Qui crée des richesses et comment les partager ?
Présentation du chapitre : Produire est une activité centrale de tout système économique. La création de richesses est au cœur des interrogations sur la croissance. Mais qui sont les acteurs à l’origine de l’activité de production ? Les entreprises sont-elles les seules à produire ? Le PIB, qui mesure la valeur annuelle des richesses produites sur un territoire, est-il un bon indicateur ? Et qui sont les principaux bénéficiaires de ces richesses ? Comment a évolué son partage au niveau macroéconomique ?L’émergence de la Comptabilité Nationale accompagne celle de la macroéconomie. Les deux sont filles de la grande crise de 1929 de la seconde Guerre mondiale (…). La crise de 1929 va être décisive en mettant au premier plan les déséquilibres et le chômage de masse et en faisant douter des mécanismes de rééquilibrage automatique par le marché. La macroéconomie naît véritablement alors avec la Théorie générale de Keynes (…). Elle constitue la base théorique qui rend nécessaire le calcul des agrégats économiques interdépendants (…). Le rôle de l’Etat s’étend, bien au-delà des classiques fonctions régaliennes (administration générale, défense, police, justice).
Les dépenses et les recettes publiques, en fort accroissement, deviennent des éléments essentiels de détermination du niveau de l’activité. La naissance de la Comptabilité Nationale est ainsi historiquement étroitement liée à la crise, à la macroéconomie keynésienne et à l’extension du rôle de l’Etat, celui-ci étant renforcé par la guerre puis dans l’après-guerre par les politiques de reconstruction, de croissance et de protection sociale. Dans un pays il n’y a que trois entreprises, une épicerie, une coopérative agricole et un producteur de plats cuisinés (Cuist’O). La coopérative produit des aliments (légumes, fruits, viande) pour une valeur de 50 000 €. Elle fabrique elle-même tout ce qui lui est nécessaire (semences, engrais, nourriture des animaux, etc.), ce qui fait qu’elle n’a pas de consommations intermédiaires. Cuist’O achète les légumes, les fruits et la viande à la coopérative agricole, produit des plats cuisinés et vend à l’épicerie ses plats cuisinés (20 000 plats à 7,50 euros chaque). L’épicerie vend ses produits à ses clients au prix de 10 euros l’unité. La valeur de la production d’un boulanger est de 1000 €, mais il a utilisé 100 € de farine et 50 € de produits divers (électricité, loyer, etc.) pour produire le pain vendu. Autrement dit, à € de consommations intermédiaires, il a ajouté par son travail et l’utilisation de ses machines une valeur de€. Laest cette valeur nouvelle crée au cours du processus de production.
On la mesure par l’excédent de la valeur des biens et services produits sur la valeur des consommations intermédiaires utilisées pour les produire. Attention ! Les salaires ne font pas partie des consommations intermédiaires. Les estimations actuelles des services ne sont pas satisfaisantes, notamment en ce qui concerne les services publics comme la santé et l’éducation. Les estimations du prix courant de biens et services correspondant, pour une même dépense, à une population en meilleure santé ou plus instruite ne sont guère disponibles. […] C’est pourquoi les statisticiens s’en remettent d’ordinaire au prix des facteurs de production comme le revenu des médecins, infirmiers et enseignants. Cela dit, entre autres complications, cette méthodologie ignore l’amélioration de la qualité des services publics, une faiblesse d’autant plus problématique vu leur poids substantiel dans le PIB (18 % en France et 19,6 % en Allemagne en 2009), et leur accroissement régulier dans les économies contemporaines. Surtout, ces difficultés empêchent d’élaborer des comparaisons internationales. Si par exemple, un pays a opté pour la fourniture de la plupart de ses services de santé via le secteur public, et si ceux-ci sont sous-estimés par la méthode d’évaluation susmentionnée, ce pays semblera moins riche qu’un autre dont les mêmes services sont fournis par le secteur privé et évalués à leur prix courant. Les estimations officielles du PIB ont également tendance à omettre des pans importants de l’économie souterraine.
Par exemple, les transactions comme le trafic illégal de stupéfiants ne sont pas comptabilisées, ce qui débouche sur un PIB sous-estimé. Apparemment, toutes les tentatives d’incorporer les chiffres de l’économie informelle, qui, d’une manière ou d’une autre, ont dû se fonder sur des estimations indirectes, ont engendré des révisions appréciables du PIB officiel. La Colombie est un exemple extrême puisqu’elle a révisé son PIB à la hausse de 16,5 % en 1994, en raison principalement de l’incorporation de la production estimée de cultures illégales. Cela illustre comment le fait d’ignorer de tels facteurs peut fausser les comparaisons internationales de performance économique. Et pourtant, les problèmes de mesure étant par nature considérables, il convient d’interpréter avec grande prudence les chiffres du PIB corrigés des activités illégales comme l’économie de la drogue.