Principe d’éducabilité et normalisation
Mettre en œuvre ces compétences implique que l’on croie à celles des élèves, quels qu’ils soient. Cela fait appel au principe d’éducabilité, que Meirieu (2006) définit comme le pari que tout être avec ses particularités propres peut apprendre. L’éducabilité renvoie à la croyance que chaque individu peut s’associer au projet collectif de la société. Ce concept est issu des travaux de Vygotsky (1934) qui inscrivent l’intelligence dans des zones mouvantes qui évoluent au travers d’un accompagnement adéquat par lequel l’apprenant pourra ultérieurement intégrer de nouvelles données, de nouvelles stratégies ou de nouveaux savoirs. L’intelligence n’est plus définie comme un processus ayant un début et une fin, mais comme un potentiel en devenir à partir de structures existantes. Cette vision vient s’appuyer sur les découvertes actuelles en imageries médicales qui démontrent que le cerveau possède une plasticité permettant d’ acquérir de nouveaux savoirs (Cardinet, 2009). Il faut bien sûr bénéficier de conditions appropriées pour obtenir des modifications structurales.
Dès lors, le principe d’éducabilité s’oppose à la normalisation ; Cardou et Develey (2001) estiment que ce qui la caractérise est le mode de suppression graduelle de la différence et d’uniformisation du divers. Il y a le normal et l’anormal ; on oublie ainsi que tout individu, élève à besoins particuliers compris, est doué d’une plasticité qui lui permet d’évoluer, comme présenté ci-dessus. D’autre part, « être dans la norme » découle systématiquement d’une évaluation extérieure ; comme le rappellent Cardou et Develey (2001), un enfant sauvage n’est pas a-normal, puisqu’il n’y a justement pas de norme en dehors de la société. Le système scolaire se définit encore la plupart du temps par le normatif, continuant à trier les élèves au moyen des objectifs fondamentaux à atteindre pour tout le monde durant un même cycle, à créer des groupes de compétences et à maintenir des classes spécialisées. En outre, l’aide des « spécialistes » vient souvent renforcer le déterminisme institutionnel: Monceau (2001) relève que : les approches cliniques … auxquelles les professionnels de l’école sont progressivement sensibilisés ne « cassent » pas le tri scolaire (comme on le croit abusivement en se contentant d’opposer psychométrie et psychologie clinique) mais légitiment de nouvelles pratiques de tri et d’éducation (p.43).
Discussion Au vu du nombre de questionnaires rentrés, il faut relever encore une fois qu’il n’est pas possible de généraliser les déductions. Néanmoins, on peut parler de tendances à partir des éléments identifiés. Au niveau de l’intérêt pour l’intégration, les effets tendanciels d’un bilan confirment les propos de Curchod-Ruedi, Doudin, Ramel, Bonvin et Albanese (2012) attestant qu’une majorité des enseignants y demeurent favorables. D’autre part, ces auteurs rappellent que les enseignants désirant intégrer des élèves à besoins particuliers sont plus sujets à l’épuisement professionnel. En effet, la peur de ne pas savoir faire est corrélée par le risque de burn-out. Dans cette recherche-ci, on peut relever que les plus jeunes se sentent effectivement moins armées après un bilan, ce qui les rend probablement plus «frileuses» face à l’intégration. Elles font sans aucun doute un rapprochement, comme le soutien Lhuilier (2007) entre l’échec de leurs élèves et leur propre échec à les aider d’une manière efficace, d’autant plus si un «spécialiste» propose des modifications pédagogiques ou d’attitude qui peuvent être compliquées à intégrer. Car comme ce chercheur l’affirme : Toutes les situations de travail qui confrontent à une dilution de la distinction entre le fantasme et la réalité sont source d’angoisse. La réalité est appréhendée comme dangereuse, car ressemblant trop au fantasme, et ce, sur fond de dilution ou défaut des systèmes symboliques qui encadrent et guident les pratiques (p.92). D’autre part, quatre maîtresses entre 20 et 40 ans justifient la demande d’un bilan par un trouble du comportement. Curchod-Ruedi, Doudin, Ramel, Bonvin et Albanese (2012) mettent en évidence qu’un élève souffrant d’un tel trouble représente un risque de burn-out.
