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Méthodes de cristallogenèse
Généralités
Le développement de l’optique, tant sur le plan fondamental qu’applicatif, est indissociable des progrès réalisés en science et génie des matériaux. En effet, l’optique est très consommatrice de matériaux massifs, de couches minces ou de fibres, qu’ils soient minéraux ou organiques, amorphes ou cristallisés. Dans ce domaine, les cristaux occupent une place prépondérante. Il est alors important d’être capable de développer des méthodes d’élaboration de nouveaux matériaux en fonction de l’évolution des besoins. La nature du cristal à élaborer conditionne pour une grande part la technique d’élaboration à utiliser.
Si les compositions de la phase liquide et de la phase solide en équilibre sont identiques à celle du cristal souhaité, le composé est dit à fusion congruente. Il est possible d’entreprendre la croissance cristalline directement à partir du matériau fondu par des techniques telles que la méthode Verneuil, la méthode Czochralski, la méthode Bridgman-Stockbarger, Kyropoulos ou encore la méthode de fusion de zone. Ce sont des méthodes à croissance rapide, de l’ordre du mm/h à plusieurs cm/h selon le composé considéré.
Dans le cas contraire, le composé est dit à fusion non congruente. La cristallogenèse nécessite l’utilisation d’un solvant (habituellement appelé flux lorsqu’il opère à haute température), ce qui introduit une difficulté supplémentaire ; la croissance en solution aqueuse, la croissance en flux et la croissance hydrothermale en sont des exemples. Ces sont des méthodes à croissance lente.
Méthode de tirage Czochralski
La méthode de tirage Czochralski a été inventée par Jan Czochralski en 1916 [14][15] et elle est aujourd’hui très employée dans l’industrie pour la synthèse du silicium ou du grenat. À partir de cette méthode, il est possible d’obtenir de cristaux de grande dimension (~ 2,5 cm de diamètre au laboratoire) et de très bonne qualité optique. Cette méthode est en général privilégiée pour la synthèse de matériaux à fusion congruente pour des applications optiques.
Dispositif
Un creuset en platine ou en iridium contenant la charge frittée (mélange pré-réagi du cristal souhaité) est placé dans un ensemble réfractaire pour limiter les pertes de chaleur et donc les gradients thermiques (graine de zircone, tube de zircone, laine d’alumine). Le creuset est alors chauffé par induction pour fondre la charge. La charge occupant un volume plus important que le liquide, le remplissage se fait en plusieurs étapes à l’aide d’un entonnoir en quartz (Figure 1.15). Une fois toute la charge fondue dans le creuset, on dispose un germe cristallin au bout d’une tige d’alumine reliée à un système de pesée combinant des moteurs de rotation et de translation, le tout placé au-dessus du creuset. Ainsi le germe est amené à quelques centimètres de la surface du bain fondu. En approchant lentement le germe cristallin au contact du bain, celui-ci « s’accroche » par capillarité au germe. Cet instant est déterminé en lisant la valeur de la masse indiquée par la balance qui augmente brusquement en raison des forces de tension superficielle qui s’exercent sur le germe au moment du contact avec le bain.
Paramètres de croissance
Une fois les conditions d’équilibre du germe avec le bain trouvées, il convient d’identifier les paramètres nécessaires au bon déroulement de la croissance. En effet, un programme informatique de régulation du procédé requiert, pour fonctionner, la connaissance d’un certain nombre de données. Ces paramètres peuvent être classés en deux catégories principales : paramètres géométriques, et paramètres de tirage.
Paramètres géométriques
La croissance d’un cristal se déroule en quatre étapes, qui résultent dans la forme de cristal typique illustrée sur la Figure 1.16. Durant les premières heures de la croissance, le diamètre du cristal est maintenu à une valeur inférieure ou égale à celle du germe : c’est l’affinage, qui a pour but de favoriser la croissance du cristal issu du germe, aux dépens de cristaux périphériques parasites qui peuvent se former lors de la mise en contact du germe et du bain. Un premier paramètre que l’utilisateur doit fixer est donc le diamètre et la longueur de cet affinage.
