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La perception visuelle dans la sémiologie graphique de J. Bertin
La sémiologie graphique de Bertin [Bertin, 1983] apporte une réponse objective aux questions suivantes : « dans quel cas faut-il faire un dessin ? », « Quel dessin faut-il faire ? », « Que contient le dessin ? ». Pour répondre à ces questions, Bertin a défini un formalisme rationnel qui permet d‟une part de décrire avec précision les visualisations, et d‟autre part de comprendre pourquoi l‟utilisateur perçoit les informations qu‟elles contiennent.
Bertin a introduit la sémiologie graphique qui est un système monosémique de représentation graphique pour transmettre de l‟information sans ambiguïté. Il a défini les sept variables visuelles qui forment les éléments élémentaires pour la composition des images. Et enfin, il a défini les propriétés perceptives de chacune des variables visuelles.
Les variables visuelles de Bertin
Bertin est le premier à avoir proposé, de façon formelle, un ensemble fondamental de variables visuelles qui sert à la construction élémentaire de toute représentation graphique. La sémiologie graphique décrit sept variables visuelles qui forment les éléments de plus bas niveau pour la composition graphique [Bertin 1983]. Il y a la position (la variable visuelle spatiale), la taille, la valeur (proche de la luminosité), le grain, la couleur (mélange de teinte et de saturation), l‟orientation, la forme. Ces variables visuelles sont appliquées à trois types d‟implantation dans le plan : le point, la ligne, la zone.
Bertin définit la variable visuelle grain comme la notion utilisée par les photographes. Dans ce cas, la granularité peut être associée à une fréquence spatiale dans une texture ; c‟est pourquoi la variable visuelle grain est souvent appelée texture dans la littérature.
Les variables visuelles ont des échelles de perception différentes appelée longueur. La longueur d‟une variable visuelle est le nombre d‟éléments différenciables avec cette variable visuelle. Par exemple, la Variable Visuelle de position possède l‟échelle de perception la plus longue et offre même une infinie possibilité de variation. Cette variation infinie est théorique puisque limitée par la taille du support (écran, feuille de papier…).
La perception d’information en fonction du type des variables visuelles de Bertin
Les Variables Visuelles ont chacune leur propre niveau d‟organisation. Ainsi on ne peut pas percevoir un ordre si la variable visuelle n‟est pas « ordonnée », et on ne peut percevoir un rapport si la variable n‟est pas « quantitative ».
On associe aux variables visuelles quatre types de perception que Bertin appelle les « niveaux » des variables visuelles :
• une variable visuelle est associative si elle permet à une catégorie nominale d‟être perçue malgré l‟influence des autres variables dans une même image. Par exemple, être capable de trouver des formes triangulaires dans une image quelque soit leur couleur ou leur position,
• une variable visuelle est sélective lorsqu‟elle permet à une catégorie nominale d‟être perçue instantanément « en avant » dans l‟image. Par exemple, l‟ensemble créé à partir de tous les points bleus dans un nuage de points multicolores,
• une variable visuelle est ordinale lorsque le classement visuel de ses catégories est spontané et universel. Chacune permet à l‟utilisateur de percevoir une gradation dans la valeur affichée (« ceci est plus grand ou plus petit que cela »).
On perçoit un gris comme l‟intermédiaire entre un blanc et un noir, une taille moyenne comme l‟intermédiaire entre une petite et une grande taille. En revanche, les couleurs (par exemple bleu, rouge ou vert) n‟offrent pas spontanément un ordonnancement,
• une variable visuelle est quantitative lorsque la distance visuelle entre les catégories d‟une composante ordonnée peut s‟exprimer spontanément par un rapport numérique. On perçoit qu‟une longueur est égale à trois fois une autre longueur, qu‟une surface est le quart d‟une autre surface. L‟échelle quantitative permet à l‟utilisateur de juger la quantité qui différencie deux éléments.
