Quelques remarques sur une approche pragmatiste de la recherche en sciences humaines

Quelques remarques sur une approche pragmatiste de la recherche en sciences humaines

De manière générale, au cours de ce travail de recherche, nous avons cherché à nous conformer aux orientations théoriques et méthodologiques suivantes : 1) privilégier une approche des phénomènes sociaux qui met l’accent sur la proximité au terrain, l’engagement du chercheur, les interprétations indigènes des situations, les effets par opposition aux essences ; 2) considérer les dispositifs sociotechniques ou plus grossièrement les « non-humains » comme des actants dans les situations étudiées (Latour 1987) ; 3) préférer la compréhension fluide des événements aux découpages disciplinaires et s’autoriser le recours à de multiples sources théoriques dans l’analyse ; 4) « croire plus en des micro-réglages méthodologiques à la différence des ‘grands choix’ théoriques ou épistémologiques qui sont volontiers mis en scène » (Olivier de Sardan 2008, p.205) ; 5) considérer que la pertinence de l’argument s’évalue en fonction de sa portée heuristique intrinsèque et non en fonction de son degré de généralisation. Méthodologie

Validité scientifique de la méthode ethnographique

Ainsi, notre ambition méthodologique consistait davantage, dans une inspiration pragmatiste, à nous rapprocher du terrain et des significations indigènes des phénomènes, qu’à conserver une « distance » ou une « objectivité » par rapport aux acteurs, en utilisant des protocoles à la fois lourds et inefficaces. La prétention à l’objectivité est une chimère qui, comme le fait remarquer un illustre sociologue interactionniste, peut avoir des effets contre-productifs : Pour comprendre ce processus [d’interprétation à travers lequel l’acteur construit ses actions] le chercheur doit prendre le rôle de l’acteur dont il se propose d’étudier le comportement. Puisque l’interprétation est construite par l’acteur sous forme d’objets désignés et appréciés, de significations acquises et de décisions prises, le processus doit être considéré du point de vue de l’acteur […] Essayer de saisir le processus d’interprétation en restant à l’écart, comme l’observateur dit « objectif », et en refusant de prendre le rôle de l’acteur, c’est risquer la pire forme de subjectivisme : celle dans laquelle l’observateur objectif au lieu de saisir le processus d’interprétation tel qu’il se produit dans l’expérience de l’acteur, lui substitue ses propres conjectures (Blumer 1962, cité par Becker 1985, p.195). La méthode ethnographique nous semblait donc la plus adéquate pour comprendre la pratique des consultants. Sous la plume de Dufy et Weber (2007) « l’ethnographie est une approche descriptive des faits sociaux qui tient compte de leur signification indigène. Impossible, pour un ethnographe, de distinguer ce que font les personnes observées, ce qu’elles pensent faire et ce qu’elles sont. Impossible de dissocier leurs actes de leurs raisonnements, explicites ou implicites, non plus que de la position qu’elles occupent dans les univers sociaux qui sont les leurs » (p.14). A cela, on pourrait ajouter qu’il est impossible, pour un ethnographe, d’établir une frontière claire entre le sujet connaissant (lui-même) et l’objet de son enquête, qui se donne à voir par le truchement du rapport actif et singulier qu’il entretient avec lui. Ainsi, en passant outre la dissociation traditionnelle entre sujet et objet dans la production de connaissance, ou entre savoir et action dans la pratique de la recherche, une approche pragmatiste des phénomènes sociaux, basée sur l’observation participante, postule la compétence des acteurs et prône l’engagement du chercheur sur son terrain de recherche. « Se lier à des acteurs considérés comme compétents (au sens sociologique), confrontés à des problèmes qui supposent une forte dose de réflexivité, tel est l’enjeu central de la recherche sociologique » (Callon 1999, p.73).

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Sur l’autoethnographie « analytique » 

Le degré d’implication d’un chercheur dans la situation qu’il tente de comprendre peut varier du tout au tout. Depuis l’observation participante classique, où le chercheur épouse brièvement les mœurs de la communauté observée, pour mieux s’en distancier par la suite une 97 fois le confort de sa salle de classe retrouvée, jusqu’à la participation directe et active du chercheur à la situation analysée. Nous nous situons plutôt dans cette seconde catégorie qui, depuis les années 1980, a connu un essor certain, et que l’on qualifie parfois d’autoethnographie. La notion d’autoethnographie (étymologiquement, écrire sur soi et un peuple) se penche spécifiquement sur le rôle et les représentations du soi dans le travail ethnographique. En première instance, on peut entendre le mot de deux façons, à notre sens inégalement fécondes. S’il est utilisé pour souligner l’engagement du chercheur dans son terrain, le terme est un truisme, puisque le travail ethnographique se constitue, nous l’avons dit, par et dans le rapport qu’un chercheur entretient avec son objet. Le Naven de Bateson (1936) en donne une illustration célèbre : parti étudier les chasseurs de têtes Iatmul en Nouvelle-Guinée, l’auteur revient avec une méditation sur la nature, les conditions et le sens du travail ethnographique, et en particulier sur la construction de l’objet. Tout travail ethnographique est donc une forme d’autoethnographie. Si, au contraire, le terme est utilisé pour discuter les formes indigènes de l’ethnographie, où le chercheur est un « ethnographe de sa propre culture » (Reed-Danahay 1997), la question de la distance méthodologique et épistémologique est supplantée par des interrogations liées à la distance culturelle entre le chercheur et son objet, ce qui rend dès lors la notion fort intéressante. Dans cette seconde acception, l’autoethnographie se présente comme une méthodologie à part entière qui a suscité une littérature abondante. D’emblée, les variantes sémantiques du terme reflètent les débats intellectuels dont il fait l’objet. Comme l’expliquent Doloriert et Sambrook (2012) : Hayano (1979) is attributed with being the first to publish the term, but preferring “auto-ethnography”, suggesting a relationship where the main ethnos focus of the study prevails, the auto being something extra, pre-fixed on. In 1997, ReedDanahay introduced an edited text bringing the auto closer to the ethnos using the term “auto/ethnography”, suggesting a closer and mutually dependent relationship with varying auto/ethno combinations. In 2003, Ellis and Bochner offered a chapter both exploring and demonstrating “autoethnography”. Their move away from Hayano’s auto-ethnography and Reed-Danahay’s auto/ethnography is indicative of their introspective narrative, making the auto the main focal point of the study – this has become one of the most cited autoethnographic reviews todate and, arguably as a consequence, the term “autoethnography” is more widely used today […]. 

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