Lorsque quelques millimètres au moins de cristal se sont ainsi formés, il est enfin possible d’élargir progressivement le diamètre du cristal jusqu’à sa valeur nominale : c’est la tête. Une manière de définir sa forme consiste à imposer son demi-angle conique. Une fois la tête achevée, le corps du cristal peut se former. Il s’agit de la partie utile du cristal, c’est également la plus massive. Comme dans le cas de l’affinage, ce corps est caractérisé par son diamètre et sa longueur. Enfin, il est utile de réduire en fin de tirage le diamètre du cristal. En effet, à la fin de la croissance, il faut désolidariser le cristal du bain. Le cristal est soulevé assez brutalement, et il se produit un choc thermique au moment où le contact avec le bain est rompu. Cela engendre dans le cristal des contraintes, qui peuvent se traduire dans certains cas par l’apparition de fractures. Afin de minimiser ce choc thermique, il convient de réduire la surface de contact entre le solide et le liquide. La zone de cristal dans laquelle intervient cette réduction du diamètre est appelée pied. Comme la tête, elle peut être caractérisée par son demi-angle conique. L’ensemble des paramètres ainsi définis est nécessaire à l’utilisateur pour caractériser la forme de cristal visée. La régulation du diamètre du cristal par sa pesée lors du tirage est assistée par ordinateur. En effet, tous les paramètres caractéristiques du cristal cités sont saisis dans un programmateur commandé par Labview qui va faire varier la puissance de chauffe (et donc la température du bain) en fonction de la vitesse massique de cristallisation du cristal.
Si la cristallisation est trop importante, avec une prise de poids trop élevée (donc un diamètre du cristal plus grand que la valeur souhaitée), le programme réagit par une augmentation de la puissance de chauffe.
Si la cristallisation est trop lente, avec une prise de poids trop faible (donc un diamètre du cristal plus petit que la valeur souhaitée), le programme réagit par une diminution de la puissance de chauffe.
Paramètres de tirage
Parmi les paramètres de tirage figurent la vitesse de tirage et le diamètre du creuset. Avec la donnée des densités du solide et du liquide, deux paramètres liés au matériau, ils permettent en effet de calculer la vitesse linéaire de cristallisation. Lors de la formation du cristal, cette vitesse de cristallisation résulte non seulement du tirage du germe, mais également de la baisse progressive
du niveau du liquide dans le creuset, consommé au fur et à mesure de la croissance. Cette vitesse est donnée par l’Eq .25 : vc vp s r2 Eq 1.25 où vc et vp sont les vitesses linéaires de cristallisation et de tirage respectivement,l ets les densités du liquide et du solide, Rc le rayon du creuset et r celui du cristal.
L’utilisateur choisit la vitesse de tirage en fonction du matériau qu’il souhaite élaborer. Les vitesses de tirage utilisées en technique Czochralski pour les matériaux oxydes sont de l’ordre de quelques mm/heure s’ils sont non dopés. En cas de dopage, il est nécessaire de diminuer fortement cette vitesse jusqu’à quelques dixièmes de mm par heure. Cette réduction permet de réduire les instabilités liées à des phénomènes locaux de surfusion et d’obtenir une concentration en dopant la plus homogène possible dans le cristal. Ce problème est particulièrement critique dans le cas de substitution de cations ayant des rayons ioniques très différents en raison de phénomènes de ségrégation [16].
Un paramètre très important de tirage doit également être pris en compte pour assurer une bonne qualité cristalline : c’est la vitesse de rotation. La vitesse de rotation joue un rôle crucial sur l’interface de croissance. Il faut ajuster la vitesse de rotation de telle sorte que l’interface soit la plus plate possible, voire légèrement convexe.
Avantages et inconvénients
La technique Czochralski présente les avantages et les inconvénients suivants :
Avantages :
La croissance en surface libre accommode les variations de volume liées à la solidification.
Des cristaux de grandes dimensions et de très bonne qualité optique peuvent être obtenus.
La composition chimique est contrôlable.
Inconvénients :
Pollution éventuelle par le creuset.
Stries.
Méthode de cristallogenèse en flux
Principe
La méthode de croissance en flux est utilisée pour l’élaboration des monocristaux présentant au moins une des caractéristiques suivantes :
fusion non congruente,
température de fusion élevée,
tension de vapeur importante à la fusion,
transformation allotropique.
L’utilisation d’un flux comme solvant permet d’obtenir des cristaux d’un composé en dessous de son point de fusion. Le rôle principal du flux est d’abaisser la température de cristallisation du composé à élaborer et de former un diagramme de phase de type eutectique avec le cristal désiré (Figure 1.17). La détermination du diagramme d’équilibre entre le soluté A et le solvant B se fait par la technique d’analyse thermique différentielle :
La difficulté principale de cette méthode est le choix du flux. Celui-ci doit dissoudre une quantité importante de soluté sans réagir avec lui et de plus il ne doit pas réagir avec le creuset dans lequel a lieu la cristallisation. Les critères guidant le choix d’un flux sont :
un pouvoir dissolvant assez grand,
une inertie chimique vis à vis du composé à cristalliser,
une faible volatilité,
une faible viscosité pour limiter les problèmes de diffusion,
une température de fusion basse, très éloignée de sa température d’ébullition,
une grande solubilité dans l’eau ou dans un solvant courant dans le cas où il serait nécessaire d’éliminer le flux pour récupérer le cristal désiré.
