QUARTIER INDUSTRIEL ET COMMERCIAL ET DÉVELOPPEMENT LOCAL
Regroupements de très petites entreprises évoluant dans le secteur informel, interactions avec les parties prenantes et impacts sur le développement local : quelles particularités ? Les regroupements d’entreprises évoluant dans le secteur informel ont des spécificités qui font qu’ils sont différents des grappes identifiées dans le contexte occidental. Ces particularités tournent autour du mode d’émergence, des types de métier qui y sont exercés, du caractère informel des activités, des relations entre les regroupements et leur environnement, de la taille des entreprises, etc. A ce niveau également, le concept de développement local prend un autre sens dans la mesure où les porteurs de projets ou les entrepreneurs viennent d’ailleurs et sont pour l’essentiel dans une logique de survie.
Secteur informel : importance dans les économies africaines, définitions et caractéristiques
L’enthousiasme de la communauté scientifique pour le concept de « secteur informel » remonte aux travaux de l’anthropologue britannique Keith Hart dans son étude sur les activités économiques en milieu urbain au Ghana et au Kenya en 1971. Cette étude commanditée par le BIT, à l’époque, portait sur l’emploi. Pour Hart (1971), le secteur informel regroupe toutes les autres activités légales et illégales, qui sortent du cadre de la réglementation à l’opposé du secteur formel qui comprend des activités économiques règlementées. Plusieurs auteurs à savoir Noiseux (2000), Alami (2006), Cling et al., (2006), Panhuys (1996) ont également tenté de définir le concept de secteur informel à travers de nombreux écrits. Ce secteur, qui occupe une place importante dans les économies des pays africains surtout, peut également être présenté à travers différents critères comme la taille de l’entreprise, le non enregistrement, la difficulté d’accès au crédit bancaire, la mobilité du lieu de travail, etc. (l’OIT, 2000 ; Benjamin et al., 2012 ; Basse, 2013).
L’importance du secteur informel dans les économies africaines
La contribution du secteur informel au développement des économies africaines a fait l’objet de plusieurs publications de la part des institutions et des chercheurs intéressés par la question. En effet, les études réalisées par l’Union Économique et Monétaire de l’Afrique de 36 l’Ouest (UEMOA) dans sept agglomérations en 2004 montrent que ce secteur génère 2,3 millions d’emplois, même s’il s’agit de micro-unités (1,53 personnes par unité de production informelle). Les estimations de l’OIT sont de la même ampleur : 48% des emplois non agricoles en Afrique du Nord, 51% en Amérique latine, 65% en Asie et 72% en Afrique subsaharienne (OIT, 2002). En 2012, les résultats de Benjamin et al. , au Benin, au Burkina Faso et au Sénégal, ont montré que le secteur informel représente plus de 90 % de l’emploi total par opposition au secteur formel qui représente environ 5% de l’emploi au Benin et au Burkina Faso et 8 % au Sénégal. La seule région de Dakar comptait déjà, en 2003, 281600 entreprises informelles dans lesquelles travaillent 434200 personnes dans les activités non agricoles (ASND, 2003). La ville de Saint-Louis du Sénégal comptait déjà également, en 2011, 9886 entreprises occupant quelque 14830 artisans composés principalement d’apprentis et d’aides familiales ; le seul secteur du transport occupait à cette date 1500 actifs dont 800 chauffeurs (Dienne, 2011). Un rapport de la ville de Richard-Toll publié en juillet 2000 fait état de 7 113 unités informelles qui animent l’activité économique de la ville ; le seul secteur de l’artisanat occupant environ 6 