Propriétés perceptives des variables visuelles
Bertin utilise une symbolique pour qualifier les niveaux des variables visuelles :
Q Quantitative (proportionnelle)
O Ordonnée
Sélective (différentielle et instantanée)
Associative (visibilité inchangée des autres
Variables Visuelles)
Dissociative (visibilité variable des autres Variables
Visuelles)
Le tableau des correspondances entre les variables visuelles et leurs qualités perceptives permet de résumer le pouvoir de chaque variable visuelle avec une gradation sur leur efficacité (graisse des sigles, avec les éléments en gras les plus efficaces) :
Voici quelques remarques suite à notre lecture de ce tableau :
Selon Bertin, une image qui utilise une correspondance Variable Visuelle / Niveau (Q,O, , ) s‟inscrivant dans les cases vides du tableau est une « convention » ; cette convention détruit la signification des données car le choix du design de l‟image n‟est pas adapté à la transmission correcte d‟information. Par exemple, la couleur ne peut pas être utilisée pour représenter des valeurs de distance entre avions (données de type quantitatives).
Bertin décrit le plan (i.e. X et Y) comme la plus riche des variables visuelles. Le plan est sélectif, associatif, ordonné et quantitatif. Bertin catégorise ces implantations avec le point, la ligne ou la surface. Le type d‟implantation affecte la longueur des variables visuelles. Ainsi, l‟implantation de zone fait émerger deux problèmes : l‟orientation ne peut plus être perçue comme sélective, et la perception des autres variables visuelles est la même sur toute la zone (les quantités doivent être normalisées par unité de surface, sinon elles ne pourront pas être interprétées correctement).
La taille est la seule variable visuelle quantitative (elle permet de faire des rapports entre les quantités perçues). Elle est sélective et ordonnée mais non associative. La taille et la valeur (luminosité) sont dissociatives car elles ont une visibilité variable. C‟est la contrepartie de leur fonction essentielle : créer l‟image. Il n‟est pas possible d‟exclure cette variation de visibilité : les autres variables visuelles ont une visibilité constante et sont dites associatives.
La valeur est le ratio entre la perception du blanc et du noir sur une surface. Elle est ordonnée. L‟utilisation de la valeur de Bertin est à rapprocher avec la luminosité du modèle des couleurs LCH (Teinte, Saturation, Luminosité). La taille et la valeur sont ordonnées. Mais comme le blanc ne peut pas servir d‟unité pour mesurer le noir, la valeur n‟est pas quantitative.
Bertin n‟a pas créé de séparation entre la teinte et la saturation, mais la variable visuelle couleur est plus proche de la teinte que de la saturation. La couleur n‟est pas implicitement ordonnée, mais elle est sélective et associative.
Le grain est la variation d‟échelle des composantes constituant une texture. Le grain peut être considéré comme une composition d‟éléments de même taille, il est alors ordonné. Il est à la fois sélectif et associatif. La longueur de cette variable est basée sur la taille de son implantation. Ainsi, l‟utilisation de marques plus grosses permet une longueur plus importante.
L‟orientation est l‟angle relatif entre deux marques. L‟orientation est associative mais n‟est sélective que pour les points et les lignes. Elle n‟est pas ordonnée. Il existe de multiples façons de diviser 360 degrés en étape. Néanmoins, Bertin définit seulement quatre étapes pour maximiser la sélectivité de l‟orientation ; la longueur de la variable visuelle orientation est ainsi réduite.
La forme est la variable visuelle la plus ambigüe car elle mélange des aspects de l‟orientation et de la taille. Elle n‟est pas ordonnée. Elle a une infinité de longueur et est associative et très faiblement sélective.
L‟utilisation des variables visuelles de Bertin est une façon de décrire les images. Il est possible de les appliquer au-delà des limites d‟une feuille (avec ses deux dimensions) et ainsi d‟ajouter d‟autres variables visuelles comme la profondeur ou le temps pour l‟animation. Les images en trois dimensions peuvent aussi être étudiées sous la forme d‟une projection en 2 dimensions et ainsi rester dans le cadre d‟une image dans un plan.
