Si la pédopornographie n’est pas un concept nouveau, l’apparition des nouvelles technologies a eu comme conséquence de lui donner une ampleur différente. La facilité d’accès, le caractère abordable et la sensation d’anonymat permettent à un grand nombre de personnes de s’y intéresser (Broadhurst, 2020; Raymond, 2015). Pour illustration, les statistiques policières belges dénombrent 94 infractions de ce type en 2000, 516 en 2012 puis 1855 en 2018 et 2414 en 2019 (Police fédérale, 2020). Le casier judiciaire central belge recense quant à lui 126 condamnations en 2009 et 239 en 2018 (SPF Justice, 2020). L’ampleur est aussi reconnue à un niveau international : entre 2010 et 2017, la banque de données d’Interpol comptait 500 000 images pédopornographiques (Boadhurst, 2020). L’expansion du phénomène a donné suite à un grand nombre d’articles scientifiques où ont été surtout questionnés les caractéristiques des téléchargeurs de ce type de contenu (Armstrong et Mellor, 2016; Babchishin et al., 2015; Brown et Bricknell, 2018; Henshaw, 2018; Jung et al., 2013; Kloess, 2019; Ly et al., 2018; McManus, 2015; Raymond, 2015; Soldino et al, 2019) et les liens entre le téléchargement et le passage à l’acte dans le monde non virtuel (Merdian et al., 2018; Raymond, 2015; Rimer, 2020). Pendant ces trente dernières années, la vision des faits a donc plutôt été centrée sur le passé (les circonstances amenant aux faits) et le futur (le risque de récidive). Trop peu, à notre avis, sur le présent : ce que vivent les téléchargeurs. C’est ce présent que nous voulons questionner dans cette étude et, plus précisément, les moyens qu’ils identifient comme aidant à ne pas télécharger.
La pédopornographie
La pédopornographie, aussi appelée pornographie juvénile, enfantine ou infantile, est, dans cette recherche, telle que définie à l’article 383bis du code pénal belge (CP) : « tout matériel représentant de manière visuelle, par quelque moyen que ce soit », « un mineur », « une personne qui parait être un mineur » ou « des images réalistes représentant un mineur qui n’existe pas », « se livrant à un comportement sexuellement explicite, ou représentant les organes sexuels de ce mineur à des fins principalement sexuelles ». L’article réprime les comportements de production, de distribution et de possession de matériel pédopornographique. Nous utiliserons ainsi le vocabulaire de la loi belge, c’està-dire soit « pédopornographie » (art 383bis/1 CP), soit « matériel pédopornographique » (art 383bis CP). En droit belge, l’âge de la majorité sexuelle est fixé à 16 ans. Il est ainsi intéressant de noter qu’un mineur qui a entre 16 et 18 ans, hors cas d’inceste (art 382 al2 CP) et de prostitution (art 379 CP), peut consentir à une relation sexuelle (art 372 CP), alors qu’une image sexualisée de son corps constitue du matériel pédopornographique (art 383bis CP). Les études présentées dans cette recherche se basent sur la définition du code pénal de leur pays et peuvent donc différer de la définition belge. Cependant, plusieurs conventions internationales ont eu pour objectif d’harmoniser les législations. En son article 9, la Convention de Budapest sur la cybercriminalité a souhaité, en 2001, que soient érigées en infraction pénale notamment la production et la possession de «pornographie enfantine », définie comme tout matériel représentant de manière visuelle « un mineur », « une personne qui apparaît comme un mineur » ou « des images réalistes représentant un mineur » « se livrant à un comportement sexuellement explicite ». Le seuil de minorité est fixé à 18 ans, mais les pays signataires peuvent la diminuer jusqu’à l’âge de 16 ans. En outre, ils peuvent notamment exclure de la définition de la pornographie enfantine les images de personnes apparaissant comme un mineur ou les images réalistes représentant un mineur. Cette convention a été ratifiée aujourd’hui par 67 pays, notamment les membres du Conseil de l’Europe, le Canada, les ÉtatsUnis et l’Australie. Nous pensons que ces différences ne justifient pas l’exclusion de certains articles scientifiques internationaux de notre recherche.