Les flux les plus couramment utilisés sont : l’oxyde de plomb, de baryum, de molybdène, de bore, de bismuth ou les fluorures de plomb, d’alcalino-terreux et d’alcalins [17].
Dispositif
Avant de se lancer dans une croissance en flux, il est nécessaire d’effectuer au préalable des tests de nucléation spontanée afin d’évaluer la faisabilité de la cristallogenèse. Le mélange du soluté et du flux est placé dans un creuset (Figure 1.18) puis fondu en le portant à une température supérieure à la température de fusion (d’environ 50 °C). La cristallisation du composé est obtenue par refroidissement lent. Le flux est dissous pour récupérer les cristaux.
Ensuite, la croissance en flux sera réalisée en cherchant à contrôler la nucléation par l’utilisation d’un germe. Il existe plusieurs dispositifs de croissance en flux, tous utilisant en général le même type de four (Figure I-27). Leurs différences sont les suivantes :
Top-Seeded-Solution Growth (TSSG) (Figure 1.19 et Figure 1.20) : le germe est seulement en contact avec la surface du bain.
Middle-Seeded-Solution Growth (MSSG): le germe est immergé dans le bain (et souvent excentré).
Le tirage à partir du flux : le germe est mis en contact avec la surface du bain. Une translation très lente du germe vers le haut est ensuite appliquée (de l’ordre du millimètre par jour) quand la cristallisation démarre.
Par comparaison, la grande différence entre le four de flux et le four Czochralski est en général le système de chauffage. Dans le four Czochralski, le creuset est chauffé par induction moyenne fréquence (15 kHz dans notre cas). La température du bain croît du centre vers les bords du creuset, en passant de la température de solidification à celle de fusion de la phase souhaitée. Par conséquent, il y a beaucoup de gradient thermique radial dans le bain. Ce gradient est difficile à mesurer à cause de couplage entre le thermocouple et la spire inductrice. Dans le four Czochralski, le gradient thermique axial (plus facile à estimer) au-dessus du creuset Pt est le plus élevé, il est de l’ordre de la dizaine de degrès par centimètre. Des mesures du gradient axial seront présentées dans la partie 2.2.2 dans le cadre de la croissance de cristaux de CBF Etant 45 donné que le facteur entre le gradient axial et le gradient radial est d’environ un ordre de grandeur, le gradient thermique radial du four de Czochralski est probablement pour notre dispositif de quelques degrés par cm. Par comparaison avec le four Czochraski, il y a très peu de gradient thermique horizontal, environ 0,4 °C/cm, dans le four du flux que nous avons développé au laboratoire en raison du chauffage résistif. La température varie donc très peu du centre vers le bord de creuset.
Deux fours pour la technique du flux ont été développés au laboratoire et sont constitués pour l’un de deux zones de chauffage et pour l’autre trois zones. Tout comme pour le four Czochralski, des mesures du gradient axial seront présentées dans la partie 3.2.3 dans le cadre de la croissance de cristaux de YAB. Le creuset est souvent mis dans la zone centrale dont la température est la plus homogène pour éviter d’être perturbé par la température extérieure. Les températures des zones sont mesurées par des thermocouples, et un système de régulation est assuré par pilotage informatique pour respecter le profil de température voulu par l’utilisateur. Ce système de régulation est complété d’un suivi de la croissance du cristal par un système de pesée.
Si la vitesse de cristallisation est très élevée, la pente de refroidissement sera diminuée par l’opérateur; dans le cas contraire, la pente sera augmentée. Notre montage offre la possibilité d’une translation très lente du germe de l’ordre du dixième de millimètre par jour et un contrôle très précis du refroidissement de 0,1 °C/jour.
Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1: Rappels et généralités
Introduction
1.1 Quelques applications des lasers solides émettant dans l’ultraviolet
1.1.1 Applications vers 350 nm
1.1.2 Applications vers 250 nm
1.2 Rappels théoriques sur l’optique linéaire et non linéaire (ONL)
1.2.1 Généralités
1.2.2 Propagation d’une onde plane dans un milieu anisotrope
1.2.3 Des milieux anisotropes
1.2.4 Quelques définitions d’optique cristalline
1.2.5 Accord de phase
1.2.6 Type d’accord de phase et angle d’accord de phase
1.3 Paramètres non linéaires
1.3.1 Susceptibilité non linéaire
1.3.2 Rendement de conversion
1.3.3 Coefficient non linéaire effectif deff
1.3.4 L’angle de double réfraction (walk-off)
1.3.5 Tolérances angulaire, thermique et spectrale
1.4 Méthodes de cristallogenèse
1.4.1 Généralités
1.4.2 Méthode de tirage Czochralski
I.1.a. Avantages et inconvénients
1.5 Méthode de cristallogenèse en flux
1.5.1 Principe
1.5.2 Dispositif
1.5.3 Croissance à partir du flux
1.5.4 Avantages et inconvénients
1.6 Critères de sélection des matériaux
1.6.1 Relations structure – propriétés
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 2: Élaboration et caractérisation de a5(BO3)3F (CBF) pour la génération de troisième harmonique à 343 nm
Introduction
2.1 État de l’art des matériaux pouvant générer le troisième harmonique à 343 nm et 355 nm
2.1.1 LiB3O5 (LBO)
2.1.2 CsB3O5
2.1.3 BaAlBO3F2 (BABF)
2.1.4 La2CaB10O19 (LCB)
2.1.5 Ca5(BO3)3F (CBF)
2.2 Croissance cristalline
2.2.1 Réaction à l’état solide
2.2.2 Croissance de monocristaux de CBF par la méthode Czochralski
2.3 Tests de génération de troisième harmonique à 343 nm
2.3.1 Caractéristiques des faisceaux infrarouge et vert
2.3.2 Caractéristiques des cristaux de CBF et GTH à 1030 nm
2.3.3 GTH à 1030 nm dans un cristal de LBO
2.3.4 Estimation des coeffcients non linéaires effectifs
2.3.5 Comparaison des résultats de GTH dans CBF et LBO
2.4 Étude de la solution solide Mg5xCa(5-5x)(BO3)3F
2.4.1 État de l’art
2.4.2 Croissance de monocristaux de MgCa4(BO3)3F (MCBF) par la méthode Czochralski
2.4.3 Détermination de la composition par absorption atomique (ICP – AES)
2.4.4 Détermination des paramètres de maille
2.4.5 Fenêtre de transparence
Conclusion
Bibliographie
Chapitre 3: Élaboration et caractérisation du cristal YAl3(BO3)4 (YAB): un matériau prometteur pour la génération de 4ème harmonique ( = 266 nm)
Introduction
3.1 État de l’art des matériaux pouvant générer le 4ème harmonique à 266 nm
3.1.1 – BaB2O4 (BBO)
3.1.2 KBe2BO3F2 (KBBF) et K2Al2B2O7 (KABO)
3.1.3 CsLiB6O10 (CLBO)
3.1.4 YAl3(BO3)4 (YAB)
3.2 Croissance cristalline
3.2.1 Réaction à l’état solide
3.2.2 Comportement thermique – Analyse thermique différentielle (ATD)
3.2.3 Croissance en flux par la méthode Top Seeded Solution Growth (TSSG)
3.3 Caractérisation chimique et structurale du YAB
3.3.1 Détermination de la composition par absorption atomique (ICP-AES)
3.3.2 Détermination structurale
3.3.3 Étude EXAFS d’un monocristal de YAB au seuil L3 du lanthane
3.3.4 Expansion thermique
3.4 Défauts physiques et chimiques dans le YAB
3.4.1 Spectroscopie d’absorption UV – visible
3.4.2 Étude d’un monocristal YAB : Yb par spectroscopie à basse température
3.4.3 Observation de défauts étendus, d’inclusions et d’inhomogénéités de composition chimique par microscopie électronique à balayage et ombroscopie
3.5 Étude des macles dans le YAB
3.5.1 La macle par mériédrie
3.5.2 La macle par mériédrie réticulaire
3.5.3 Analyse des résultats
3.6 Estimation des propriétés linéaires
3.6.1 Détermination des indices de réfraction
3.6.2 Calculs théoriques pour la GSH
3.7 Tests de génération du quatrième harmonique à = 266 nm
3.7.1 Caractéristiques des faisceaux laser infrarouge et vert
3.7.2 Rendement de conversion
3.7.3 Étude des pertes dans le YAB
3.7.4 Rendement de conversion dans BBO
Conclusion
Bibliographie
Conclusion générale
Perspectives
Annexe A : fiche cristallographique du groupe R32
Annexe B : analyse GDMS du cristal YAB 10