Qualité de vie au travail chez les professionnels des
services d’urgence
Facteurs associés au Burnout et au Stress au travail
Tous les facteurs significativement associés dans les analyses univariées avec un « très haut niveau de risque de burnout » et un profil Isotrain sont retrouvés dans le tableau 5 (p<0,05). Ainsi les professionnels à « Très haut niveau de risque de burnout » sont plutôt des médecins (p=0,001), de sexe masculin, qui travaillent en partie ou en totalité de nuit, consomment régulièrement des antalgiques et souffrent de mauvaise qualité ou troubles du sommeil en lien avec le travail. Les professionnels dits « Isostrain » sont cette fois-ci plutôt des femmes, consomment eux aussi régulièrement des antalgiques mais également des anxiolytiques et des somnifères. Dans les 2 cas de figure, qu’ils aient un profil Isostrain ou à « Très haut niveau de risque de Burnout », les professionnels étaient plus désireux de changer de service que les autres. Enfin les participants en burnout ou à très haut niveau de burnout sont significativement associés à la tension au travail et aux profils Jobstrain et Isostrain
Evaluation de la qualité de vie
Le tableau 6 compare les scores de qualité de vie des professionnels de notre étude à ceux de la population générale française retrouvés dans l’étude de Gandek et al (30). Les scores de qualité de vie physique et mentale des professionnels des urgences sont en moyenne respectivement de 48,2 6 et 39,6 10 et significativement moins bons que ceux de la populations générale Française (52,9 6 et 48,4 9,5).
DISCUSSION
Cette enquête est la première étude multicentrique française à évaluer la prévalence du burnout, du stress au travail et la qualité de vie de tous les professionnels des services d’urgences. Le Maslach Burnout Inventory (MBI) est le questionnaire scientifiquement validé le plus utilisé aujourd’hui. La prévalence globale du burnout dans notre enquête était de 7,4% et touchait 13% des médecins. Ce chiffre est similaire (11%) à celui d’une étude française réalisée auprès de médecins urgentistes dans 72 services d’urgences (11), mais reste inférieur au reste de la littérature avec des résultats allant de 32,1% (31) à 71,4% (8,12,32,33). Il en est de même pour la catégorie paramédicale : 7,1% des paramédicaux de l’enquête étaient en burnout contre 26% en moyenne d’après la méta-analyse d’Adriaenssens (13) à 40% pour les IDE de l’enquête européenne PRESST-NEXT (34). Cette différence négative par rapport à la littérature s’explique principalement par des taux plus faibles d’épuisement émotionnel élevé et de dépersonnalisation élevée. La comparaison des résultats de notre enquête doit tout de même rester d’interprétation prudente. En effet la méthode de calcul du burnout et les modalités de présentation des résultats varient selon les études. L’Académie nationale de médecine rappelle dans son rapport (35) en 2016 que pour certains auteurs le burnout pourrait se définir par la seule dimension d’épuisement émotionnel (13,31). D’autres encore le définissent comme un niveau élevé d’épuisement émotionnel ou de dépersonnalisation (8,33), ou bien les deux (36,37). La place de la réduction de l’accomplissement personnel est donc de plus en plus remise en question. Pour l’Académie Nationale de Médecine, elle aurait un rôle dans l’étiologie du burnout mais ne devrait pas être considérée comme une dimension de ce syndrome. Cette dernière est pourtant la dimension la plus atteinte par la population de notre étude : 41,4% de perte d’accomplissement personnel contre respectivement 29,6% et 15,8% de niveaux élevés d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation. Ainsi, nos résultats de professionnels en burnout sont certes globalement plus faibles que le reste de la littérature concernant les services d’urgences, mais notre population à « faible accomplissement personnel » est, elle, en revanche plus importante. Ceci laisse présager un risque majeur de basculer vers un syndrome d’épuisement 18 professionnel : la diminution de l’accomplissement personnel concerne la tendance à « évaluer son travail et ses compétences négativement », la croyance que les objectifs ne sont pas atteints, et s’accompagne d’une diminution de l’estime de soi et du sentiment d’auto-efficacité. Le questionnaire de Karasek est devenu au cours des 2 dernières décennies le principal instrument d’évaluation des facteurs psychosociaux au travail. Sa version française a été validée dans des études diverses et pour les trois dimensions du questionnaire (29). Dans notre enquête, les prévalences du Jobstrain (30,1%) et de l’Isostrain (23,5%) sont supérieures à celles observées dans la population générale salariée française au cours de l’enquête SUMER en 2010 : respectivement 24% et 17% (38). Nos résultats sont en revanche plus bas que ceux retrouvés dans des études réalisées auprès de professionnels des urgences (16,19,22). Précisons toutefois que Chakroun et al (22) ont inclus les internes dans leur échantillon : catégorie ayant le risque le plus élevé d’avoir une forte demande psychologique avec 8 fois plus de risque d’être tendus au cours de leur travail aux urgences. Les études de Bellagamba et al. (19) et Trousselard et al. (16) portent en plus sur des professionnels de réanimation ou de soins continus ; population généralement plus touchée par la tension au travail (16). D’après les hypothèses théoriques du stress au travail de Karasek (39), le quadrant « actif », où les exigences et l’autonomie sont élevés inclue les professions du type avocats, juges, médecins, professeurs, ingénieurs, personnel infirmiers et cadres. Nos résultats sont en accord avec cette description en ce qui concerne la catégorie médicale mais pas pour la catégorie paramédicale : 32,1% des paramédicaux sont dans le quadrant « tendus ». D’autres études confirment que les professions paramédicales et plus particulièrement les IDE sont plus touchées par le stress au travail que les médecins (19,40,41). En cause, le manque de communication notamment avec les médecins, la charge importante de travail, l’agressivité des patients et le manque d’effectif (41). Enfin, l’analyse de la littérature internationale témoigne de la validité prédictive du modèle de Karasek pour les maladies cardio-vasculaires (42), les pathologies mentales (43–45), mais aussi des indicateurs globaux de santé, tels la santé perçue, la qualité de vie, ou l’absentéisme pour raison de santé (46–49). Cela se retrouve dans notre étude où plus de la moitié des professionnels en Jobstrain (52,7%) a déclaré avoir eu au moins un arrêt maladie dans l’année (p < 0 ,002).
1 INTRODUCTION |