Qu’est-ce que l’esthétique?
L’esthétique demeure toujours, depuis sa« création» par Baumgarten en 1750, l’étude philosophique et scientifique de l’art et du beau. Elle est aujourd’hui directement liée à l’éthique et à la réflexion axiologique . Le mot tire son origine des noeta, faits d’intelligence, et des aistheta, faits de sensibilité. Cette «science du beau» sous-entend que toute appréciation de l’art peut être un objet d’étude et remet en cause la réalité selon laquelle cette appréciation se veut de nature purement subjective. Selon Souriau (1990, p.689), c’est une discipline qui se distingue de l’art, la didactique, la critique, la psychologie, la morale et l’histoire de l’art, malgré le fait qu’elle tire partie de chacun de ces domaines:
– L’art est une pratique et l’esthétique une réflexion sur cette pratique et sur ses œuvres.
– L’esthétique se distingue de la didactique en ce sens que l’esthétique ne donne pas de préceptes et n’a pas pour but de former des poètes et des artistes.
– La critique veut apprécier les œuvres littéraires et artistiques et porter sur elles des jugements de valeur souvent de manière subjective alors que l’esthétique est descriptive, objective et analytique.
– L’esthétique se restreint à ce qui, en psychologie, concerne l’art et le sentiment du beau.
– La morale porte sur des valeurs différentes des valeurs esthétiques.
– L’histoire de l’art situe les faits dans l’espace et dans le temps, l’esthétique n’a pas pour objet la temporalité en elle-même.
D’ordre général, l’esthétique est l’objet d’une réflexion philosophique.
Les grands débats passés et présents sont, en esthétique surtout, des doctrines. Alors même qu ‘on renonce à voir en elle une discipline normative, on se range avec plus ou moins de netteté dans un courant philosophique qui présuppose la recherche inachevée ~· expressionnisme ou intellectualisme, naturalisme ou culturalisme, primat de la forme ou du sujet. Ces options primordiales n’ont pas en général un caractère méthodologique. (Francès, 1979, p.8).
Lorsque associée à la philosophie de l’art, on peut s’étonner de voir cette discipline faire l’objet d’une recherche scientifique. Pour cette raison, il faut spécifier que l’esthétique est une discipline complexe qui se subdivise en plusieurs catégories : Dans toute cette évolution et sa recherche d’une définition, l’esthétique apparaît comme à la fois, et organiquement, une et multiple. On peut reprendre son sujet à la métaphore de l’arbre. L’esthétique, étude réflexive du beau, au sens général, se subdivise dans l’étude des modes du beau, les catégories esthétiques. Ces valeurs racines nourrissant la création et la constitution d’un corps d’êtres existant objectivement en eux-mêmes, observables et positifs, les œuvres d’art. L’esthétique prend alors son tronc massif, elle se fait philosophique et science de 1 ‘art. Mais du tronc naissent maintes branches, car 1 ‘étude des œuvres el/es-mêmes tient étroitement à bien d’autres études qui en dérivent: étude de leur réalisation (l’esthéticien étudie alors la création artistique et l’artiste en tant qu’artiste); étude des analogies entre ces œuvres et la nature; étude des formes considérées en ellesmêmes (esthétique morphologique); étude des réactions qu’elles suscitent, du jugement esthétique, de la sensibilité esthétique (esthétique psychologique), et de leurs relation avec la société (esthétique sociologique), etc. (Souriau, 1990, p.691).
Cependant, l’esthétique est également devenue un objet d’étude pour les sciences humaines, comme la sociologie et la psychologie. Pour cette dernière, l’esthétique expérimentale, une approche scientifique du domaine, voit le jour avec les travaux de Fechner (Vorschule der Aesthetik, 1876) et a pour_principe de soumettre une idée au contrôle des faits selon le schéma stimulus-réponse, ou stimulus – personnalité – réponse.
Les expériences les plus fréquentes consistent à présenter à des sujets un matériel nettement défini prêtant à appréciations esthétiques, et à noter leurs réactions, en cherchant s’il existe des corrélations entre certains caractères variables du matériel employé, ou certaines caractéristiques des sujets, et les réactions ou réponses. {…}L’esthétique expérimentale répond avant tout au souci d’éviter les prises de positions arbitraires. (Souriau, 1990, p.710) .