Pouvoir perceptif
Dans cette partie, nous détaillons les travaux remarquables qui permettent de classifier des propriétés perceptives en fonction de leur pouvoir perceptif.
Loi de Weber
La loi de Weber permet d‟évaluer la perception d‟une stimulation en fonction de son intensité. Par exemple, la perception de l‟intensité lumineuse varie en fonction du carré de la distance à la source. La perception des stimuli n‟est pas une fonction linéaire entre l‟intensité du stimulus et la sensation perçue. Weber puis Fechner ont étudié cette relation et en ont déduit une loi sous la forme S = k log(I) + c, avec k et c deux constantes fonction du type de stimuli.
La figure suivante donne les courbes de correspondance entre l‟intensité des stimuli et l‟intensité de la perception en fonction de différents stimuli. Ces données sont principalement issues des expérimentations de Shiffman [Shiffman, 1990] et Stevens [Stevens, 1961].
Le pouvoir sélectif des Variables Visuelles
Une variable est dite sélective si elle partitionne l‟espace visuel. La perception sélective a lieu quand une variable visuelle fait ressortir une catégorie donnée de la visualisation. Elle permet d‟isoler spontanément toutes les correspondances appartenant à une même catégorie (de cette variable) : « ceci est différent de cela ». Ces correspondances forment entre elles une « famille » : la famille des signes rouges, des signes verts… On peut alors parler de la sélection pré-attentive [Treisman, 1985] : capacité de distinguer un objet parmi d‟autres sans tester chaque objet. Toutes les variables visuelles sont sélectives mais à différents degrés. La liste suivante donne, par ordre décroissant, le niveau de sélectivité des variables visuelles défini par Bertin [Bertin, 1983].
Pouvoir sélectif des Variables Visuelles
Position Taille Valeur Couleur Orientation Grain Forme
La classification de Cleveland & McGill
La classification de Cleveland [Cleveland, 1985] [Cleveland & McGill, 1988] a été réalisée pour évaluer la qualité des visualisations de données statistiques. Cleveland a évalué l‟efficacité des variables visuelles pour représenter des informations de type intervalle (I) et ratio (Q). Cette évaluation a été réalisée avec des éléments visuels isolés de tout contexte. L‟image suivante montre le classement qu‟ils ont réalisé Cleveland.
La classification de J. Mackinlay
Mackinlay [Mackinlay, 1986] a évalué par des expérimentations le pouvoir perceptif des variables visuelles en fonctions du type de données (Quantitatif, Ordonné, Nominal) à afficher. Ces évaluations ont été réalisées avec les données quantitatives. Les classements des données O et N sont réalisés par déduction et non par expérimentation. Ce diagramme permet de faire des choix de design avec le type de données à afficher.
Il est intéressant de noter que ce diagramme permet de résumer l‟utilisation des variables visuelles en fonction du type de données à afficher. Il indique en plus l‟évolution de l‟efficacité des variables visuelles en fonction du type de données (Q, O, N). Les croisements des lignes liant les variables visuelles indiquent que les propriétés graphiques des variables visuelles sont très différentes en fonction des types de perception. A titre d‟exemple, la taille est très efficace pour coder visuellement des données quantitatives et son efficacité décroit avec les types O et N. Seule la position est la variable visuelle la plus efficace quelques soit le type de données. On retrouve la position de Bertin sur ce sujet.
La classification de Wilkinson
Wilkinson a, comme Mackinlay, utilisé les variables visuelles de Bertin et les a classifiées en fonction de leur efficacité pour coder visuellement des données quantitatives [Wilkinson , 1999]. Il a étendu l‟ensemble des variables visuelles en ajoutant des attributs visuels supplémentaires comme la saturation, le flou. Le tableau suivant présente les choix de design, ordonnés du plus efficace au moins efficace en fonction du vecteur de transmission d‟information (la forme, la surface, l‟animation, le son et le texte).
