Réaction alcali-granulat (RAG)

Impact de la nature des réactifs et des réactants

Nature des granulats

Les granulats voient leur réactivité essentiellement pilotée par leur teneur en silice réactive et par le degré de leur caractère amorphe. Si ces silicates sont sous forme amorphe ou mal cristallisée, ils présentent une structure désorganisée et ouverte. Ainsi, et en accord avec les travaux de [Prezzi et al., 1997], de telles structures augmentent la surface spécifique disponible pour la réaction, induisant une plus grande réactivité de ces granulats. En effet, avec de telles structures, les ions extérieurs peuvent attaquer plus en profondeur et rompre plus facilement les liaisons internes, accentuant la capacité de la silice à se dissoudre. Cette relation est notamment visible dans les travaux de [Broekmans, 2004], reliant l’accélération de la cinétique de dissolution avec le nombre de défauts présents dans sa structure.
L’organisation cristallographique granulaire pouvant ainsi impacter cinétique et amplitude de réaction, les phénomènes pouvant induire l’évolution de cette organisation vont donc tout autant impacter ces paramètres. Dans ses travaux, [Broekmans, 2004] étudie aussi l’impact de la température sur la transformation des phases d’un minéral siliceux de type α-quartz. A pression fixée, les variations de température ont induit des évolutions structurales de ce solide. Evoluant d’une structure cristalline vers des natures plus amorphes avec des plus hautes températures, les refroidissements n’ont pas tous permis de retrouver l’état initial de la structure étudiée. L’histoire thermique granulaire impactant l’organisation du réseaux siliceux, elle impacte aussi de manière indirecte sa cinétique de dissolution.
Outre l’organisation cristallographique, la taille des granulats considérés joue également un rôle sur la cinétique de dissolution. En effet, plus la taille est faible, plus la surface spécifique de la particule soumise aux attaques est importante, ce qui induit une réactivité supérieure des particules de taille réduite. L’attaque étant plus rapide pour ces particules, les produits de RAG générés peuvent donc varier en composition selon la taille de la particule, et ainsi induire des propriétés de gonflement différentes. En effet, réduites à l’état de fine, de telles particules voient leurs mécanismes évoluer vers des comportements pouzzolaniques. Ainsi, à cet état, et selon leur composition chimique et leur organisation cristallographique, de tel ajouts dans des formulations réactives peuvent induire la réduction voir la suppression du gonflement de RAG [Cyr et al., 2009]. Par ailleurs, une partie des produits de RAG peuvent se répandre dans la porosité connectée des granulats et dans celle de la pâte de ciment, sans induire de gonflement. De par ces vides jouant le rôle de vase d’expansion, et pour une même réactivité, les particules réactives très fines limitent l’amplitude de gonflement. Néanmoins, il existe un effet pessimum induisant une discontinuité. En effet, il existe une taille intermédiaire de granulat, pour laquelle la déformation générée est maximale. Dans leurs travaux, [Gao et al., 2013] ont étudié cet effet par le suivi de l’évolution des gonflements d’éprouvettes réactives, avec différentes granulométries et tailles d’éprouvettes, conservées dans des bains de soude. Ainsi, en-deçà de 315 µm, l’expansion finale générée est réduite et/ou quasiment nulle, au-delà, l’expansion est importante puis elle est de nouveau réduite par l’augmentation du diamètre du granulat (FigureII-2). Par suite, les auteurs étudient les mêmes classes granulaires sur des éprouvettes de plusgrandes tailles. L’observation des déformations atteste alors d’un effet d’échelle au-delà de 315 µm : plus l’éprouvette est de grande dimension moins la taille des granulats a d’effet sur lesexpansions (Figure II-2).
Cet effet pessimum de la taille des granulats peut avoir différentes origines. Dans leurs travaux, [Multon and Sellier, 2016] relient cet effet au lessivage des alcalins. En effet, dû à leur diamètre, les gros granulats sont attaqués plus lentement car la diffusion des alcalins est plus lente que pour des particules plus petites. En conditions de conservation humide, la diffusion des alcalins dans les granulats est en compétition avec les phénomènes de lixiviation vers l’extérieur de l’éprouvette. Le lessivage peut avoir un impact plus important sur le gonflement d’éprouvette contenant les particules réactives les plus grosses. Face à une quantité plus réduite d’alcalins, les gonflements sont donc inférieurs à ceux pouvant être obtenus avec des plus petits diamètres de granulat. En condition de bains de soude, ce mécanisme ne peut pas expliquer l’effet pessimum qui pourrait alors provenir d’un départ des produits formés vers l’extérieur des éprouvettes à travers les fissurations induites [Gao et al., 2013] [Hobbs and Gutteridge, 1979] [Zhang et al., 1999].

