Qualité, hydrosystème, territoire, patrimoine les piliers théoriques de la politique de l’eau
La diversification des notions théoriques sur lesquelles s’appuie de plus en plus l’action publique a des effets pervers. Le principal d’entre eux est de rendre inapplicable (ou ingérable pour les pouvoirs publics ou encore incompréhensible aux yeux des citoyens) l’action publique MORAND-DEVILLER (2002). Or, les politiques territoriales de l’eau reposent précisément sur des notions certes précieuses, mais qui n’en demeurent pas moins floues et polysémiques. Les notions de qualité, de territoire, de patrimoine et d’hydrosystème sont les piliers théoriques de ces politiques. Les trois premières sont fréquemment employées tant chez les techniciens que chez les élus à différents niveaux de responsabilité. Elles ne sont sans doute pas étrangères non plus au « grand public ». En revanche, la notion d’hydrosystème, plus récente, n’est utilisée que par les experts dans le domaine de l’eau. Elle n’est pas sujette comme les trois autres à toutes sortes d’interprétations. Il convient néanmoins de l’aborder dans la mesure où elle guide, depuis quelques années, les actions menées au titre de l’aménagement et de la gestion des eaux. Elle permet en outre d’avoir un autre regard sur la qualité.
La qualité de l’eau, une notion prégnante au cœur de l’action publique
L’objectif affiché des contrats de rivière est l’amélioration de la qualité de l’eau et des milieux aquatiques98. Reste que la recherche de la définition de la qualité de l’eau soulève de nombreuses controverses au sein même de la communauté scientifique. Lorsqu’on élargit le définition de la qualité de l’eau à celle des milieux aquatiques, les difficultés semblent encore plus grandes.
Existe-t-il une définition scientifique de la qualité de l’eau ?
Avant même d’aborder plus précisément la qualité de l’eau et des milieux aquatiques, une première difficulté tient au caractère polysémique de la notion de qualité. Dans un premier sens, originel, la qualité est ce qui propre à un être, un objet, pris comme genre ou individuellement, et qui contribue à le définir. Qualité est synonyme d’attribut, de caractère, de propriété (dictionnaire Robert) ; c’est une notion neutre dont la signification a peu à peu évolué. Elle est désormais connotée selon une échelle de valeur, allant de la bonne à la mauvaise qualité. Appliquée à un objet ou à un produit, la qualité – bonne ou mauvaise – est ce qui rend cet objet ou ce produit recommandable – ou peu recommandable – par rapport à l’usage ou au goût humain. Au terme de l’évolution sémantique, la notion de qualité s’emploie dans un sens absolu, comme adjectif, et s’identifie à la notion d’excellence : un produit de qualité est tout à fait appréciable. Le glissement depuis une signification neutre, la qualité attribut, vers une signification empreinte d’un jugement de valeur, la mauvaise ou la bonne qualité, et plus encore vers la qualité synonyme d’excellence, pose un problème délicat dans une approche scientifique de la question.
La qualité de l’eau du robinet n’a jamais été aussi bonne qu’aujourd’hui
En France, tous les foyers bénéficient d’une eau qui respecte les normes de potabilité. De manière épisodique, il arrive cependant que des pollutions d’origine humaine ou naturelle obligent les distributeurs à stopper localement l’alimentation en eau potable, le temps de trouver une solution technique103. Celle-ci va de la dépollution lorsqu’elle est possible, aux modifications du traitement de l’eau, parfois même jusqu’au déplacement de la zone de captage. Comme le souligne BARRAQUE (2001), une lecture hâtive des résultats d’analyses, sans précautions statistiques, donnerait à croire que plus de 30 millions de français reçoivent une eau du robinet non potable. Ce résultat est obtenu en additionnant toutes les populations dont la desserte en eau n’a pas respecté à un moment ou à un autre la totalité des normes. En fait, le ministère de la Santé constate que sur un million d’analyses pratiquées par an, plus de 99,2% sont bonnes. La multiplication des critères de potabilité, prévient BARRAQUE, provoque indirectement l’accroissement de la défiance des consommateurs envers l’eau du robinet, à un point qui risque de compromettre la pérennité du service public. Outre l’alimentation en eau potable, des progrès considérables ont été réalisés en matière d’assainissement. Ainsi, les directives communautaires obligent les agglomérations qui constituent encore des « points noirs » sur les cartes des agences de l’eau à se doter d’un dispositif d’épuration des eaux usées. Rares sont les zones rurales où les bourgs demeurent dépourvus de stations d’épuration (STEP). Seule, une partie des communes rurales reste à équiper. De leur côté, les industries ont aussi peu à peu modernisé leurs installations afin de réduire les rejets dans le milieu naturel, même si certains chefs d’entreprises trouvent injuste que des firmes étrangères concurrentes ne soient pas soumises à de telles charges dans leur pays. L’amélioration de la qualité physico-chimique et bactériologique de l’eau destinée à l’alimentation humaine et surtout celle des dispositifs d’assainissement ont naturellement conduit les exploitants à engager de gros investissements. Ceux-ci justifient pour une large part l’augmentation du prix de l’eau en France – qui demeure néanmoins assez faible par rapport aux autres pays européens – puisque plus de 80% du coût du service de l’eau provient du remboursement des emprunts nécessaires aux investissements104 (BARRAQUE, 2002). D’autres facteurs concourent également à l’augmentation du prix de l’eau (information, nature des contrats passés entre les localités et les sociétés fermières, etc.), mais on a tendance à les surestimer. A l’inverse, les pertes dans le réseau de distribution sont peu évoquées alors qu’elles peuvent atteindre 20 à 40 % de la production selon les agences de l’eau.