Rayonnement bétatron dans le régime kilojoule
Accélération en régime auto-modulé
Le régime auto-modulé
Dans le régime de cavitation qui a été présenté en section II.3.1, la longueur de l’impulsion laser est plus courte que la période plasma (cτ0 < λp), ce qui permet d’exciter une onde plasma de très grande amplitude. Historiquement, ce n’est pas le premier régime d’accélération par sillage laser qui a été exploré. Les installations lasers existantes n’avaient alors pas la durée suffisamment courte et l’énergie nécessaire pour se placer dans ce régime. Lorsque l’impulsion laser est plus longue que la période plasma (cτ0 > λp), l’impulsion laser ne se propage pas de manière stable, car son profil temporel évolue fortement. Certaines parties de l’impulsion laser vont se trouver dans des zones où la perturbation de densité δn est positive, et se propagent donc dans un plasma plus dense que les parties de l’impulsion situées dans des zones où δn < 0. L’indice optique de ces zones plus denses étant plus faible, les portions de l’impulsion laser qui s’y situent se propagent moins vite que celles situées dans les zones moins denses, ce qui a pour conséquence de concentrer l’énergie laser dans les zones où δn est négatif. Au cours de sa propagation, le laser est ainsi progressivement modulé, puis découpé en plusieurs impulsions successives séparées de λp. Ce train d’impulsion plus courtes excite alors plus efficacement l’onde plasma, et le phénomène de couplage s’amplifie. On parle de régime d’auto-modulation, rencontré dans la littérature sous les initiales SM ou SM-LWFA (pour Self-Modulated Laser WakeField Acceleration). La variation de l’indice de réfraction engendre non seulement une modulation de la vitesse de groupe mais aussi de la vitesse de phase du laser. En conséquence, cette modulation spatiale du faisceau s’accompagne également d’une modulation spectrale. Ce phénomène général d’interaction d’une onde électromagnétique de pulsation ω0 avec une onde plasma de pulsation ωp engendrant une onde électromagnétique de pulsation légèrement décalée ω0 ± ωp est nommé diffusion Raman. Le régime d’auto-modulation a été abondamment étudié théoriquement dans les années 90 [Andreev, 1992, Antonsen & Mora, 1992, Sprangle et al., 1992] puis expérimentalement, lorsque [Modena et al., 1995] ont pour la première fois réussi à accélérer des électrons auto-injectés jusqu’à une énergie maximale de 44 MeV avec un laser de 0.8 ps et 25 TW. Pour être complet, on peut mentionner que ce phénomène mentionné ci-dessus dans la direction longitudinale est en réalité amplifié lorsqu’on considère les directions transverses par les effets d’auto-focalisation et de défocalisation qui dépendent aussi du signe de δn.
Accélération d’électrons dans le régime auto-modulé avec le laser PETAL
On considère les paramètres physiques suivants pour le laser PETAL : une longueur d’onde λ0 = 1 µm, une durée FWHM τ0 = 0.5 ps et une puissance P0 = 2.2 PW, donnant une énergie E0 = 1.17 kJ. Le laser est polarisé circulairement, et focalisé à l’entrée du plasma sur un waist W0 = 42 µm, ce qui correspond au waist attendu expérimentalement. Ces paramètres aboutissent à un maximum du potentiel vecteur normalisé a0 = 7.5. Un plasma pré-ionisé est utilisé dans la simulation, sa densité variant entre ne = 2.8 × 1017 cm−3 et ne = 2.8 × 1018 cm−3 . La période plasma correspondante varie ainsi entre 63 µm et 20 µm, ce qui assure qu’on est bien dans un cadre propice au régime auto-modulé (λp < cτ0 = 150 µm). Le profil du plasma est constitué d’une rampe linéaire montante de 1 mm, puis d’un plateau à la densité maximale. Numériquement, l’étude est très contraignante à cause de la grande durée du laser, alors qu’il est toujours nécessaire de résoudre λ0 dans la direction longitudinale. La simulation étant trop coûteuse pour être réalisée en 3 dimensions avec CALDER, on utilise ici le code quasi-cylindrique CALDER-Circ. Les pas spatiaux choisis sont ∆x = 0.125 c/ω0 ∼ λ0/50 dans la direction longitudinale et ∆r = 4 c/ω0 dans la direction radiale. Afin de respecter la condition CFL et de limiter la dispersion numérique, on prend ∆t = 0.124 ω −1 0 comme pas temporel. De plus on utilise 12 macro-particules par maille, avec un facteur de forme d’ordre 3. Enfin, les 3 premiers modes