L’enjeu de l’information rejoint aujourd’hui un idéal de confort qui tient en six lettres : ATAWAD (AnyTime, AnyWhere, AnyDevice). Inventé par Xavier Dalloz en 2002, consultant spécialisé dans les nouvelles technologies, ce concept de « mobiquité » (contraction de « mobilité » et « ubiquité ») symbolise la capacité d’un individu d’accéder à l’information n’importe quand, n’importe où, et sur n’importe quel support. Le podcast, quelle que soit sa forme, est le produit de cette évolution des modes de consommation permise par la technologie.
Au début des années 2000, le développeur américain Dave Winer travaille sur le format RSS (Really Simple Syndication). Désigné par une icône orange, ce flux RSS au format XML permet à ses abonnés de récupérer automatiquement un fichier nouvellement créé. Les avancées de Dave Winer et le développement par Adam Curry, animateur de MTV, d’un logiciel permettant le téléchargement des fichiers audio sur son iPod, le baladeur d’Apple, ont donné naissance au podcasting. Un terme né de la contraction de « iPod », et de « broadcasting » (diffuser en anglais) proposé en 2004 par Ben Hammersley, journaliste britannique au Guardian. Pour le podcast, la revue spécialisée Syntone définit le podcast comme « un son à emporter» :
« Sous-produit numérique de l’ancien monde hertzien ou premier mode de diffusion d’un programme dans le nouveau monde du Web, le podcast se veut moderne et conquérant. Ne connaissant pas le direct, il transforme le flux radiophonique en fichiers individuels et le public en abonné·es. » .
Alors que le podcast peut désigner la rediffusion d’une émission radio sur Internet, le podcast natif est un contenu audio original, uniquement conçu pour le Web. « Cela ressemble à une bonbonnière. On pioche de-ci de-là sans jamais savoir quelle saveur va faire chavirer les papilles. Ou plutôt les oreilles », commentait Catherine Robin, journaliste de La Croix en octobre 2003 à propos d’Arte Radio. Depuis septembre 2002, Arte Radio fait figure de précurseur en matière de créations sonores directement diffusées en ligne. La webradio se revendiquait alors comme une « radio à la demande » qui propose « un magazine sonore » riche de portraits, témoignages et reportages. Juliette Volcler, coordinatrice éditoriale de la revue spécialisée Syntone, a travaillé sur la chronologie du podcast . Elle analyse les débuts du podcasting sur le Web.
« Le podcast d’alors (et l’une de ses branches toujours aujourd’hui) se revendiquait ainsi comme l’adversaire du broadcast : une profusion de productions sonores réalisées avec les moyens du bord par des amatrices et amateurs passionnés, s’adressant à des publics très variés et prenant de multiples formes, à l’inverse de la programmation des antennes nationales, centralisée, réalisée par quelques personnes triées sur le volet et extrêmement normée. Une opposition web / hertzien qui permettait d’affirmer l’émergence d’une culture distincte du son, avec ses propres références, son ton singulier, ses codes originaux. » .
Depuis le milieu des années 2010, une même profusion s’observe avec les studios de création de podcasts natifs. Binge Audio, fondé en 2015 par Joël Ronez et Gabrielle Boeri-Charles, se pose en média engagé et propose une dizaine de podcasts : documentaires, reportages et talk de société. Nouvelles Écoutes, entreprise lancée en 2016 par Lauren Bastide et Julien Neuville, informe par le son en portant un « regard aiguisé sur la société » sur des thèmes aussi variés que le féminisme, l’économie, le sport ou la sexualité. Nous pouvons encore citer Louie Media, fondé par Charlotte Pudlowski et Melissa Bounoua, qui revendique, à travers des thématiques de société, « un besoin de définition et de compréhension de nous mêmes, de notre identité ». Tous ces acteurs proposent leurs contenus en accès libre sur le site et sur toutes les plateformes d’écoute (Spotify, Deezer, iTunes, etc.). Les radios traditionnelles ont quasiment toutes sauté le pas du podcast natif de même que les pure-player (Mediapart, Slate, Streetpress…). En opposition à « l’offre d’une radio pour tous, fédératrice », une radio « pour chacun, à la carte, le podcast», analyse Remi Bouton, journaliste spécialisé dans les industries culturelles.
Le marché du podcast natif est en plein essor. Selon une étude réalisée par Havas Paris et l’Institut CSA publiée en octobre 2019, 9 % des Français écoutent un podcast natif chaque semaine. Au moment de la réalisation de cette étude, deux tiers des auditeurs ont indiqué qu’ils n’en écoutaient pas l’année précédente. Consommateur régulier de podcasts et curieux de l’émergence de formats innovants au sein des rédactions, j’ai naturellement décidé de travailler sur ces capsules sonores qui bourgeonnent sur les plateformes d’écoute. « Pourquoi les journaux français ne font-ils (presque) pas de podcasts ? », s’interrogeait le journaliste Xavier Eutrope dans un article publié sur La Revue des médias en février 2018. Le trio de quotidiens généralistes (Le Figaro, Le Monde et Le Parisien-Aujourd’hui en France) ne s’était pas encore positionné sur l’audio digital. À l’étranger, les journaux généralistes (Die Zeit, The Guardian, The New York Times) produisaient déjà tous des contenus audio natifs pour enrichir leur offre numérique. C’est en juin 2018 que Le Figaro a franchi le pas en proposant la lecture de son éditorial. Le Parisien a suivi en mai 2019 tandis que Le Monde a attendu l’automne suivant. Il est donc intéressant de porter un regard sur cette arrivée récente sur le marché de ces quotidiens nationaux payants.
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