De plus, Wilkinson a étudié l‟animation, le son ou encore le texte comme vecteur d‟informations. Il existe encore d‟autres attributs « esthétiques » mais, selon Wilkinson, ils sont difficilement exploitables : par exemple l‟odorat, ou le touché. Ceci s‟explique par les résultats du domaine de la psychophysique et l‟étude des relations entre l‟amplitude d‟un stimulus et sa perception [Stevens, 1985] [Falmagne, 1985]. La loi de Fechner/Weber permet de quantifier cette relation et ainsi de mettre en avant la notion de « Just Noticeable Difference » (JND) qui représente la différence minimale de stimulation pour la perception (on peut la rapprocher du terme de longueur des variables visuelles de Bertin mais étendu à tous les sens de la perception).
Extension des variables visuelles de Bertin
Bertin a été le premier à proposer des choix de design en fonction du type de données à afficher. Le tableau suivant est extrait de l‟ouvrage « How maps works » de MacEachren [MacEachren, 1995] qui synthétise les travaux de Bertin dans ce domaine.
MacEachren a étendu les variables visuelles et leur utilisation dans les cartes avec par exemple l‟utilisation de la transparence, la résolution, la décomposition des couleurs en luminosité, teinte et saturation. Aujourd‟hui, les designers utilisant couramment l‟espace de couleur LCH. Morison [Morrison, 1974] pense que la Variable Visuelle couleur de Bertin peut être scindée en deux attributs : couleur et saturation. Bertin parle aussi de saturation des couleurs mais il a choisi de grouper cet attribut avec la teinte sous le terme de couleur.
L’approche écologique de la perception visuelle
L‟approche écologique de la perception est une explication du processus de capture d‟informations de l‟environnement que l‟on doit à James Jerome Gibson, psychologue du XXème siècle [Gibson, 1977]. Elle remet en cause à la fois la notion d‟informations à percevoir et la définition des systèmes perceptifs humains. Nous pensons que les concepts d’approche écologique de la perception, notamment ceux d’invariant et d’affordance, peuvent permettre d’expliquer en quoi une visualisation est meilleure qu’une autre. La suite de cette section présente de façon succincte cette approche, afin d’expliquer les concepts d’invariant et d’affordance que nous utilisons dans la partie 2.
Le système perceptuel visuel humain
Une des notions clé de l‟approche écologique de la perception consiste à redéfinir ce qu‟il y a à percevoir, et les moyens humains pour percevoir. Selon les approches traditionnelles de la perception, l‟acte de perception ne commence qu‟à partir de l‟image formée au fond de la rétine, c‟est-à-dire d‟une surface formée de points de couleurs et d‟intensités différentes. Pour Gibson, l‟œil n‟est qu‟une partie d‟un système perceptuel, comprenant d‟autres parties du corps humain, et participant au processus de vision. Notre système perceptuel visuel est constitué de deux yeux mobiles fichés dans une tête, la tête est elle-même mobile et peut tourner selon trois axes au niveau du cou, et un être humain peut se déplacer grâce à ses jambes.
En considérant un tel système, les informations à percevoir ne se résument plus à une image rétinienne. Grâce aux possibilités de mouvement des organes, l‟être humain peut agir sur la perception : il peut bouger ses yeux, pencher la tête, avancer. Les informations visuelles deviennent dynamiques, l‟image se transforme en flot continu d‟images. De plus, une personne peut revenir à une position initiale, fixer un point ou revenir à un point précédent, avancer et reculer. Ces mouvements peuvent être commandés par une volonté de percevoir “mieux”, c‟est-à-dire que le processus perceptif n‟est pas seulement un processus passif mais une boucle perception-action, où l‟action génère la perception et la perception commande l‟action.
