante : BLOCK (Roi) Cependant, après réflexion, nous pouvons aussi considérer que BLOCK n’est finalement qu’un POSITION dont les cordonnées sont relatives à la configuration du jeu. Ainsi, si nous reprenons le jeu d’échec, il faut trouver comment positionner ses pions autour du roi adverse pour le bloquer. Par ce constat nous proposons de fusionner BLOCK avec POSITION et de nommer cette nouvelle brique MATCH. Ce qui nous permet d’élargir sa définition. Celle -ci n’est pas exclusivement réservée à la notion de coordonnées spatiales ou configurations absolues, mais également relatives.
MANAGE : nous ne recensons pas a priori d’objectif associé à cette brique. Selon notre approche, cette dernière ne semble pas correspondre à un objectif. Ainsi, à l’instar du jeu Dungeon Master (Cf. 3.1) où le joueur est effectivement invité ponctuellement à gérer des ressources (nourriture, argent, vêtements, armes, munitions…), cette action constitue pour nous un moyen visant à atteindre le but qui est de trouver la sortie du labyrinthe pour chaque niveau intermédiaire (POSITION). Le dernier (niveau 12) étant de tuer le maître des lieux (DESTROY).
HAVE LUCK : nous n’observons pas dans notre corpus d’objectif associé à cette brique. Selon notre approche de cette brique, elle constitue plutôt un moyen d’atteindre un but. Ainsi, lorsque nous prenons le jeu du Dépustulator (Fig.33 : gauche), une variante du Jackpot , où le joueur a droit à 10 tentatives pour obtenir le meilleur gain, le but n’est pas d’avoir, selon nous, de la chance, mais d’obtenir le meilleur résultat. Ce qui correspond pour nous à un MATCH. Pour éviter la confusion avec la notion cognitive de chance, nous préférons renommer à présent la brique HAVE LUCK par RANDOMIZE qui traduit l’idée de générer une donnée aléatoirement.
ANSWER : nous n’identifions pas a priori d’objectif associé à cette brique. Selon nous, elle constitue plutôt un moyen d’atteindre un but au même titre que RANDOMIZE. Ainsi, si nous prenons l’exemple du jeu The King of Button (Fig.33 : droite), qui met en scène un seul bouton, un score et un compte à rebours de 25 secondes, le joueur doit appuyer sur le bouton pour générer un point. Ici la notion d’aléatoire n’est pas convoquée. Seul le nombre de fois où l’utilisateur clique sur le bouton permet d’incrémenter le score. Une fois le temps écoulé, le score final est affiché. Il semblerait donc que le but soit ici aussi un MATCH.
Des briques gameplay associées à la Manipulation
Si nous identifions à ce stade, 4 briques gameplay qui sont potentiellement en lien avec des objectifs, nous avons également recensé des briques qui constituent plutôt des moyens. Ces derniers sont-ils également en relation avec des composantes ?
Si nous reprenons les écrits de Frasca, ce dernier a ainsi identifié des règles nommées « Manipulation rules », qui définissent ce que le joueur peut faire dans le jeu. (p.9)381
Il nous semble, que les briques SHOOT, MANAGE, MOVE, RANDOMIZE et ANSWER qui constituent plutôt des moyens, correspondent bien à cette classe de règles.
Ainsi, à la lumière des règles identifiées par Frasca, nous pensons que nous pouvons regrouper nos briques gameplay en deux catégories : celles qui représentent des moyens, sont ainsi plutôt de type « Manipulation rules ». Puis celles qui sont reliées aux objectifs sont ainsi plutôt de type « Goals rules ». D’autre part, comme Frasca établit un lien entre Manipulation rules et Padia (p.9), et qu’il associe également ce dernier à Play (Cf. chapitre 3 : 2.1), il nous semble que nous pouvons considérer que les briques Gameplay qui sont de type Manipulation rules peuvent être considérées comme des briques en rapport avec le Play. De ce fait nous proposons de les nommer « Briques Play ». De la même manière, puisque Frasca établit également les liens entre Goals et ludus (p.9) ainsi qu’entre ludus et Game (Cf. chapitre 3 : 2.1), nous proposons de nommer « Briques Game » celles qui sont en lien avec les Goal rules. Cette approche nous amène à répartir les briques Gameplay de la manière suivante .
D’autre part, les briques Play puisqu’elles convoquent la notion de Manipulation, nous pouvons, semble t-il considérer qu’elles sont reliées à l’interface entrante. Cette approche nous permet ainsi de pouvoir prendre en considération le 2e point de l’approche du gameplay de Portugal qui concerne les modes de commande (Cf. 1.3.3) et que nous avons dû mettre de côté jusqu’à présent (Cf. 2.1.8). En étudiant la figure 34, nous observons aussi que les briques Game semblent s’opposer deux à deux. Ainsi DESTROY correspond pour nous à l’inverse de CREATE, et MATCH à l’inverse de AVOID. La découverte de cette double dualité représente selon nous un indicateur favorable qui conforte notre démarche théorique. En effet, cela semble constituer un équilibre booléen de type vrai/faux qu’il semble important de retrouver dans un cadre formel lié à une approche informatique.
A présent il semble que nous disposions d’un jeu de briques Gameplay plus robuste, qui au niveau formel puisse à la fois tenir compte des règles et des modes de commande.
