Qualification des pertes et gaspillages dans les systèmes maraichers péri-urbains
Ampleur des pertes et gaspillages alimentaires
Les données globales fournies par les différentes instances permettent de chiffrer les pertes et gaspillages alimentaires à 670 millions de tonnes (280 à 300 kg par habitant et par an, dont 95 à 115 kg au niveau du consommateur) dans les pays développés (Europe, Amérique du Nord), et à 630 millions de tonnes (120 à 170 kg par habitant et par an, dont 6 à 11 kg au niveau du consommateur) dans les pays en développement (Asie du Sud et Sud-Est, Afrique subsaharienne) (FAO, 2011). Cependant la répartition des pertes et gaspillages le long la chaîne alimentaire varie énormément selon les régions et les produits. Dans les pays à revenu intermédiaire ou élevé, la majeure partie des pertes et gaspillages se situe aux stades de la distribution et de la consommation ; dans les pays à faible revenu, ils concernent surtout les stades de la production et de l’après-récolte (Figure 3). Figure 3 : Pertes et gaspillages alimentaires par habitant et par région, aux stades de la consommation et de l’avant consommation. Source : Gustavsson et al., 2011 Les pertes alimentaires dans les pays industrialisés sont aussi importantes que dans les pays en développement ; dans ces derniers, plus de 40% des pertes sont constatées pendant la phase d’après récolte et la transformation des produits alors que dans les pays industrialisés plus de 40% de ces pertes sont constatées au stade de la distribution et de la consommation. Le gaspillage alimentaire par les consommateurs enregistré dans les pays industrialisés (222 millions de tonnes) est presque aussi élevé que le total de la production alimentaire nette enregistrée en Afrique subsaharienne (230 millions de tonnes) (Gustavsson et al., 2011). Concernant le groupe des fruits et légumes frais, les pertes au stade de la production sont les plus importantes pour l’ensemble des trois régions industrialisées, en grande partie en raison du calibrage des fruits et légumes après récolte dont les critères sont imposés par les distributeurs (Figure 4). Les pertes constatées en bout de chaîne alimentaire sont elles aussi importantes dans l’ensemble des régions, avec 15-30% de rejet de l’ensemble des achats effectués par les consommateurs. Or dans les régions en développement, les pertes alimentaires constatées au niveau de la production agricole dépassent la totalité des pertes constatées sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les pertes constatées au stade de la distribution et de l’après récolte sont aussi importantes, ce qui s’explique non seulement par la détérioration des cultures périssables sous les climats chauds et humides de nombreux pays en développement mais aussi par les excédents invendus issus des cultures saisonnières (Gustavsson et al., 2011). 8 Figure 4 : Fruits et légumes – Production initiale perdue ou gaspillée par région aux différents stades de la chaîne alimentaire Source : Gustavsson et al., 2011
Causes des pertes et gaspillages alimentaires
Les pertes et gaspillages de denrées alimentaires peuvent résulter d’un grand nombre de facteurs. Leurs causes peuvent être biologiques, microbiennes, chimiques, biochimiques, mécaniques, physiques, physiologiques, technologiques, logistiques, organisationnelles, psychologiques ou encore comportementales. Elles peuvent également tenir à la commercialisation des produits, etc.
Facteurs antérieurs à la récolte
Ces facteurs jouent sur la qualité du produit et lorsque celle-ci est inférieure aux attentes, le taux de rejets et de rebuts est élevé. Il va de soi que les pertes et gaspillages dus à ces facteurs varient selon la variété, la campagne agricole et la zone de production. À ce stade, les différences entre les pays développés et en développement sont importantes. Le choix d’une variété adaptée au site de production et conforme aux exigences du marché en ce qui concerne la qualité et la période de maturité est une considération importante au stade de la production (Kader, 2002). Une mauvaise stratégie variétale donne lieu à des produits de moindre qualité et augmente les pertes dues aux rejets. Pour les fruits et légumes, les pratiques agricoles pendant la phase de production ont une grande influence sur la qualité (visuelle et nutritionnelle) du produit. De mauvaises pratiques peuvent entraîner des pertes importantes. On sait que pour les fruits, les ravageurs qui frappent les cultures sur pied sont une des principales causes de pertes après-récolte, puisque certaines des infestations latentes ne se manifestent qu’une fois le produit récolté (Thompson, 2007). Lorsque la gestion de l’eau et des nutriments est médiocre, la qualité du produit l’est aussi, de sorte que le pourcentage de rebuts est élevé lors du calibrage. En présence de 9 conditions environnementales défavorables, par exemple des pluies abondantes, les maladies sont plus fréquentes, les légumes sont ramollis et les fruits peu sucrés (faible valeur de Brix), entre autres défauts. D’autre part, on sait que les températures élevées déterminent des troubles physiologiques, comme le jaunissement des poivrons et des choux fleurs, l’insolation des pommes et des mangues (İlişkile et Ge, 2016).