Informations structurées
L‟environnement est un terme qui réfère aux objets qui font partie du quotidien des êtres vivants. Il ne s‟agit pas d‟un espace physique, ni d‟objets géométriques situés à des positions dans un monde à trois dimensions. Le terme “écologique” accolé à celui de “perception” vient du fait que les définitions des concepts mis en jeu, sont celles qui permettent à l‟animal de vivre et de se comporter, et qui ont permis à l‟animal de s‟adapter au cours de son évolution. Par exemple, pour les êtres humains, l‟environnement est structurellement hiérarchisé en montagne, colline, bosse et rocher. De même, il n‟existe pas de temps abstrait qui s‟écoule de façon uniforme, mais des événements qui rythment la vie de tous les jours. Ces événements sont définis par les changements que les éléments de l‟environnement subissent. Les événements sont eux-mêmes hiérarchisés et peuvent spécifier des saisons, le jour et la nuit ou le débit d‟une rivière par l‟observation de la vitesse d‟écoulement.
L‟être humain perçoit le monde par l‟intermédiaire du flux optique ambiant (image suivante). Le flux optique ambiant est composé d‟angles visuels formés par les surfaces visibles. Lorsque l‟observateur se déplace, les informations de perspective changent, mais les invariants de structure ne changent pas.
Invariants
Pendant le processus de perception, il y a en parallèle une conscience de la persistance et une conscience du changement. Ainsi, à chaque déplacement, le flux optique change, tout en conservant certaines propriétés. Il n‟y pas de changement soudain de structure : un objet de forme ronde ne passe pas brusquement à une forme carrée par exemple. Ces propriétés sont dites invariantes par rapport au déplacement, ou invariantes par rapport à la perspective. Le fait de se déplacer vise en partie à découvrir les invariants de perspective qui ne sont pas perceptibles si le flux ne change pas. Ce qui change constitue l‟information qui spécifie le mouvement. Ce qui ne change pas spécifie la structure de la disposition des objets. Ainsi, une table est perçue en tant que telle lorsqu‟on découvre qu‟elle est constituée d‟une planche horizontale soutenue par des pieds. C‟est en modifiant la vue, en changeant le flux optique que l‟on perçoit les relations qui lient les pieds à la planche, et que l‟on découvre qu‟ils la soutiennent. Bien sûr, il est possible de reconnaître une table sans faire de mouvement. En revanche, apprendre à connaître une table passe par le mouvement.
Les invariants concernent aussi les changements par rapport au temps qui passe : vieillissement des structures, dégradation des couleurs. Quelles que soient les entités impliquées, on retrouve les mêmes invariants.
Affordances
La perception commence par les surfaces apparentes des objets à percevoir. La question qui se pose est de savoir comment nous passons de la perception des surfaces à la perception de ce que l‟environnement propose ou permet à un observateur. Gibson définit les affordances d‟un artefact comme les propriétés de cet objet qui peuvent être utiles à un animal. Selon lui, la perception de la composition et de la disposition des surfaces conduit à la perception de leurs affordances, et il y a perception directe des propriétés d‟un objet relative à un animal. Dans l‟image suivante, la porte de gauche a une poignée horizontale et basse, elle doit être poussée. La porte de droite a une poignée verticale, facilement préhensible et loin des gonds : elle “suscite” le fait d’être tirée [Norman, 1995], elle est « affordante ».
Pour Gibson, les sensations ne sont pas associées à des significations par un processus mental. De même, les objets ne sont pas décorés d‟affordances par un processus mental. Les affordances sont perçues directement, et elles le sont car elles sont spécifiées dans les informations de stimulus. Nous avons vu que nous percevons les invariants de structure. Les affordances peuvent être considérées comme des invariants d‟invariants. Par exemple, c‟est la combinaison des invariants de la perception proprioceptive (la perception de son corps) et des invariants d‟un objet qui permet d‟évaluer les propriétés de cet objet relativement à l‟observateur. En percevant à la fois un objet et lui-même, par exemple ses mains, l‟observateur peut évaluer ce qu‟il peut faire de l‟objet, par exemple le fait d‟être saisi par une main. Nous ne percevons le monde que parce que nous savons ce qu‟il y a à percevoir.