Nature du gel

L’observation au microscope électronique à balayage du gel menée par [Poyet, 2003] a pu mettre en valeur un effet vieillissant du gel. Observant des surfaces d’échantillons réactifs à deux échéances (quelques mois et trois ans), il met en valeur l’évolution de la nature du gel au cours du temps. Ces évolutions sont présentées en Figure II-3. L’auteur constate pour le gel « jeune » une structure principalement amorphe. A noter que le séchage des échantillons pour leurs observations au MEB a induit le développement de fissures de dessication, attestant de l’importante quantité d’eau présente dans ce gel (Figure II-3-a). De plus, dans ces mêmes échantillons, l’auteur a pu observer la coexistence de produits amorphes et cristallisés dans une même zone (Figure II-3-b). Cette observation permet de souligner l’existence de la transition du gel amorphe vers une nature plus cristalline.
Les échantillons observés à plus grande échéance ont montré des produits de RAG majoritairement cristallisés (Figure II-3-c). L’étude des compositions des gels créés a présenté des quantités équivalentes de calcium et d’alcalin ainsi qu’une forte quantité de silice pour les gels « jeunes », tandis que les gels « vieux » ont présenté une quantité d’alcalins bien plus limitée et une majorité de silice et de calcium. Ainsi, de par l’observation (Figure II-3-b) ou par l’étude de la composition, les variations au cours du temps attestent bien d’une évolution de la nature du gel, d’un aspect gélif vers un aspect cristallisé.

Lieu de réaction

L’évolution typique des gonflements de RAG en laboratoire s’effectue en trois phases : la latence initiale, l’expansion et la stabilisation (courbe en « S »). Bien que le lieu de réaction fasse encore débat dans la littérature, la plupart des auteurs s’accorde sur sa relation avec la phase de latence initiale.
Se basant sur des justifications physiques, [Baz̆ant and Steffens, 2000] s’exprime sur une réaction ayant lieu à l’interface pâte/granulat. La latence initiale étant justifiée comme le temps nécessaire à remplir la microporosité avoisinante accessible avant de pouvoir induire des pressions inertielles au sein de la matrice. Il est à noter que dans cette approche, le granulat étant sollicité par un état de type confinement, seule la pâte peut être soumise à la fissuration de traction (le granulat étant lui-même en compression). Cette considération constitue la limite la plus discutable de cette approche phénoménologique. En effet, d’autres auteurs postulent sur un lieu de réaction au sein du granulat [Leemann et al., 2016], notamment par l’observation de de fissuration dans le granulat : [Bracci et al., 2012] ont observé sur analyse pétrographique d’échantillons issus de poutre réactives, des traces et des fissurations de gel attestant de son développement et de sa propagation autour (interface pâte/granulat et porosité environnante) et dans le granulat. Utilisant les mêmes outils, [Sanchez et al., 2016] étudient dans leurs travaux l’évolution des fissurations en fonction de l’évolution du gonflement de RAG. Des éprouvettes cylindriques sont coulées à partir de différentes formulations, contenant le même rapport pâte/granulat, afin de pouvoir les comparer. Supposant une fraction granulaire équivalente pourchaque échantillon étudié, les différents types de fissures sont relevés et comparés. Deux catégories se distinguent : la fissuration fermée et la fissuration ouverte (remplie ou non de produits de la RAG). S’initiant et se développant d’abord au sein du granulat, la fissuration ouverte se prolonge et s’ouvre avec l’évolution du gonflement. Pour des déformations plus importantes, ces fissurations s’étendent jusqu’à la pâte induisant une importante évolution de la densité de fissuration. De ce fait, les auteurs attestent aussi d’un lieu de réaction initial au sein du granulat.
S’accordant sur ce lieu de réaction, [Garcia-Diaz et al., 2006] expliquent la période de latence comme le temps nécessaire aux produits issus de la dissolution de la surface siliceuse du grain pour se rassembler et pour former un ensemble qui sera capable de réagir avec les alcalins et les hydroxydes de la solution interstitielle.
Basé sur une argumentation plus chimique, mais en accord avec le granulat comme lieu de réaction, des auteurs comme [M. Idorn, 2001] s’exprime sur les différentes phases d’évolution de la réaction. Lorsque le gel se forme, sa densité initiale est trop faible pour solliciter la matrice environnante. C’est son durcissement par les apports en calcium de la solution interstitielle qui induit le développement pression de gonflement interne. L’expansion étant non homogène, des phénomènes de retrait peuvent avoir lieu dans certaines parties du granulat, réduisant cette pression. La matrice ne peut alors se déformer que lorsque le granulat réactif a fissuré. [Ichikawa and Miura, 2007] postulent sur l’existence d’un front de réaction, généré en surface du gel lors de la consommation des ions calcium. Ce front de réaction pourrait former une membrane qui retient le gel dans le granulat jusqu’à une certaine pression. Au-delà, les granulats fissurent et entrainent le béton environnant dès lors que sa résistance est dépassée (Figure II-4 et Figure II-5). La période de latence est alors justifiée par le temps de formation de ce front de réaction.

