Protection spécialisée dans les îles du droit commun

 Protection spécialisée dans les îles du droit commun

Institutionnalisation de la valeur écologique dans les îles protégées 

Les statuts de protection des petites îles de la Méditerranée couvrent la totalité ou la majorité de leur territoire. En droit national, ces statuts, ou « aires » sont accompagnés d’une structure de gestion,une gouvernance nationale ou locale . Le régime le plus strict régime qu’on puisse instaurer dans les îles habitées est le régime du parc national ou de la réserve naturelle (catégorie UICN III et IV). La création d’une telle aire protégée vise, d’une part, à préserver l’environnement exceptionnel des îles et d’autre part, à valoriser des territoires mis à l’écart jusqu’alors. Dans les îles intégralement protégées, les activités humaines sont réglementées. En conséquence, bien que les îles protégées demeurent des territoires du droit commun1025, leur inscription dans un statut de protection spécialise les règles qui y sont appliquées. Ce type de protection est recensé dans tout le bassin méditerranéen. Cependant, il n’est pas mis en œuvre par le même cadre juridique ou la même gouvernance (A). La gestion assurée par la France est emblématique en la matière (B). 

Des politiques publiques et acteurs de protection différenciés 

Alors que les statuts de parc national ou de réserve naturelle existent dans tous les pays, la notion renvoie à des réglementations qui ne sont pas uniformisées. En revanche, les statuts de protection établis par les conventions internationales tendent à une homogénéisation des normes ainsi qu’une centralisation des acteurs responsables. L’attribution de tels statuts conduit également à leur superposition sur un même site (1). Les îles qui sont administrées par le continent présentent une gouvernance centrée autour de l’aire protégée (2). 1. Des statuts de protection combinés pour une meilleure adaptation à la volonté de l’administration La carte interactive qui recense les aires protégées à l’échelle mondiale démontre que presque toutes les petites îles de la Méditerranée sont incluses dans une aire protégée, terrestre, marine ou mixte1026. La ratification des mêmes conventions internationales relatives à la protection de la nature par les pays méditerranéens facilite le classement qui correspond à des normes similaires dans les droits nationaux. Dans les sites régis par plusieurs statuts, les règles appliquées sont le fruit d’une combinaison unique des mesures prévues par tous les ordres juridiques. Bien que la tendance soit à la simplification du droit entraînant une unification des statuts protecteurs, leur superposition s’avère positive pour la conservation de la biodiversité1027. Elle permet également l’adaptation dynamique à la singularité de chaque île. Dans tous les cas, la création d’un site qui inscrit l’ensemble d’une île en aire protégée est une décision centrale, étatique, étant donné que les inscriptions volontaires ne sont pas très répandues1028 . L’effectivité des aires protégées dépend de la possibilité d’engager des moyens financiers et humains pour l’application de la législation. Le consensus au sein de l’île et la coopération de la population locale contribuent également à sa préservation. Par exemple, les îles inhabitées des Palmiers au Liban1029 sont régies par plusieurs statuts de protection qui se superposent : réserve naturelle en droit national1030, aire spécialement protégée d’importance méditerranéenne par la convention de Barcelone, zone importante pour la conservation des oiseaux par BirdLife International, et enfin, zone humide d’importance internationale par la convention Ramsar. C’est aussi le cas de nombreuses îles habitées. Port-Cros est un parc national en droit français, son territoire maritime est classé en ASPIM de la convention de Barcelona qui concerne le Sanctuaire international pour les mammifères marins en Méditerranée (Accord PELAGOS), et son territoire terrestre et maritime s’inscrit dans le réseau écologique de l’Union européenne Natura 2000. L’établissement du parc national implique des pouvoirs décisifs et réglementaires notamment en ce qui concerne les activités proposées au cœur du parc, qui doivent être compatibles avec les objectifs de protection par la Charte du parc . De plus, l’établissement du PNPC est en charge de la coordination et de l’animation de l’action des acteurs français concernés par le Sanctuaire Pelagos. Bien que ces statuts soient régis par des règles similaires, les règles ne conduisent pas à une gestion analogue sur le terrain. Ainsi, pour prendre l’exemple des sites précédemment évoqués, l’accès du public aux Palmiers n’était pas autorisé au début de la création de la réserve naturelle, en 1992. Les îles étaient donc préservées, mais inaccessibles, car totalement sanctuarisées. Le Comité de gestion de la réserve, rattaché au ministère de l’environnement libanais, a ouvert l’accès au public en 1999. Même si la législation est très stricte sur les îles, on constate souvent un non-respect des règles établies. D’un autre point de vue, à Port-Cros, les gestionnaires du parc national s’interrogent sur les moyens de concilier préservation de l’environnement et ouverture au public et mettent en place des outils pour éviter le dépassement de la capacité de charge de l’île. Habitée par trente individus et visitée par près de 300 000 personnes par an, la fréquentation de Port-Cors est en réalité comparable à celle d’un espace vert urbain. L’initiative a commencé en 2001, avec une étude sur la fréquentation des îles du parc. Le parc national du Port-Cros (PNPC) assure le suivi qualitatif et quantitatif de la fréquentation de l’île, données qui ont fourni la base pour la création d’un observatoire en 2007. Grâce à une collaboration avec des géographes, ces données ont été analysées en lien avec les différents enjeux du territoire et ont permis la définition des objectifs de gestion du parc 1035 . Une catégorie particulière est celle des îles qui n’ont pas de représentation politique.