Jugement esthétique et jugement de valeur
Bien que le jugement présente plusieurs variétés, il est plus souvent qu’autrement associé à des jugements de valeur, et ce, surtout depuis que l’esthétique s’est constituée en discipline indépendante au XVIIIe siècle. L’esthétique prend le terme de jugement dans toutes ses acceptations philosophiques et psychologiques, où il désigne une prise de position, par la pensée, sur une relation, un rapport. Plus spécialement, le mot a trois sens à l’intérieur de cette signification générale: /a faculté qu’a la pensée de concevoir une relation et de l ‘affirmer ou la nier; un acte mental où opère cette faculté,. le résultat de cet acte, c’est-à-dire la phrase, la formulation verbale qui l’exprime. (Souriau, 1990, p.923) .
Le jugement de valeur est considéré comme un jugement de goût, de nature subjective, associé au plaisir et au déplaisir. Le jugement esthétique demeure pour la plupart d’entre nous un processus complexe, relatif à chacun, parce que guidé par nos sens, nos valeurs personnelles. Difficile de discuter de notre appréciation, de partager notre interprétation, et parce que nous n’arrivons pas à comprendre la position de l’autre, nous expliquons le phénomène par la notion du« goût».
Pourtant, notre jugement s’appuie sur des critères pour prendre forme. Des critères qui subissent l’influence de notre milieu social et qui nous servent de repères lorsque nous émettons un jugement de nature esthétique. La controverse sur les critères esthétiques repose sur le fait que ce sont eux qui déterminent la réussite ou le ratage d’une œuvre. Tout le problème est d’identifier ce «au nom de quoi» une œuvre est jugée comme réussie. Ainsi, nous considérons que la vraie critique serait cette sensibilité aux différenciations esthétiques et que comprendre un objet esthétique, c’est décider dans quelle mesure il est réussi ou non (Suzanne Foisy, 1993).
Jugement esthétique et objectivité
Le jugement esthétique est le produit d’un raisonnement, reflet de la compréhension d’une image et de ce qu’elle implique à tous les niveaux, que ce soit la dimension culturelle, historique, sociologique, fonctionnelle, plastique, émotive, etc. De notre recension d’écrits, nous retenons deux grands types de raisonnements caractéristiques du jugement esthétique. D’abord, il peut y avoir des raisonnements essentiellement ou en grande partie issus de notre expérience individuelle associée à des émotions et des souvenirs, sans que l’on puisse expliquer et comprendre cette expérience, ou encore, sans investir les efforts nécessaires à cette compréhension. Puis il peut y avoir des raisonnements issus d’une réflexion approfondie, basés sur l’analyse de toutes les composantes esthétiques de l’image, ces composantes étant liées à toutes les dimensions énumérées précédemment. Il est alors le fruit d’un effort de compréhension important qui ne peut s’effectuer sans une éducation préalable et sans la capacité à émettre soi-même des questions, mais aussi d’y répondre, en considérant tous les aspects qui peuvent influencer ce jugement.
Selon Mikel Dufrenne (cité par Souriau, 1990, p.927), l’œuvre d’art est une école d’attention, et à mesure que s’exerce l’aptitude à s’ouvrir, se développe l’aptitude à comprendre. Le photographe Ferrante Ferranti explicite ainsi les rapports esthétiques que nous entretenons avec une image et de ce fait, les jugements qui en découlent: La photographie est une forme d’expression au service de l’œil« instruit»; elle le guide. L’œil est l’organe de perception par excellence qui aussit6t replace l’image dans son contexte. Mais comme le dit Michel Frizot, la photographie est avant tout une technique qu’il faut parfaitement maîtriser, puis un instrument qui permet de changer la perception du monde. Lire une photographie c’est d’abord la voir spontanément avec sa propre sensibilité, puis la comprendre techniquement, saisir enfin l ‘usage qui en a été fait, pour mieux apprécier son sujet, son esthétique. Apprendre à regarder une photographie, modifie complètement la première impression. (Claustrat, 2002, p. 71).
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