Facteurs après récolte
Une mauvaise planification du calendrier de la récolte, et une manutention brutale ou négligente des produits jouent un grand rôle dans les pertes et gaspillages alimentaires qui se produisent le long de la chaîne. En effet, la maturité des fruits et légumes au moment de la récolte influe considérablement sur la qualité et la durée de conservation du produit, en particulier pour ceux qui sont très périssables. Les fruits récoltés encore verts sont plus sujets aux dommages mécaniques et au flétrissement et leur qualité gustative est diminuée (ils sont plus acides et moins sucrés que les fruits cueillis à maturité). Inversement, les fruits trop mûrs au moment de la récolte se conservent moins longtemps et sont souvent farineux et insipides (Sivakumar et al., 2011). Dans les pays en développement, l’absence d’entrepôts adaptés est l’un des principaux facteurs de pertes après récolte (Gustavsson et al., 2011). En Afrique subsaharienne, les installations frigorifiques n’existent pas ou sont inaccessibles pour la majorité des petits exploitants. En l’absence d’infrastructures de stockage sur les lieux de récolte, les produits frais peuvent se détériorer en quelques heures (Rolle et al., 2006). Les agriculteurs et les producteurs sont alors obligés de vendre leur production à n’importe quel prix (sans attendre une amélioration du marché), de renoncer à récolter, ou de s’exposer au risque d’une perte totale si les transporteurs, les grossistes ou les détaillants tardent à prendre possession des produits. La durée de conservation des produits, la variabilité de la demande et la demande croissante de produits frais sont des causes importantes de pertes et gaspillages au moment de la vente au détail, qui se répercutent aussi sur les fournisseurs (Mena et al., 2011). En amont de la filière d’approvisionnement, les producteurs programment les semis en fonction de la demande communiquée à titre indicatif par les détaillants (et de leurs propres prévisions). Le gaspillage au niveau de la consommation se rencontre surtout dans les pays développés, les pays émergents y sont également confrontés. Plusieurs facteurs expliquent les pertes et gaspillages au niveau du consommateur, parmi lesquelles on peut citer une mauvaise planification des courses, l’élimination d’aliments en raison d’une confusion entre la date de 10 durabilité minimale (DDM, ex DLUO) et la date limite de consommation (DLC), de mauvaises conditions d’entreposage ou de gestion d’inventaire au sein du ménage, la préparation de portions trop abondantes qui ne sont pas consommées et enfin de mauvaises techniques de préparation des aliments qui conduisent souvent à sacrifier une partie de l’aliment ou à subir des pertes et gaspillages du point de vue de la qualité et de l’apport nutritionnel, un manque de connaissances sur la consommation et l’utilisation efficace des aliments (WRAP, 2009).
Impact économique et environnemental des pertes et gaspillages alimentaires
Les pertes alimentaires génèrent un gaspillage des ressources utilisées au stade de la production, comme, par exemple, les terres, l’eau, les ressources énergétiques et les intrants. Produire des aliments qui ne seront jamais consommés entraine des émissions de CO2 superflues et inutiles ainsi qu’une dépréciation économique des aliments produits. Sur le plan économique (pertes, baisse de rendement des investissements etc.) : des pertes alimentaires superflues influent directement et négativement sur les revenus des agriculteurs et des consommateurs. Selon le rapport de la FAO publié en 2013, les coûts directs du gaspillage des produits agricoles sont évalués à 750 milliards de dollars par an dans le monde (poisson et fruits de mer exclus). Ce gaspillage alimentaire accroît la demande sur le marché mondial et fait fluctuer les prix avec pour conséquence une accessibilité limitée à la nourriture dans les pays en développement. Sur le plan environnemental : l’impact des pertes et gaspillages de nourriture est également majeur. Lors de la production, les récoltes utilisent des ressources : les terres cultivables et leurs nutriments, l’eau, le carburant, les engrais, les matières organiques, les pesticides, sans oublier l’énergie nécessaire au transport, à la transformation et à la distribution des aliments. Selon la FAO, 1,4 milliard d’hectares (28 %) des terres agricoles (champs et pâturages) servent à produire des denrées alimentaires qui finissent à la poubelle sans passer par l’assiette. L’empreinte carbone du gaspillage alimentaire constitue une préoccupation mondiale : d’après la FAO, les denrées gaspillées émettent chaque année 3,3 milliards d’équivalents CO2 (FAO, 2011). Dans les pays développés, le secteur alimentaire à lui seul produirait entre 15 et 30 % des émissions totales de gaz à effet de serre (Anonymous, 2013).
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