Psychologie sportive et personnalité
La recherche sur la personnalité des athlètes n’est pas un phénomène nouveau. Déjà en 1984, plus de 1000 articles avait été écrits sur ce sujet dans l’histoire de la psychologie sportive, et constituait un intérêt majeur dans la recherche des années 80 (Roberts & Woodman, 2015). Toutefois, la recherche sur la personnalité sportive réalisée à cette époque se limitait aux théories des traits et au profilage de personnalité (Vealey, 2002). Dans les années 90, la recherche a été relancée par de nouvelles théories de la personnalité, notamment celles du modèle à cinq facteurs de McCrae et Costa (Allen, Greenlees & Jones, 2013). Le champ de recherche est alors passé de l’exploration élargie de la personnalité des athlètes à la recherche sur des aspects plus précis de celle-ci, comme par exemple l’anxiété de compétition ou le coping (Vealey, 2002). Ce changement d’orientation a amené un déclin important dans la recherche sur la personnalité sportive élargie au cours des années 90 (Vanden, Nys, Rzewnicki & Van Mele, 2001). Signe de ce déclin, certains éditeurs ont complètement retiré les chapitres traitants de ce sujet dans la réédition de livres sur la psychologie sportive, en raison du manque de progrès dans les connaissances (Allen & al., 2013). Roberts et Woodman (2015), soulignent l’étrangeté de l’histoire de l’étude de la personnalité dans le sport, soulignant que l’étude de la personnalité est un domaine pourtant en expansion dans d’autres domaines de la recherche (e.g. psychologie clinique, psychologie sociale, psychologie de la santé). Récemment, Laborde & Allen (2016) ont plaidé pour relancer l’étude de la personnalité sportive en démontrant sa capacité à prédire le comportement des athlètes et sa contribution dans les interventions appliquées dans de nombreux contexte sportifs. D’autre études font également ressortir le rôle de la personnalité dans la motivation à la participation sportive et les liens bidirectionnels entre ces deux concepts, i.e. comment la personnalité influence la participation sportive, qui à son tour influence la personnalité (Allen & Laborde, 2014, Allen, Magee, Vella & Laborde, 2017).
Bien qu’il existe plusieurs théories de la personnalité pouvant s’appliquer au monde sportif, deux courants opposés ont historiquement été utilisés (Allen & al., 2013). Ces deux courants, soit la psychanalyse et le béhaviorisme, se situaient à chaque extrémité d’un continuum qui allait d’une personnalité constante peu importe la situation à une personnalité variable en fonction des stimuli de l’environnement (Vealy, 2002). Avec les années, de nouvelles théories se sont inscrites entre ces deux pôles, en privilégiant l’un d’eux, sans toutefois exclure l’autre complètement (Vealy, 2002). Il s’agit entre autres des théories psychodynamiques, de l’approche dispositionnelle (qui contient la théorie des traits), de l’approche phénoménologique (qui contient la théorie de l’autodétermination), des approches cognitives (dont l’approche du traitement de l’information) et de l’approche sociocognitive (Vealy, 2002).
Malgré la diversité des approches à la disposition des chercheurs, les constats suivants ont émergé au fil du temps : (a) il n’existe aucune évidence à l’effet qu’il existe une personnalité propre aux athlètes ou un ensemble de traits qui les différencie de la population en général (Roberts & Woodman, 2015; Vealy, 2002) ; (b) il n’y a pas de trait de personnalité particulier qui différencie les sous-groupes de sportifs entre eux, comme par exemple entre les athlètes les plus performants et les autres athlètes (Vealy, 2002) ; (c) La personnalité interagit avec l’environnement (i.e. stratégie d’entrainement et de préparation) et module la performance sportive (Roberts & Woodman, 2015) ; (d) le succès dans le sport est facilité par la confiance en soi, les stratégies cognitives et de coping efficaces, une adhérence à un schème émotionnel efficace avant et pendant la compétition et un haut niveau d’investissement et de détermination (Crocker, Tamminen & Gaudreau, 2015; Vealy, 2002) ; (e) Les stratégies sociocognitives améliorent les comportements de performance et les habiletés de coping. Elles sont toutefois moins efficaces pour changer les traits de personnalité (Vealy, 2002) ; (f) La participation sportive ne favorise pas nécessairement le développement de la personnalité. En effet, certains traits antisociaux comme la rivalité y sont plutôt favorisés alors que d’autres valorisés par la société ne sont pas influencés (Vealy, 2002) ; (g) La pratique d’activité physique améliore le concept de soi et l’humeur, tout en diminuant les affects négatifs. Toutefois, les éléments plus stables de la personnalité ne semblent pas être affectés par celle-ci (Vealy, 2002).