Théorie de l’acquisition d’informations
En expliquant sa théorie de l‟acquisition d‟informations, Gibson redéfinit les principaux concepts impliqués dans la perception. Ainsi, la perception est vue comme une activité continue, sans pause, qui nous sert à rester en contact constant avec le monde. Les informations de spécification des objets dont se sert le processus de perception sont directement disponibles dans le flux optique. L‟acquisition d‟information se fait à l‟aide de systèmes perceptuels, dont le comportement peut être décrit selon une boucle perception-action. Ces systèmes perceptuels s‟affinent et s‟adaptent, optimisent leurs ajustements. L‟observateur distingue ce qui change et ce qui ne change pas : il perçoit les invariants du flot de sensations et ce qui varie avec le flot de sensations. Le processus d‟acquisition ne se sert pas de la mémoire pour fonctionner. L‟information n‟a pas à être gardée en mémoire, car elle est toujours disponible.
Conclusion et application dans le domaine des visualisations
Dans ce paragraphe, nous donnons notre transposition de la perception écologique dans le domaine des visualisations (ou des Interfaces Homme Machine).
Les visualisations qui utilisent la perception écologique nécessitent peu d‟apprentissage pour être interprétées (elles utilisent les connaissances de l‟Homme dans son environnement naturel). La charge cognitive pour la perception d‟information s‟en trouve réduite, ce qui est un avantage important dans le domaine du contrôle aérien et des interfaces critiques.
Les visualisations écologiques sont plus efficaces pour transmettre de l‟information (faible charge cognitive), mais il n‟existe pas de méthode systématique permettant aux concepteurs de réaliser des designs écologiques. La caractérisation et l‟évaluation des visualisations écologiques sera étudié dans le chapitre « design écologique et émergence ».
Analyse des visualisations
Dans ce chapitre, nous nous intéressons à l‟analyse des visualisations du Contrôle Aérien avec les outils disponibles en InfoVis. L‟étude de visualisations spécifiques d‟un domaine permet aussi sa généralisation en appliquant des résultats à l‟ensemble des visualisations du domaine de l‟InfoVis. Cette analyse permet la réalisation d‟une description qui est composée de deux éléments distincts : le contenu intrinsèque de la description et la mise en forme de la description. La mise en forme permet de présenter cette description et ainsi favorise la comparaison.
Le contenu
Le contenu de la description consiste à lister de manière exhaustive toutes les informations importantes permettant de décrire la visualisation (avec le type des données affichées et les éléments graphiques qui la composent).
La caractérisation par le typage des données
Ce chapitre est consacré à l‟explication des types de données et à leur utilisation. L‟analyse « data scale» [Stevens, 1946] et par la suite la sémiologie graphique [Bertin, 1983] sont les premiers outils de description par le type des données dédiés à la caractérisation des visualisations. Le tableau suivant donne les différentes dénominations les plus couramment rencontrées et les auteurs qui les ont introduites :
Stevens Ware Bertin
[Stevens, 1946] [Ware, 2000] [Bertin, 1983]
Nominal Catégorie Qualitative
Ordinal Entier Ordonnée
Intervalle Nombre réel Quantitative
(métrique)
Ratio
La théorie des échelles de Stevens : une taxonomie des échelles des nombres
Dans la théorie des échelles (« Theory of Scales Measurement »), toute donnée peut être catégorisée par une des échelles perceptives [Stevens, 1946] : Nominal, Ordinal, Intervalle, Ratio. Ces échelles font référence aux propriétés intrinsèques des données :
• les données N « Nominales » ont la propriété d‟être différenciées des autres données (l‟indicatif d‟un avion est une donnée Nominale),
• le type O « Ordinal »permet à une donnée d‟être perçue avec une magnitude différente et ainsi permet d‟être qualifiée de supérieure, inférieure ou égale à une autre donnée (le niveau d‟alarme d‟un avion est une donnée Ordinale),
• les « Intervalles » I contiennent les mêmes propriétés que pour le type Nominal et Ordinal mais ajoutent une notion de régularité dans la magnitude perçue (le temps est une donnée Intervalle car il a une vitesse de défilement constante. Des intervalles de temps de même durée seront perçus de la même façon). De plus l‟intervalle de valeur nulle n‟a pas de sens,
• les « Ratios » R ont toutes les propriétés des types Nominal, Ordinal et Intervalle, et ils ajoutent l‟utilisation de la valeur nulle. Ainsi la comparaison de données de type Ratios est plus complète et permet l‟utilisation d‟opérateurs mathématiques. Par exemple on peut dire qu‟une quantité vaut deux fois une autre valeur.