Les téléchargeurs de pédopornographie
La pédopornographie étudiée ces dernières années étant celle obtenue sur support numérique, nous utiliserons dans cet article la notion de « téléchargeur » de pédopornographie. Ce terme, utilisé par certains auteurs francophones (Coutanceau et al., 2010; Vlachopoulou et Missionier, 2018), permet de considérer à la fois les concepts de « consommation », de « possession » et de « consultation », sans induire les notions d’addiction ou de passivité. Le profil des téléchargeurs de pédopornographie étant hétérogène, il n’est pas possible de dresser un profil-type de ceux-ci (Rimer, 2020). Cela explique pourquoi un grand nombre d’études et de métaanalyses ont tenté de les comparer à d’autres délinquants sexuels (Armstrong et Mellor, 2016; Babchishin et al., 2015; Brown et Bricknell, 2018; Henshaw et al., 2018; Jung et al., 2013; Ly et al., 2018; McManus, 2015; Raymond, 2015). Il est important de garder en mémoire que ces études se basent uniquement sur des individus identifiés par le système judiciaire, ce qui constitue un biais pour généraliser les résultats (Beier et al., 2015). Que ce soit en comparaison avec les autres types d’auteurs à caractère sexuel (Babchishin et al., 2015; Brown et Bricknell, 2018; Jung et al., 2013; Raymond, 2015) ou avec des « mixtes », donc qui ont été condamnés pour téléchargement de pédopornographie et agressions sexuelles (Armstrong et Mellor, 2016; Babchishin, et al., 2015; Henshaw et al., 2018; Ly et al., 2018; McManus, 2015; Raymond, 2015), les téléchargeurs de pédopornographie seraient plus susceptibles d’avoir un emploi et d’avoir un plus haut niveau d’éducation ou de qualification, seraient plus souvent célibataires, auraient moins d’antécédents judiciaires et seraient moins à risque de récidive. Certains auteurs précisent cependant que les individus condamnés pour pédopornographie, pour d’autres infractions sur internet ou pour agression sur enfants ont un profil similaire au niveau des relations intimes et sexuelles, des traits de personnalité, de l’histoire psychiatrique et de l’histoire criminelle (Jungs et al., 2013). Pour Brown et Bricknell (2018), le profil des téléchargeurs « may be different to that of other types of sexual offenders, especially those who commit contact sexual offences against children » (p. 9). Quant à la question du lien entre téléchargement de pédopornographie et passage à l’acte sexuel dans le monde non virtuel, s’il est certain que l’un n’exclut pas l’autre (Hannah et al., 2018; Rimer, 2020), il est parfois précisé qu’un grand nombre de téléchargeurs de pédopornographie « ne commettra pas d’agression sexuelle avec contact » (Raymond, 2015, p. 4). Pour Babchishin, Hanson et Vanzuyken (2015), l’utilisation de la théorie des activités routinières (Cohen et Felson, 1979) permet de distinguer les téléchargeurs de pédopornographie, les agresseurs sexuels et les délinquants sexuels « mixtes » en fonction de l’opportunité d’accès. Pour eux, les trois types de délinquants seraient des individus motivés par la commission de délits sexuels, mais se différencieraient par l’accès aux enfants et à internet : le téléchargeur aurait accès à internet, le délinquant sexuel aurait accès aux enfants, le délinquant mixte aurait accès aux deux (Babchishin et al., 2015).
Les moyens permettant l’arrêt du téléchargement de pédopornographie
Choix du vocabulaire
Nous avons hésité entre l’utilisation des termes « désistance », « évitement de la récidive » et « arrêt » pour qualifier la fin du téléchargement de matériel pédopornographique. La désistance est un terme utilisé par de nombreux chercheurs, mais différentes significations y sont attachées en fonction de la littérature. Certains auteurs utilisent ce mot pour signifier la fin des infractions (Farral et Bowling, 1999) ou l’arrêt pendant une période déterminée (Farrington et Hawkings, 1991; Warr, 1998). Certains considèrent qu’il s’agit d’un réel changement de perception (Cooley et Sample, 2018; Farmer et al., 2012) et, pour d’autres, il s’agit d’un long processus continu (Clarke et Cornish, 1985; Luckenbill et Best, 1981). Des auteurs vont même jusqu’à distinguer la désistance primaire, le moment sans crime, et la désistance secondaire, le changement d’une identité de délinquant à une identité de non-délinquant, comme Maruna (2000). De plus, plusieurs chercheurs ayant étudié la pédopornographie utilisent ce mot sans le définir (Knack, 2019; Merdian et al, 2017; Merdian et al., 2020). Cette absence de consensus nous amène à penser que l’utilisation de ce mot ne participe pas à la clarté de notre contenu. Nous avons aussi écarté le vocable « évitement de la récidive », car nous ne voulions pas laisser penser que nous parlions exclusivement de la récidive légale des articles 54 à 57bis du code pénal belge, donc de la situation d’un individu qui commet une nouvelle infraction après une condamnation définitive. Notre recherche concerne les actions et non les condamnations. De plus, cette récidive a souvent été abordée sous le prisme d’échelles, comme par exemple la Child Pornography Offender Risk Tool (Eke et al, 2018), la Statique-99 (Hanson et Thomton, 1999, cité dans Pham, 2006) et la Sexual Violence Risk-20 (Boer et al., 1997, cité dans Pham, 2006). Notre recherche n’a pas pour but de remettre en question ce type d’instruments, mais de nous distancer des divers items, afin de nous axer sur la spécificité des comportements. Notre choix s’est ainsi porté sur l’« arrêt », traduction possible du terme utilisé dans une étude de Booxbaum et Burton en 2013 étudiant les « self-reported methods of cessation of adult male child abusers ». Par ce terme, il sera plus simple de comprendre « ne pas télécharger de la pédopornographie » et, ainsi, ne pas laisser la possibilité d’imaginer « ne plus avoir envie de pédopornographie » ou « ne plus être condamné pour pédopornographie ». C’est cette même étude qui nous a fait préférer le terme « moyen », à celui de « stratégie» et de « technique ».
1. Abstract |