PROTOCOLE EXPERIMENTAL

 PROTOCOLE EXPERIMENTAL

Historiquement, la psychologie est la première discipline des sciences sociales à recourir à l’approche expérimentale pour l’étude des comportements induits par des stimuli dans des conditions fortement contrôlées. On peut faire remonter les origines de l’approche expérimentale en économie aux travaux de Thurstone (1931) qui, sur les recommandations d’un ami et professeur de psychologie de l’université de Chicago, applique la démarche expérimentale à une question économique afin de lui donner des soubassements empiriques. Thurstone cherche à définir les courbes d’indifférence représentatives des préférences des individus par une simulation de choix entre différentes combinaisons de biens (chapeaux et chaussures). Le scepticisme inspiré par la nature artificielle des gains afférents aux choix des participants mènera les économistes à user d’incitations financières réelles pour concrétiser les conséquences des choix et garantir le sérieux et la motivation des participants. Quelques années plus tard, Chamberlin (1948) et Smith (1962), deux autres précurseurs, ouvriront la voie de l’économie expérimentale. Cette discipline émergente connaîtra un développement important grâce à la théorie des jeux de Neumann et Morgenstern (1944) dont le formalisme se prête bien aux protocoles expérimentaux rigoureux. La théorie de l’utilité espérée sera particulièrement testée et remise en cause par une succession de paradoxes (Paradoxe d‘Allais, paradoxe d’Ellsberg51) grâce aux expérimentations de laboratoire. Plus récemment, l’approche expérimentale, complémentaire des approches théoriques et empiriques, a gagné ses lettres de noblesse avec l’attribution du prix Nobel d’économie en 2002 au psychologue Daniel Kahneman et à l’économiste Vernon Smith qui représentent les deux courants de l’expérimentation en économie. L’apport indiscutable de la démarche expérimentale tient dans la possibilité d’isoler les variables en présence, manipuler des variables d’intérêt dans un environnement contrôlé correspondant au queteris paribus du raisonnement économique grâce à un dispositif reproduisant artificiellement une situation naturelle. Aussi, l’objet de l’expérimentation de laboratoire est la compréhension des causalités plus que des corrélations. La possible reproduction des expériences est une autre caractéristique distinctive de cette démarche qui s’accorde bien avec l’approche de validation progressive des théories par accumulation de preuves ou, à contrario, à la réfutation par falsification, démarche épistémologique préconisée par Popper (Chalmers, 1987). De plus, comme le remarquent Broihanne et al. (2004), la méthode expérimentale n’est pas une fin en soi, elle ne se substitue pas à l’analyse des données de terrain mais peut apporter un début ou un complément d’explication sur un phénomène observé ou supposé. Dans les sciences de gestion, l’expérimentation de laboratoire reste peu employée, sinon dans le champ du marketing (Lesage, 2000). Lesage (2000) définit cette approche comme une « observation factuelle sous facteurs contrôlés », elle consiste à « reproduire en laboratoire52 un événement naturel afin d’en faciliter son observation et de disposer de données aisément reproductibles ». Dans le cadre de notre recherche, nous avons décidé d’étudier en laboratoire les conséquences sur les choix de l’exposition des investisseurs individuels à l’information d’une campagne de levée de fonds de plusieurs projets en compétition sur une plateforme fictive d’equity crowdfunding. Aussi, les réactions affectives, au cœur de notre modèle explicatif, sont provoquées et mesurées. Les vidéos de pitch des entrepreneurs font office de stimuli, ce sont de puissants inducteurs d’émotions car elles plongent le sujet dans une histoire qui possède sa propre dynamique et une complexité qui rend le stimulus écologique, c’est à dire proche des conditions réelles (Gil, 2009). Pour ce qui concerne la mesure des réactions affectives, nous avons recours à l’échelle de Mehrabian et Russel (1974) qui recueille par auto-évaluation les caractéristiques de la dimension cognitive des émotions : le plaisir (ou valence), défini sur un continuum plaisir-déplaisir relatif à la satisfaction et au bien-être du sujet et l’activation, définie sur un continuum calme-excitation qui fait référence au degré d’éveil du sujet. 

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Justification et objectifs 

Justification

Afin de confronter empiriquement le modèle explicatif par équations structurelles et le modèle individuel prédictif qui en découle, il était nécessaire de collecter des données. Si dans un premier temps, nous avons envisagé d’administrer une enquête aux investisseurs d’une plateforme d’equity crowdfunding53, nous avons abandonné cette option car l’objectif même de cette recherche n’est pas aligné sur les intérêts des plateformes, ces dernières souhaitant véhiculer l’image d’un placement risqué mais raisonné. Par ailleurs, l’option consistant à administrer le questionnaire en ligne et sans contrôle ne semblait pas envisageable, dans la mesure où sa durée est approximativement d’une heure, ce qui supposait sérieux et forte motivation de la part du répondant. De plus, dans notre cas, le participant est sensé ne pas avoir d’échange, d’aucune sorte, ce que ce mode de collecte de données ne garantit pas. Aussi, nous avons examiné l’option d’une expérimentation de laboratoire ou expérimentation in vivo. Selon les critères de Yin (2009), les caractéristiques de cette recherche correspondent à la méthode expérimentale car : 1) La question de cette recherche est de type ‘comment’ puisqu’elle peut être reformulée en : ‘Comment les investisseurs en equity crowdfunding choisissent-ils leurs projets ?’ 2) Cette recherche nécessite un contrôle des comportements : Comme nous l’avons mentionné, il importe de s’assurer que les participants n’aient pas d’échange, et respectent une durée raisonnable pour la prise de connaissance des informations sur lesquelles repose l’analyse.

Cette recherche est centrée sur des événements contemporains

Les avantages d’une expérimentation de laboratoire sur une enquête par administration de questionnaire sont multiples : • Le contrôle du respect de la procédure : Dans notre cas, l’observation d’un temps suffisant pour l’analyse des business plans, la visualisation des vidéos de pitch dans leur intégralité et l’absence d’échanges entre participants. • L’approche expérimentale est indiquée dans le cas des recherches de causalité alors que les techniques d’enquêtes le sont pour les recherches corrélationnelles. En effet, seule la recherche expérimentale garantit le respect des trois conditions nécessaires à la causalité posées par les travaux de Mill (1882) : o Une variation concomitante des variables explicatives et expliquées o L’ordonnancement temporel des événements, l’évaluation des variables causales précède l’évaluation de la variable expliquée o L’absence de toute autre cause possible Par ailleurs, comme l’explique Lesage (2000), l’expérimentation de laboratoire a traditionnellement deux objectifs : 1) tester une théorie et 2) permettre l’identification de régularités cachées par la complexité du réel. Ce deuxième objectif concerne des phénomènes difficilement détectables car masqués par un bruit naturel. Lorsque le chercheur infère par abduction une hypothèse H comme étant la cause d’un phénomène, la mise en évidence de H peut nécessiter d’épurer la réalité par une expérimentation qui favorisera sa perception. C’est bien le cas de cette recherche dans laquelle le bruit naturel à épurer correspond à l’ensemble des interactions sociales qui façonnent le jugement de l’investisseur et sont sources de mimétisme. Aussi, nous avons choisi de réaliser notre collecte de données par une expérimentation contrôlée de laboratoire de type jeu de rôle dans laquelle les participants devaient réaliser des objectifs en respectant les règles prescrites.

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