Psychologie sportive et psychopathologie
Dans un autre ordre d’idées, Ferraro (2004) critique le fait que, de façon générale, la psychologie sportive considère l’athlète comme un individu sans problème antérieur à la pratique sportive, et exposé à la pathologie uniquement via le stress de la compétition. Selon Ferraro (2004), cette conception de l’athlète est loin de la réalité clinique. En effet, selon cet auteur, les athlètes souffrent également d’autres psychopathologies que celles liées au stress sportif. Dans le même sens, Marchant et Gibbs (2004) mentionnent que bien que les psychologues sportifs rencontrent une quantité significative de psychopathologies, la psychologie sportive est souvent faussement perçue comme une prestigieuse branche de la psychologie où celui-ci ne fait qu’aider des individus normaux ayant un bon niveau de fonctionnement à atteindre leur plein potentiel. À ce propos, Marchant et Gibbs (2004) s’interrogent sur ce manque de cohérence entre la pratique et la littérature. Ils soulignent le manque de support théorique quant au travail des psychopathologies sévères (telles que les troubles de personnalité) dans le domaine de la psychologie sportive (Marchant & Gibbs, 2004). Pour leur part, Brewer et Petrie (2001, 2014) croient que les athlètes présentent aussi différentes psychopathologies puisqu’ils ne sont pas fondamentalement différents des autres êtres humains. Pour Roberts et Woodman (2015), le sport constitue même un milieu favorisant certaines psychopathologies. Ces auteurs affirment que plusieurs psychopathologies ont été répertorié chez les athlètes telles que : (a) les troubles alexithymiques (Roberts & Woodman, 2015) ; (b) les troubles de l’alimentation avec une prévalence légèrement plus forte que celle de la population générale (Brewer & Petrie, 2014) ; (c) les troubles d’abus de substance (Brewer & Petrie, 2014) ; (d) les problèmes relatifs aux jeux de hasard (Brewer & Petrie, 2014) ; (e) le trouble bipolaire (Reardon & al, 2010) ; (f) la dépression majeure (trouble dépressif caractérisé) (Gorczynski, 2017 ; Reardon & al, 2010) ; (g) le trouble obsessif-compulsif ( Reardon & Factor , 2010) ; (h) les troubles anxieux (Schaal, Tafflet, Nassif, Thibault, Pichard, Alcotte, Guillet, El Helou, Berthelot & Simon., 2011) ; de même que (i) les troubles de personnalité (Marchant & Gibbs, 2004 ; Reardon & Factor, 2010 ;Roberts & Woodman, 2015). D’autres études, dans la même optique relationnelle mais sans l’aspect pathologique des troubles de personnalité, font ressortir l’importance de la qualité des relations interpersonnelles dans le sport, par exemple : (a) Jowett (2017) démontre comment la relation athlète entraineur est centrale dans l’atteinte du succès, (b) Jackson, Dimmock, Gucciardi & Grove (2010) parlent des difficultés relationnelles au sein des dyades joueur-joueur et (c) Favor (2011), Jackson Dimmock, Gucciardi & Grove (2011) et Waschmut, Jowett & Harwood (2018) parlent des difficultés relationnelles au sein des dyades athlète-entraineur.
À ces psychopathologies et difficultés relationnelles, plusieurs auteurs recensent des présentations cliniques qui découlent des particularités du monde sportif. Premièrement, Brewer et Petrie (2014) décrivent une forme de somatisation où les éléments psychologiques et les facteurs sociaux augmentent l’incidence des blessures d’un athlète. Ce phénomène est aussi appelé le « modèle du stress et des blessures athlétique » (Johnson & Ivarson, 2017). L’existence de cette forme particulière de somatisation a également été observée dans l’étude de Williams et Andersen (1998). Brewer et Petrie (2014) croient que les athlètes sont également susceptibles de souffrir d’un trouble de l’adaptation lorsqu’ils sont confrontés à un changement drastique. À ce propos, entre 5 et 24 % des athlètes rapportent souffrir d’un niveau significatif de détresse psychologique à la suite d’une blessure, (Brewer, 2001). Toujours selon Brewer et Petrie (2014), les athlètes peuvent également développer une dépendance à l’égard de leur participation sportive, ce qui entraine ainsi une pratique sportive démesurée et nonbénéfique. Les athlètes aux prises avec ce trouble connaissent des symptômes de manque lorsqu’ils cessent l’activité en question (Brewer & Petrie, 2002). Une autre trouble clinique, appelé la bigorexie ou dysmorphisme musculaire, donne un tableau clinique semblable à la dépendance décrite par Brewer et Petrie (2014), mais basé sur la poursuite d’attentes irréalistes quant à la prise de masse musculaire, une modification des habitudes alimentaires et une distorsion négative de l’image corporelle (Carman, 2001 ; Mosley, 2009). Selon Carman (2001) et Mosley (2009), la bigorexie appartiendrait au spectre des troubles de l’alimentation. Compte, Murray, Sepúlveda, Schweiger, Bressan & Torrente (2018) ont également observé la présence de troubles alimentaires chez les joueurs de rugby dans lequel les joueurs tentent d’optimiser leur masse corporelle en fonction de leur position de jeu, renforçant l’idée que la pathologie peut être liée directement à la pratique du sport. Par ailleurs, Kovacsik, Soós, de la Vega , Ruíz-Barquín & Szabo (2018) font ressortir des liens importants entre la dépendance au sport et la passion obsessive, particulièrement dans les sports individuels. À ce propos, selon Vallerand, Blanchard, Mageau, Koestner, Ratelle, Léonard & Marsolais (2003), la passion, bien que nécessaire pour atteindre un niveau élevé de réussite, peut devenir obsessive lorsqu’elle est intégrée à l’identité de l’individu par de la pression externe.
Malgré les spécificités des psychopathologies rencontrées dans le sport, et parce qu’aucun cadre théorique ne permet de faire autrement, Brewer et Petrie (2014) suggèrent que les psychopathologies chez les athlètes soient traitées de la même manière que dans la population générale. Dans le même sens, Ströhle (2018) indique que les traitements psychologiques constituent aujourd’hui la première ligne de traitement en psychiatrie sportive et il réfère à des psychothérapies non spécifiques au sport (i.e. Butler, Chapman, Forman & Beck, 2006). Toutefois et selon Brewer et Petrie (2002), les particularités de l’expérience sportive doivent tout de même être considérées.
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