281 personnes (Diop, 2005). L’enquête de l’UEMOA sur le secteur informel dans sept capitales en Afrique de l’Ouest montre également que le secteur informel représente en termes de revenus et de richesses créées entre 22 et 28% du Produit Intérieur Brut (2004). Schneider et Enste (2000) cités par (Benjamin et al, 2012) appuient cette hypothèse en considérant que le secteur informel représente 10 à 20 % du PIB dans les pays développés, plus d’un tiers du PIB dans les pays en développement, et bien plus au-delà en Afrique (Benjamin et al., 2012). Au Bénin, au Burkina et au Sénégal, la part du secteur informel au PIB représente en moyenne respectivement 74%, 49% et enfin 54% (Benjamin et al., 2012). Les résultats de l’ANSD (2009) au Sénégal vont dans le même sens que ceux de Benjamin et al. (2012) et attestent que le poids du secteur informel dans la contribution globale de la valeur ajoutée est de 60%. Ceux de 2013 avaient déjà montré que le secteur informel non agricole a produit 4 336 milliards de F CFA en 2010, soit 39,8% de la production nationale (ANSD, 2013). 37 Dans la commune de Saint-Louis, le sous-secteur de l’artisanat et le sous-secteur du commerce ont produit respectivement, en 1997, 5,9 milliards, soit 10% du produit local brut (PBL) et 10,1 milliards, soit 17% du PLB (Diene, 2011). Le Produit Local Brut (PLB) représente ici la somme des richesses formées ou créées au sein du périmètre communal pendant toute une année. Dans la commune de Richard-Toll, la part des activités informelles dans le PLB de la ville est de 20%, soit un montant de 6 028 000 000FCFA. La moitié de cette somme, soit environ 3 216 500 000FCFA, provient du sous-secteur informel du commerce. 30% des richesses de la ville proviennent du sous-secteur informel de l’artisanat (Diop, 2005). Même si le secteur informel participe au développement des économies africaines, force est de constater que la part de l’informel dans les recettes fiscales reste très faible. Les résultats de l’enquête de l’UEMOA (2005) montrent que la part des impôts collectés dans les sept capitales de cette zone ne dépasse pas 2% de la valeur ajoutée. Elle est de 2,2% à Cotonou, de 0,5% à Bamako, de 2,3% à Dakar, de 5% à Ouagadougou, de 2,7 % à Abidjan, de 1% à Niamey et de 3,3% à Lomé. Ce chiffre n’a pas très bien évolué au Sénégal puisque la part du secteur informel dans les recettes fiscales se situe entre 2,4 et 3,5% en 2012 (Benjamin et al., 2012). Au Bénin et au Burkina Faso, la situation n’a pas bien évolué non plus. Malgré cette participation importante du secteur informel dans nos économies, nous devons constater que la plupart des populations qui y travaillent sont toujours dans la pauvreté. Les études de Benjamin et al., (2012) montrent que la rémunération du travail est beaucoup plus faible dans le secteur informel. Ainsi, lorsque l’on prend en compte la présence du secteur informel dans différentes branches d’activité pour faire une analyse comparative en termes de pauvreté monétaire, il ressort que, dans toutes les branches d’activité, les opérateurs dans le secteur formel ont un niveau de vie plus élevé. Pour le Sénégal, l’analyse des résultats selon les branches d’activité montre que, dans l’ensemble, la dépense moyenne par tête est plus élevée dans les ménages exerçant dans le secteur formel que dans ceux du secteur informel (Benjamin et al., 2012). Ces dépenses représentent, pour la plupart, près du double de celles par tête dans le secteur informel, ce qui confirme l’idée selon laquelle les ménages intervenant dans le secteur informel ont un niveau de vie relativement faible, comparé à ceux du secteur formel.