de Fourier sont utilisés pour la décomposition des champs et des courants. Cependant même avec CALDER-Circ, les simulations restent très coûteuses (la boîte de simulation mesure 32000 × 400 mailles) et les simulations ne sont pas effectuées jusqu’à la fin de l’interaction (i.e. la déplétion totale de l’énergie laser), mais sont stoppées après 4 cm de propagation dans le plasma (ce qui correspond à 2×106 pas de temps). Une telle simulation correspond ainsi à un calcul de près de 250 heures sur 8000 cœurs. Les figures 20a à 20d présentent l’enveloppe laser à différents instants de la simulation pour une densité plasma ne = 1.1×1018 cm−3 . On observe que dans un premier temps, le laser s’auto-focalise rapidement, atteignant un a0 maximum de 19 après 3.9 mm de propagation. Ensuite, le phénomène d’auto-modulation se met en place et décompose graduellement le faisceau laser en un train de 4 impulsions lasers successives, chacune mesurant approximativement λp = 30 µm. Cette modulation de l’impulsion laser amplifie à son tour l’onde plasma générée : le champ électrique longitudinal augmente entre les figures 20f et 20g, alors même que a0 diminue fortement. On remarque que chaque impulsion secondaire est ainsi située dans une zone du champ décélérateur pour les électrons (voir les figures 20d et 20h). Le champ accélérateur est de plus suffisamment intense pour provoquer le piégeage et l’accélération des électrons, indiqués sur les figures 20i à 20l. Cependant la modulation du laser crée une structure de sillage complexe et surtout très changeante. En conséquence, les zones où le champ est accélérateur ne restent pas à des positions stables au cours de la propagation sur de longues distances, ce qui provoque un déphasage rapide des électrons par rapport à ces zones accélératrices. Les principales conséquences sont une limitation de l’énergie maximale obtenue, ainsi que l’obtention d’un spectre électronique de type maxwellien. La charge électronique piégée dans le sillage (i.e. charge Q au dessus de 70 MeV) en fonction de la distance de propagation est montrée en figure 21a pour différentes densités du plasma. On constate que plus la densité est élevée, plus la charge piégée maximale augmente. Pour le plasma de plus haute densité (ne = 2.8×1018 cm−3 ), on obtient ainsi une charge très élevée proche de 50 nC après 1.5 cm d’accélération. À ce point l’énergie laser est déjà fortement déplétée, de sorte que la charge piégée commence à décroître. Cette diminution de charge s’explique par une éjection latérale des électrons qui sortent donc de la boîte de simulation, plutôt que par une perte de leur énergie. En utilisant des densités plasma plus faibles, le maximum de charge est plus faible et est atteint plus tardivement, mais la perte de charge après ce maximum est également plus lente. Pour cette raison, utiliser la densité maximale n’est pas forcément idéal pour la génération d’une source bétatron. Pour les densités les plus faibles testées ici, ne = 2.8×1017 cm−3 et ne = 5.6×1017 cm−3 , la charge maximale n’est pas encore atteinte après 4 cm de propagation, et les processus d’injection et d’accélération pourraient encore continuer sur plusieurs centimètres supplémentaires si un plasma plus long avait été simulé. En figure 21b, on montre les spectres électroniques après 2 cm d’accélération. On constate une distribution quasi-maxwelienne caractéristique des régimes automodulés [Kneip et al., 2008]. Une température électronique a ainsi été calculée pour les électrons au-delà de 200 MeV et augmente avec la densité plasma (de 110 MeV pour ne = 2.8 × 1017 cm−3 à 200 MeV pour ne = 2.8 × 1018 cm−3 ). Pour la plus grande densité testée, la charge observée au delà du GeV reste importante (> 1 nC). Pour la densité testée la plus faible, on distingue une composante quasimonoénergétique vers 300 MeV, au sein de la distribution maxwellienne. À cette densité, l’impulsion laser ne s’étend que sur environ deux longueurs d’onde plasma, ce qui stabilise l’évolution de l’impulsion laser et donc du sillage. Une réduction supplémentaire de la densité plasma conduirait ainsi à un renforcement de cette tendance, et à une transition vers un régime d’accélération plus proche du régime de cavitation. C’est ce que nous explorons dans la prochaine section.