Impact des conditions environnementales

Sur la dissolution de la silice

Dans leurs travaux, [Kim and Olek, 2014] étudient les variations physico-chimiques pouvant être induites par les réactions mises en jeu. Bien que cette étude soit faite sur des gels synthétiques créés à partir de la réaction d’un minéral siliceux réactif (α-cristobalite) en solutions alcalines et en présence de calcium, les observations et tendances relevées pendant la création de ces gels peuvent apporter des éléments de compréhension intéressant vis-à-vis des gels observés dans les structures. Etudiant à différentes températures (80°C, 55°C et 38°C) les variations de la cinétique de dissolution de la silice, les auteurs ont mis en exergue une dépendance certaine de la dissolution à la température. Plus la température est élevée, plus lacinétique de dissolution est rapide. De plus, plus qu’une simple réduction, la configuration à 38°C n’a pas permis la dissolution du solide siliceux dans cette étude.
En plus de cet impact thermique, les auteurs ont aussi étudié l’impact de la solution alcaline sur cette dissolution. Outre les cinétiques accélérées par l’augmentation des concentrations en alcalins, leur nature a aussi été comparée. Evaluant les déformations obtenues à partir d’une solution alcaline de type (NaOH) et de type (KOH), les alcalins de type sodium ont induit une dissolution de la silice plus rapide que les alcalins de type potassium.

Sur le gonflement macroscopique généré

A hautes températures, les cinétiques de gonflements s’accélèrent, conformément à ce qui a été indiqué pour la dissolution des phases siliceuses amorphe ou mal cristallisée. L’accélération de la dissolution entraine l’accélération de la formation du gel de RAG. C’est donc toute la cinétique de gonflement qui va être impactée par la température. Dans son étude, [Larive, 1998] étudie l’influence de la température sur l’évolution du gonflement libre. Les échantillons de type cylindriques sont exposés en salle humide et soumis à différentes température (23°C, 38°C et 60°C). L’évolution des déformations induites à 38 et 60 °C est présentée en Figure II-6.

Effet des contraintes sur le gonflement

Gonflement empêché sur éprouvettes armées ou frettées

L’une des caractéristiques principales du gonflement empêché est le phénomène de précontrainte chimique. Lorsqu’une structure réactive voit une de ses directions confinées par la présence d’armatures et/ou de blocages physiques (conditions aux limites), l’expansion de RAG induite s’en trouve gênée dans cette même direction. Cette limitation induit le développement d’une contrainte de compression dans cette direction qui s’oppose à la pression de gonflement interne induite par la réaction. Lorsque le blocage est assuré par la présence d’une armature, l’expansion du béton la met en tension, induisant un confinement du béton parallèlement à la direction des aciers. Cette contrainte de compression est généralement qualifiée de ‘précontrainte chimique’ du béton. Enfin, et selon l’importance de la limitation Figure II-8 Evolution des déformations sous différentes humidités relatives [Poyet, 2003] Figure II-9 Evolution des déformations pour des cas constants et évolutifs en cycle court et cycle long [Poyet, 2003] imposée (et donc du taux d’armatures), la déformation est plus ou moins reportée dans la ou les directions libres [Multon et al., 2005][Hayes et al., 2018].
Dans leurs travaux, [E. K. Jones and A. Clark, 1996] ont étudié ce phénomène de limitation du gonflement par l’intermédiaire d’échantillons cylindriques armés à différents taux, respectivement 0 %, 0,25 %, 0,5 %, 1 % et 2 %. La réduction du gonflement par la présence d’armature est bien visible et présentée en Figure II-10. Il est à noter que l’amplitude de l’expansion est plus impactée que sa cinétique d’évolution.
De plus, si une certaine proportionnalité de la réduction des gonflements par rapport aux taux d’armature a bien été notée sur les résultats à 0,25% et 0,5%, l’impact s’est réduit pour les cas de 1% et 2%. Ces variations sont justifiées par les auteurs comme dues à l’équilibre entre les contraintes développées par les armatures et l’état de contrainte interne induite par la pression générée par le gonflement.
En effet, avec les faibles dimensions de l’éprouvette d’étude, le gain de rigidité induit par les armatures de l’échantillon est plus important entre 0,25% et 0,5% qu’entre 1% et 2%. Face à un même gonflement, la différence de précontrainte chimique générée sera donc plus importante entre 0,25% et 0,5% qu’entre 1% et 2%. De par ce fait, la réduction du gonflement par la présence de l’armature sera donc plus importante avec entre ces faibles ratios, induisant un impact plus réduit avec des quantités d’armatures plus importantes.

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