Table des matières
Introduction
Partie 1 : Etat de l’art
I. Le domaine de l‟InfoVis
A. Les domaines de la visualisation
B. Exemples remarquables
II. La perception
A. La perception pré-attentive
B. Gestalt
C. La perception visuelle dans la sémiologie graphique de J. Bertin
D. Pouvoir perceptif
E. L‟approche écologique de la perception visuelle
III. Analyse des visualisations
A. Le contenu
B. La mise en forme
IV. Evaluation des visualisations
A. Evaluation par les règles de design
B. Autres méthodes d‟évaluation
V. L‟exploration de données et le modèle de Data Flow
A. Le modèle de Data Flow pour l‟exploration de données
B. La visualisation des données pour l‟exploration
C. Interaction avec les données
D. Conclusion sur l‟exploration de données
Partie 2 : L’analyse de visualisations
I. Caractérisation de visualisations dans le domaine du Contrôle Aérien
A. Caractérisation des visualisations du domaine de l‟ATC
B. Image radar : ODS
C. Image radar verticale : ASTER
D. Séquenceur des avions à l‟atterrissage : MAESTRO
E. L‟agenda des conflits : ERATO
F. Discussion sur la caractérisation
G. La fonction de transformation généralisée
H. Le temps et la dynamique de l‟image
I. Utilisation du modèle de la dynamique de l‟image
J. Validation et utilisation du modèle de DataFlow
K. Conclusion
II. Comparaison des comètes radar
A. Les comètes radars dans le domaine de l‟ATC
B. Description de quatre designs de comète
C. Application du modèle de C&M sur les comètes
D. Comparaison des comètes avec des critères qualitatifs
E. Conclusion sur la caractérisation des comètes radar
III. Design écologique et émergence
A. Définition de l‟émergence
B. Illustration du phénomène d‟émergence
C. Représentation utilisant le mouvement
D. Discussion sur l‟utilisation de la perception écologique
E. L‟émergence due à l‟animation
F. Exemple d‟utilisation du design écologique
G. Conclusion sur l‟utilisation de l‟écologie
Partie 3 : La réalisation de visualisations
I. Réalisation de vues « métro » pour les routes aériennes
A. L‟analyse en type de donnée des vues métro et carte de routes aériennes
B. Choix des couleurs et affectation sur les routes aériennes
C. Visualisations réalisées
D. Validation des visualisations
E. Conclusion
II. Interaction avec les données
A. L‟exploration de données dans le domaine de l‟Aviation Civile
B. Cahier des charges pour l‟exploration de trajectoires
C. Les données radar à explorer
D. Description du système
E. Premier bénéfice de l‟utilisation de FromDaDy
F. Scénario
G. Utilisation étendue avec les cartes d‟accumulation
H. L‟accumulation comme un outil d‟exploration de données
I. Considérations techniques
J. Conclusion sur FromDaDy
Conclusion
Références
Annexe
I. Validation avec le modèle de DataFlow
A. Implémentation du modèle de DataFlow
B. Exemple de visualisation : Minard
C. Application du modèle de Data Flow aux visualisations de l‟ATC
D. Conception de nouveaux designs
E. Conclusion