Le secteur informel, un concept, plusieurs définitions
Lorsque l’on s’intéresse à la littérature sur le concept de secteur informel, force est de constater que plusieurs terminologies existent. Selon Noiseux (2000), outre le terme secteur informel, utilisé assez fréquemment, la littérature des chercheurs a imaginé par exemple la notion de secteur non enregistré, la notion d’économie souterraine, la notion d’économie illégale, etc. Dans cette thèse, nous nous intéressons au concept de secteur informel qui est une notion largement utilisée pour désigner cette partie du marché du travail des pays en développement qui absorbe un nombre important de demandeurs d’emploi et de chômeurs, pour la plupart engagés dans des activités indépendantes ou de très petites unités de production (BIT, 2000). Dans la littérature, trois approches dominantes sont utilisées en ce qui concerne les origines et les causes de l’informalité. Il s’agit des perspectives dualistes, fonctionnalistes et néoinstitutionnalistes. Suivant une perspective dualiste, certaines définitions s’appuient sur des critères de repérage. Le secteur informel est ainsi défini à partir de critères présentés comme l’image inversée du secteur formel (Alami, 2006 ; Cling et al., 2006). Les dualistes font ressortir une nette différence entre le secteur formel et le secteur informel. Une disparité qui se traduit par la qualité des biens proposés, le revenu dégagé par les activités et les compétences des acteurs sur le marché du travail. Pour les fonctionnalistes, c’est dans les relations entre le formel et l’informel et les liens de dépendance entre les deux secteurs qu’il faut définir l’informel (Alami, 2006 ; Cling et al., 2006). Cette approche considère ainsi le secteur informel comme un simple lieu de survie, de la marginalité et comme simple poche de la pauvreté. Enfin, pour Cling et al., (2006) l’approche légaliste (néo-institutionnaliste) considère que le secteur informel est constitué de microentrepreneurs qui préfèrent opérer de manière informelle pour échapper aux régulations économiques. Ici donc, l’informel est défini comme illégal, par référence et par opposition à l’État et à sa réglementation (Alami, 2006). Cette approche tranche avec les autres dans la mesure où le choix de l’informalité est voulu par les acteurs. Ce choix s’explique en grande partie par les coûts élevés qu’engendrent la légalisation de l’activité et l’enregistrement. Plusieurs organisations internationales comme beaucoup d’auteurs ont donné des définitions du concept de secteur informel. En effet, pour le BIT (1993, p.2), le secteur informel est défini comme « un ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique avec pas ou peu de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur les accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme ». « D’un point de vue statistique, le secteur informel est constitué d’un groupe d’unités économiques appartenant, en tant qu’entreprises individuelles, au secteur institutionnel des ménages, selon les définitions du système de comptabilité des Nations Unies » (ANSD, 2011, page. 5). L’UEMOA définit le secteur informel comme « l’ensemble des unités de production dépourvues d’un numéro d’enregistrement administratif et/ou de comptabilité écrite formelle « (2004 ; p. 3). L’ANDS au Sénégal (2011, p. 5) abonde dans le même sens en considérant que « le secteur informel est composé de l’ensemble des unités de production exerçant sur le territoire économique du Sénégal et qui ne tiennent pas une comptabilité obéissant aux normes du SYSCOA ». Pour Panhuys (1996, p. 87), « serait informelle toute entreprise ou activité procédant d’une forme d’organisation sociale, économique, technique et culturelle de production de biens et de services, basée essentiellement sur une unité entre le propriétaire des moyens de productions (le patron), et le (s) travailleur(s) (producteurs directs) et caractérisée par la polyvalence du « métier » (expérience pratique, savoir-faire, sociabilité), l’autonomie du travailleur (individuel et collectif) par rapport aux procès de travail (aspect non capitaliste), la simplicité des rapports de coopération ». Niang (1996, p. 2) présente le secteur informel comme « l’ensemble des activités de commerce, production de biens et de services à valeur marchande, de pratiques associatives d’épargne et de crédit, de transferts et de redistributions de ressources, toutes se menant à une 40 échelle plus ou moins réduite, qui échappent partiellement ou totalement à la législation et / ou aux normes dominantes qui régissent le champ des activités et des pratiques de même catégorie » . Pour Van Dijk (1986, p.11) « le secteur informel regroupe les activités artisanales, le petit commerce, les transports non mécanisés et les prestations de service. Il s’agit de petits entrepreneurs dont l’entreprise est dépourvue de statut légal et dont les ouvriers perçoivent moins que le salaire minimum légal et ne bénéficient pas de la sécurité sociale » Barthelemy (1998 ; p. 2), quant à lui, considère « le secteur informel comme l’ensemble des activités effectuées de façon plus ou moins spontanée par une population qui n’est ni occupée à titre principal dans une grande entreprise ou administration, ni recensée en tant que demandeuse d’emploi ». Ces différentes définitions données au « secteur informel » montrent la diversité de compréhension du concept en fonction des préoccupations des chercheurs. Cependant, un consensus semble se dégager autour des critères comme la taille réduite des activités, l’absence d’enregistrement, la spécificité des relations de travail, la faiblesse des revenus, la création d’emploi, la non tenue d’une comptabilité écrite correcte pour caractériser ce secteur.
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