Au cours de mes deux années d’expérience professionnelle au sein de l’Institut National de Jeunes Sourds de Cognin, j’ai pu remarquer certains comportements des élèves face à la langue. De ces observations est née une réflexion autour des expressions idiomatiques. A plusieurs reprises, le constat d’élèves ne comprenant pas ces expressions dans leur sens figuré, mais au pied de la lettre, m’a interpellée ; en voici une anecdote significative : un élève de BEP à qui, lors d’un exercice, a été demandé d’expliquer l’expression « entre chien et loup », a répondu « c’est le husky.» Cette histoire est un exemple parlant de la façon dont les élèves sourds peuvent comprendre les expressions idiomatiques dans leur sens propre. Cette réflexion est également née de la demande d’une élève en particulier. Son entourage utilisant énormément d’expressions au quotidien, elle souhaitait les acquérir afin de pouvoir mieux les appréhender, mieux les comprendre dans le but d’échanger et communiquer avec ses proches.
Ces constats m’ont permis de m’interroger et de faire des hypothèses sur la façon de faciliter cet apprentissage. Dans cette démarche d’enseigner les expressions, une des questions à se poser est celle de l’utilité de les comprendre et de les maîtriser, ainsi que leurs enjeux dans la langue.
Ensuite, pour mieux comprendre le fonctionnement des expressions idiomatiques et dans le but de mieux les appréhender, il sera nécessaire de les définir précisément. Puis si l’on veut procéder de manière logique, il faudra préalablement comprendre le traitement et l’acquisition des expressions en général pour mieux en déduire les difficultés qui peuvent être rencontrées par les enfants sourds et ce dans le but d’adapter au mieux les outils qui pourront leur être proposés. Enfin, concernant le choix et l’adaptation des outils, une réflexion sera menée au sujet de l’image et dans quelle circonstance celle-ci pourrait être une aide à cet apprentissage. Tous ces éléments permettront d’établir des hypothèses et de mettre en place des outils qui rendrons possible leur mise en pratique.
Qu’est-ce qu’une expression idiomatique ?
Définition
Définir une expression idiomatique n’est pas aussi aisé que l’on pourrait le croire et ce pour plusieurs raisons. Dans un premier temps, la définition de celles-ci diffèrent d’un auteur à l’autre ; dans un deuxième temps, elles renferment une palette diversifiée de caractéristiques. Nous allons donc nous pencher sur plusieurs de ces définitions afin d’avoir un aperçu le plus large possible.
En fonction des auteurs, la terminologie utilisée peut varier ; ainsi les termes d’expressions imagées, expressions figées ou encore locutions pourront être également utilisés pour signifier les expressions idiomatiques. Selon le Dictionnaire de Linguistique et des Sciences du langage, « On appelle expression idiomatique toute forme grammaticale dont le sens ne peut être déduit de sa structure en morphèmes. » Pour Alain Rey et Sophie Chantreau, « un lexique ne se définit pas seulement par des éléments minimaux, ni par des mots, simples et complexes, mais aussi par des suites de mots convenues, fixées, dont le sens n’est guère prévisible […]. Ces séquences on les appelle en général des locutions ou des expressions. » Si nous reprenons ces deux définitions, ce qui est mis en avant est le sens des mots qui ne sera pas à aborder de façon ordinaire. Une autre des caractéristiques des expressions idiomatiques est de ne pas systématiquement être transposable littéralement d’une langue à une autre. Par exemple « il pleut des cordes » sera traduit, en anglais, par « it’s raining cats and dogs » (traduit littéralement par « il pleut des chiens et des chats »). C’est ce que signifie Virginie Laval lorsqu’elle écrit : « Ces locutions très stéréotypées, réputées intraduisibles d’une langue à une autre ont suscité l’intérêt de nombreux chercheurs.» .
Le fait que ces expressions ne soient pas transposables d’une langue à une autre marque et traduit tout à fait le caractère culturel et social de ces expressions. En effet le figement de ces expressions va naître de leur histoire, de leur utilisation dans la société. Certaines expressions peuvent parfois même trouver leur origine dans la pratique religieuse. En résumé, les expressions idiomatiques sont des suites de mots difficilement déductibles et prévisibles pour ce qui est du sens mais également au niveau de la forme. De plus elles ne sont pas forcément transposables littéralement d’une langue à une autre.
Ces expressions sont également difficilement définissables puisqu’elles se déclinent selon plusieurs degrés de difficulté. C’est ce qui est expliqué dans l’ouvrage Les apprentissages scolaires. En effet, on peut remarquer quatre niveaux d’expressions :
– les expressions dites prédictibles : ce sont celles qui peuvent être reconnues avant la fin de leur énonciation. Par exemple, « prendre ses jambes à son … cou »
– les expressions dites ambiguës : ce sont celles qui ont « une probabilité élevée d’interprétation littérale » comme par exemple « se remplir les poches ».
– les expressions transparentes : le sens figuré a un lien avec le sens littéral; de ce fait le sens figuré peut être plus facilement déduit. Comme dans « clouer le bec à quelqu’un ».
– les expressions opaques : on ne retrouve pas de lien entre le sens figuré et le sens littéral. C’est le cas de « tomber dans les pommes ». Même si une analogie semble toujours présente, dans ce cas, il sera difficile de faire le lien entre l’objet et l’image.
Cette classification permet de se rendre compte que certaines de ces expressions seront plus ou moins abordables, compréhensibles et mémorisables en fonction de leur degré de transparence. A des degrés de compréhension différents, nous allons retrouver des traitements différents, ce que nous exploiterons un peu plus loin.
Tout cela nous permet de comprendre petit à petit la problématique des expressions idiomatiques. Même si celles-ci peuvent avoir des degrés de transparence plus ou moins marquée, elles sont imprévisibles dans leur forme grammaticale et dans leur sens. Par exemple si j’utilise l’expression « remuer ciel et terre », on pourrait considérer que cela n’est pas correct grammaticalement. Au lieu de dire « remuer ciel et terre », on devrait plutôt dire « remuer le ciel et la terre ». Au niveau du sens, le seul fait de connaître la signification de « ciel » et de « terre » ne suffit pas pour comprendre l’expression dans sa globalité. La citation de Rey étaye ce propos lorsqu’il écrit : « un élément de la langue française qui fait partie du système même, du code ; qu’il faut donc maîtriser en tant que tel, et qu’il ne suffit pas de considérer comme un simple produit de règles syntactiques ou sémantiques » .
Introduction |