Quels sont les effets sur la santé de l’homme et des animaux ?
En ces temps-là, ils sont des milliers atteints d’un mal étrange. Une épidémie ? on ne sait pas. Souvent les cas se répètent au même lieu, atteignent et déciment des familles entières. Cette affection que l’on croit contagieuse se manifeste par des convulsions ou bien par des gangrènes pouvant être précédées de troubles hallucinatoires. Dans le premier cas, la maladie évolue vers la mort dans le délire et, dans le second, avec la perte d’un ou de plusieurs membres au prix d’atroces souffrances.Devant l’impuissance de la médecine, les malades invoquent saint Antoine et partent en pèlerinage. Lors des épidémies historiques, les chroniqueurs décrivent la nécrose puis la chute des mains et des pieds chez les personnes atteintes, ainsi que la perturbation du comportement, des perceptions et de la conscience. Bientôt l’ordre des Antonins est fondé. Dans toute la chrétienté, ils reçoivent les victimes et parfois les guérissent grâce à des thérapeutiques spécifiques alliant médecine humaine et incantation divine. Cette maladie est appelée « feu de saint Antoine », « feu sacré », « peste de feu » ou « mal des ardents ».Le moine Adémar de Chabannes (988-1034) relate les événements surve- nus en Limousin où plus de quarante mille personnes sont mortes de cette épidémie. L’abbé Geoffroy et les évêques d’Aquitaine assemblés à Limoges décident de déplacer en procession le corps de saint Martial, premier évêque de Limoges, à travers la ville. « Ainsi la peste de feu cesse. » C’est cet événement que commémorent aujourd’hui encore, tous les sept ans, les ostensions limou- sines célébrées au printemps. D’autres épisodes sont restés célèbres, comme à Paris en 1129. Sous le règne de Louis VI le Gros, une épidémie d’ergotisme fait quatorze mille victimes. on fait appel à sainte Geneviève, qui aurait déjà sauvé la ville à maintes reprises, et on organise une procession solennelle.
De nombreux témoignages demeurent de cette époque. Ainsi, des sculp- tures et des peintures attestent de l’existence et de l’importance de ce mal. Le retable d’Issenheim représente la lutte de saint Antoine contre cette endémie. D’aucuns se demandent même si Jérôme Bosch, l’illustre peintre, ne se serait pas inspiré de récits d’hallucinations pour imaginer les sujets surréalistes illustrant nombre de ses œuvres, notamment la fameuse Tentation de saint Antoine exposée au Museu Nacional de Arte Antiga de Lisbonne.En 1692 en Amérique du Nord, huit jeunes filles, dont la fille et la nièce du pasteur du village de Salem, tiennent des propos incohérents et présentent des « postures indécentes ». Les médecins consultés, ne décelant pas de symp- tômes connus, parlent de sorcellerie. Ces accusations ont comme conséquence l’emprisonnement de près de deux cents personnes et la condamnation par pendaison de vingt autres. L’année suivante, la Cour suprême juge les autres prévenus et finit par les acquitter. Trois cents ans plus tard, on rapproche les symptômes des « sorcières de Salem » de ceux des malades atteints d’ergo- tisme. En fait, les jeunes filles étaient malades et non ensorcelées.À partir de 1780, la « gangrène des Solognots », maladie similaire très répandue en Sologne, est enfin reconnue comme une conséquence de l’er- gotisme. En effet, l’abbé Teissier montre en 1777 que l’administration de poudre d’ergot à des canards et à des porcs reproduit les symptômes de la maladie. De fait, le pain, nourriture de base, est alors essentiellement préparé à base de farine de seigle, céréale susceptible d’être infectée en conditions humides par l’ergot de seigle.
Le mycélium, ou sclérote de ce champignon, Claviceps purpurea, contient de nombreux alcaloïdes et des substances hallu- cinogènes. on distingue trois classes : les clavines, les ergopeptides, dont le plus important, l’ergotamine. Ce sont des dérivés de l’acide lysergique (à l’origine du LSD). D’autres, comme l’ergotaminine, sont des dérivés de l’acide isolysergique. Certaines de ces toxines sont à l’origine de molécules vasoconstrictrices utilisées de nos jours avec succès, à faibles doses, dans la thérapeutique des migraines. L’intoxication engendre donc la constriction des vaisseaux sanguins avec pour conséquence une moindre irrigation des tissus par le sang puis la mortification et la gangrène des tissus. Elle provoque aussi des hallucinations à l’origine d’état d’agitation extrême. Cette connaissance acquise réduit progressivement les manifestations en Europe. La dernière épidémie avérée s’est produite en Russie en 1926. En France, l’ergotisme a été un moment suspecté dans l’affaire du « pain maudit de Pont-Saint-Esprit » en 1951. Toutefois, l’origine de cette intoxication n’a pu être formellement identifiée. Les derniers cas rapportés datent des années soixante- dix en Afrique et en Inde.