Quelques perspectives théoriques la question de l’inter-mariage dans la
sociologie de l’immigration
La mixité du mariage : polysémie et problèmes de définition
Comment définir la mixité culturelle ? Les différentes approches scientifiques La formation des unions, ses déterminants sociologiques, économiques et géographiques ont longuement été étudiés en sciences sociales . Dans l’ensemble de ce type de recherches, l’accent est mis sur le degré de ressemblance des conjoints. Les sociologues de la famille ont ainsi forgé le concept d’ »homogamie sociale », défini souvent comme l’union entre deux conjoints de statuts sociaux semblables (profession, diplôme, origine sociale). Les rôles respectifs de l’origine sociale et de l’éducation ont été particulièrement étudiés. Dans ce domaine, les travaux récents montrent qu’il existe une sorte de déplacement de l’homogamie fondée sur des critères d’origine sociale (ascriptive characteristics dans la terminologie anglo-saxonne) à l’homogamie fondée sur des critères de parcours individuel tels que l’éducation (achievement charateristics) (Kalmijn, 1991; Mare, 1991; Forsé et Chauvel, 1995; Goux et Maurin, 2003). En France, cet intérêt porté à l’homogamie sociale est d’autant plus fort que, comme on l’a souligné précédemment, les théories stratificationnistes dominaient la littérature sociologique pendant longtemps. La société française est d’abord conçue comme une société qui se différencie en termes de classes sociales et le lien marital est un indicateur crucial des frontières entre groupes sociaux (Desrosières, 1978). Découle de cette vision toute une tradition sociologique française qui trouve ses racines dans l’enquête d’A. Girard sur le choix du conjoint (Girard, 1964). Ce travail pionnier ouvre en effet la voie à une série de travaux portant sur le déterminisme social qui régit le processus de sélection maritale. Une des préoccupations fondamentales des sociologues dans ce domaine est de dévoiler ce paradoxe social inhérent à la question du choix du conjoint : les relations amoureuses, présentées et vécues comme une des caractéristiques les plus individuelles de notre existence, obéissent à des déterminants sociaux forts. C’est ainsi que les travaux sur l’illusion du choix et le rôle de l’inconscient social dans les décisions individuelles ont dominé sur ce sujet. Selon P. Bourdieu, « le plus sûr garant de l’homogamie et par là de la reproduction sociale est l’affinité spontanée (vécue comme sympathie) qui rapproche les agents dotés d’habitus ou de goûts semblables, donc produits de conditions et de conditionnements sociaux semblables » (Bourdieu, 1987, p.88).
Comment mesurer les mariages mixtes ?
La difficulté de repérage quantitatif En France, la mixité ethnico-culturelle du mariage a surtout été analysée dans des travaux qualitatifs qui, bien que fournissant des informations d’une grande utilité sur les caractéristiques de ces couples et les défis qu’ils affrontent, ne permettent pas de donner une mesure globale du phénomène. La rareté des travaux quantitatifs sur ce sujet est étroitement liée au défaut d’adaptation des données accessibles, notamment les enquêtes de la statistique publique. En effet, il est quasiment impossible de repérer, de manière quantitative les mariages inter-religieux, puisqu’il est interdit en France d’interroger les individus sur leur confession religieuse. Ceci est d’autant plus vrai pour les mariages inter-raciaux ; il semblerait qu’aucune étude quantitative n’ait été effectuée en France sur les mariages entre des personnes de couleurs de peau différentes. Quant à l’étude des mariages inter-ethniques, elle doit se contenter de critères de nationalité et de pays de naissance. Or, ces derniers sont incapables de rendre compte de l’ensemble des types d’unions. On peut résumer les difficultés de repérage quantitatif des mariages mixtes en quatre points essentiels (Price et Zubrzycki, 1962): – La nationalité ou le pays de naissance ne révèlent pas toujours le groupe ethnique. Les cas qui posent problème sont notamment ceux où il existe plusieurs groupes ethniques dans un pays ou encore lorsque le groupe ethnique et surtout un groupe religieux. – Le problème de la génération : il concerne notamment le classement de mariages unissant des migrants à des natifs issus de l’immigration. – Le problème des mariages à l’étranger : lorsque l’on étudie la mixité des mariages contractés dans le pays d’accueil on surestime cette dernière puisqu’on occulte les mariages contractés à l’étranger, majoritairement endogames. Or, cette pratique est loin d’être négligeable pour certains groupes immigrés. – La question du calendrier de formation des couples par rapport à la migration : les travaux de C. Tavan (2005) montrent que 61% des immigrés ont déclaré avoir formé un couple avant la migration (il s’agit des résultats de l’enquête famille en 1999) et 41% avaient déjà un enfant. Ainsi la vie familiale des immigrés est particulièrement complexe à étudier parce qu’elle s’inscrit dans une « double chronologie » (l’avant et l’après migration) et dans un « double espace » (le pays d’origine et celui d’accueil). Ces unions pré-migratoires obéissent à une logique différente de celles contractées en France. Néanmoins, ces travaux montrent que les calendriers de mise en couple des immigrés se rapprochent de ceux des Français avec un plus fort attachement à l’institution du mariage et des unions plus tardives pour les hommes immigrés.