Quand le délit de contrefaçon perd prise

Quand le délit de contrefaçon perd prise

Les repères de l’infraction

Le droit pénal considère fondamentalement l’infraction sous l’angle de son élément matériel. Les activités considérées comme « dématérialisées » peuvent donc laisser croire à une impuissance du droit pénal, notamment quand elles se déploient dans un ordre inter-frontalier et international. Apparemment, les réseaux de communications électroniques semblent par essence se jouer de cette notion centrale de la matérialité de la preuve en régime pénal. De cette notion centrale de matérialité découlent deux autres repères de l’infraction : ceux de la localisation et de l’imputation. Autant d’ancrages qui semblent fortement et durablement ébranlés dans l’environnement numérique et l’échange de biens culturels par  prise les réseaux de communications électroniques. Matérialité Une réponse rapide et d’ailleurs défendue par certains courants libertariens pourrait conclure effectivement à une inadaptation et une disqualification du droit à saisir les activités humaines sur les réseaux de communications. Le cyberespace, irréductible au monde réel, ne saurait ainsi être soumis aux mêmes règles, ou pour le moins, un certain nombre d’entre elles pourraient se trouver suspendues en raison du caractère immatériel des échanges. La possibilité de répliquer des œuvres dans l’espace numérique ne saurait être assimilée, selon cette approche, au délit pénal de contrefaçon dans la mesure où la matérialité de l’acte ne saurait être assimilée à celle du vol d’un support physique ou de sa contrefaçon. Mais de quel immatériel s’agit-il ? D’un point de vue purement théorique, la répression pénale ne pas s’appliquer à l’immatériel : la pensée, les opinions, les rêves, les croyances, les sentiments sont en quelque sorte extra-infractionnels. Il faut raisonnablement considérer que les échanges via les systèmes de communications électroniques sont en fait partiellement immatériels. Le droit pénal ne renonce pas cependant, et depuis longtemps, à s’emparer de situations dont la dimension immatérielle se traduit au final par un élément matériel comme une parole, un écrit, un geste, une image, voire un simple signe. C’est ce que Georges Vermelle qualifie « d’immatériel diversement matérialisé » (Vermelle 1999). Dans cette perspective, la réalité des réseaux de communications électroniques peut être qualifiée d’immatériel relatif. La particularité de la situation vient du fait que c’est au moyen d’un vaste appareillage technique, particulièrement matérialisé (réseaux câblés, serveurs, routeurs, terminaux…) qu’un message est transmis par internet. L’immatérialité se situe entre deux points matérialisés, même s’ils le sont à la faveur de technologies pair-à-pair distribuées entre un nombre important d’intermédiaires. Plusieurs exemples anciens soulignent la possibilité d’appliquer le droit pénal et la charge de la preuve matérielle même dans des cas partiellement dématérialisés. Ainsi l’omission de porter secours résulte du défaut d’attitude matérielle d’assistance, l’abus de confiance n’exclut pas la détention scripturale, le délit d’initié, etc. Ainsi, la partie incorporelle d’une situation n’échappe pas totalement à l’incrimination,

Localisation

Un second repère de l’infraction qui semble défier le droit à l’ère numérique concerne le problème de sa localisation. Cette dimension, qui renforce la charge de la preuve et ancre sa matérialité dans l’espace est essentielle pour déterminer la juridiction compétente pour juger de l’infraction. La localisation fait intervenir les notions de territoire et de souveraineté de l’État. Si par convention, la loi pénale peut facilement s’étendre à des faits commis hors des frontières, le droit a étendu progressivement son empire dans d’autres espaces que le territoire délimité par des frontières terrestres. L’espace maritime, l’espace aérien, l’espace exo-atmosphérique ont progressivement été colonisés par les instruments du droit. Depuis le droit romain, la puissance des fictions juridiques est telle pour commander à la nature, qu’il ne semble pas exister d’obstacle théorique à ce qu’un droit pénal nouveau puisse se saisir de ce nouvel « espace » tracé par les communications électroniques. Dans cette perspective, même le droit international, conçu pour régler les relations entre des États, sujets du droit international, semble impuissant, tant la définition spatiale des communications électroniques reste irréductible aux définitions classiques de l’espace topographique.

Imputation

Troisième dimension de l’infraction : son imputation précise à un auteur. Une fois encore, les échanges d’information sur les réseaux de communications électroniques défient cette simple évidence. En raison de l’économie de l’accès, seul le titulaire de l’abonnement peut être inquiété d’un point de vue juridique, si toutefois les obstacles de la preuve matérielle et de la localisation ont été dépassés. Mais, à cette étape de l’investigation, les repères se brouillent plus que jamais. Que ce soit au sein d’une famille à un domicile privé, ou d’une entreprise ayant la personnalité morale, de manière plus complexe par l’intermédiaire d’une connexion sans fil laissée, volontairement ou non, accessible au tout venant ou d’un piratage en 60 bonne et due forme, l’imputation d’une infraction à un individu précis est très difficile à établir à moins d’un aveu. Mais là encore, le droit pénal entretient déjà l’idée qu’une autre personne identifiée peut dans certains cas être inquiétée même si son implication n’est qu’indirecte : c’est le cas pour la responsabilité en matière de presse, le délit de provocation ou encore la responsabilité pénale des personnes morales. 

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