Le score atteint par ces enseignantes favorables à l’intégration reste faible au départ et passe juste la moyenne entre les deux questionnaires. Il faut alors se demander si elles n’ont pas déjà vécu des expériences similaires ou si elles pensent, à l’instar de certaines de leurs collègues, et comme l’avancent Ramel et Benoît (2011) que des élèves avec des troubles d’apprentissage ou du comportement est compliqué à gérer avec les autres membres d’une même classe. En outre, toutes les enseignantes adhèrent à l’idée d’adapter leur programme à un degré supérieur pour les enfants à besoins particuliers. Encore faut-il s’entendre sur la notion d’adaptation. La Loi sur l’enseignement obligatoire vient d’entrer en vigueur en 2013 et stipule bien dans l’article 107 que « les modalités de l’évaluation peuvent être adaptées pour prendre en compte des facteurs tels qu’une situation de handicap ou d’autres circonstances particulières », sans en préciser davantage. Or, il est clair que si ces pratiques étaient dans l’air ambiant depuis un certain temps, nul doute qu’elles restent encore vagues, comme ma pratique de doyen le démontre. Gillig en 2001 déjà, mentionne les lacunes de la formation initiale ou continue qui est dispensée pour former, comme il l’appelle des «superpédagogues», enseignants sachant gérer la différence dans une seule classe.
Les Hautes Écoles Pédagogiques suisses s’y attellent timidement depuis quelques années, mais tous les effets ne se révèlent certainement pas encore aujourd’hui. Ainsi, une seule enseignante se trouve être d’accord d’adapter son enseignement au maximum. Comme l’avance Lesain-Delabarre (2000 ) : Le domaine scolaire manifeste aussi une considérable propension à assimiler, digérer et, d’une certaine façon rejeter les changements suggérés (adaptation des enseignements) – aussi bien par les hiérarchies que les professionnels- et ce, à quelque plan que l’on situe l’analyse (p.14). Malgré cela, comme le défendent Rojewski & Pollard ( 1993), Sharma, Forlin, Loreman & Earle, (2006), cités par Benoît (2013), on peut noter que comme toutes les enseignantes sont plus favorables à intégrer après un bilan, elles entrevoient aussi d’adapter davantage leur enseignement et le programme scolaire pour répondre aux besoins spécifiques des élèves. A noter que les freins évoqués par les enseignantes à vouloir faire des adaptations sont la surcharge de travail (5X) et le manque de temps (3X).
Cet état de fait a déjà été décrit au travers d’une étude de Parent, Fortier et Boisvert (1993) : les enseignants pensent que I’organisation et l’adaptation de services pédagogiques aux élèves intégrés augmentent sensiblement leur tâche.Il est possible d’interpréter ces résultats en disant que les enseignant doivent prendre du temps pour adapter du matériel qui est inexistant. La présence d’un élève intégré, surtout si sa condition exige des soins extracurriculaires, apporte, selon les répondants un surplus de travail. Le sentiment de compétence à lui seul est relativement moyen au départ, mais s’élève significativement après le bilan. Rousseau et Thibodeau (2011) insistent sur l’expérimentation de pratiques pédagogiques à visée inclusive pour contribuer à l’augmentation de sa confiance en ses compétences ; par conséquent, comme les enseignantes ont eu l’occasion de mettre en pratique un certain nombre de choses entre le retour de bilan et le second questionnaire, il n’est pas étonnant que cela ait eu quelque effet sur ce ressenti. Par ailleurs, il semble possible qu’un bilan puisse également augmenter ce sentiment, un peu comme une « formation continue » par l’obtention d’explications et de conseils auprès d’un spécialiste, comme le stipule Benoît (2013). Dans mon établissement, les PPLS tendent à avoir des échanges réguliers avec les maîtres pour débattre des situations particulières et fournir ainsi un certain nombre d’outils. Le sentiment de compétence qui s’avère le plus élevé chez les plus âgées pourrait provenir de leur expérience comme de leur bagage pédagogique, issu de la formation continue (Benoît 2013). Par extension, celles qui ont eu pu suivre le plus souvent des cours de perfectionnement se sentent plus compétentes, pour autant qu’elles aient répondu aux injonctions des autorités quant à la formation continue. En ce qui concerne le processus de délégation, on remarque que les enseignantes entre 30 et 40 ans tendent à confier la problématique aux spécialistes, et donc comme dit ci-dessus, ne se sentiraient pas assez compétentes au départ. Elles sont enclines à estimer que:
1.Contexte |