Gestion spécifique des petites îles côtières sans administration ou représentation politique 

Les îles qui n’ont pas de représentation politique propre, c’est-à-dire aucune instance de représentativité sur l’île, forment une catégorie particulière. Ces îles sont inévitablement liées au continent par une dépendance et une appartenance administrative. Vivre dans une île proche de continent peut créer une frustration, liée à l’impossibilité de vivre comme les continentaux, bien que la distance séparant les deux réalités soit très réduite. Cette frustration rend l’insularité subie par les habitants, et non voulue1036. Dans le même temps, même subie, l’insularité génère un rapport particulier entre les habitants et l’autorité continentale, qui résulte en partie de l’éloignement physique entre l’espace administré et celui de l’administration. Si on exclut les îles qui font partie des autres catégories de notre typologie1037, il existe neuf îles habitées qui sont exclusivement administrées par une entité continentale (v. tableau 3 de la page suivante). Ce recensement comprend toutes les îles de la côte méditerranéenn e française, deux îles italiennes et une île espagnole. Le tableau montre que dans toutes ces îles les normes qui s’appliquent sont dépendantes des statuts de protection. Trois d’entre elles forment des parcs nationaux, structure qui comprend l’entité administrative la plus complète et qui concerne une très grande partie de la vie insulaire. De plus, ces trois parcs nationaux englobent l’ensemble du territoire terrestre et de l’aire marine adjacente. Toutes les îles italiennes et françaises du tableau se situent entre la presqu’île de Giens et la Fosso Chiarone, sur la côte occidentale de l’Italie, zone soumise à deux accords internationaux, l’Accord Pelagos1038 et l’Accord RAMOGE1039. Le premier s’applique seulement en mer, mais engage les Parties à intensifier la lutte contre la pollution d’origine aussi bien maritime que tellurique 1040. La zone RAMOGE, instaurée par l’accord du même nom, ne s’applique pas seulement à la partie marine sous la souveraineté des États signataires (eaux territoriales et eaux intérieures), mais, depuis l’amendement de 2 003, aussi à la zone terrestre du littoral et aux îles situées dans les limites de la mer territoriale.Par ailleurs, les îles françaises sont classées en Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Ce classement n’apparaît pas sur le tableau, car il ne constitue pas une mesure de protection réglementaire. Les ZNIEFF recensent le patrimoine naturel et servent à hiérarchiser les enjeux de la conservation de la biodiversité. S’il n’est qu’un inventaire d’espèces et d’habitats dépourvu de toute portée normative, la délimitation des ZNIEFF sera prise en compte dans les affaires contentieuses et peut servir d’indice susceptible d’orienter le jugement. Le fait que les îles françaises bénéficient de ce classement indique une reconnaissance de leur valeur écologique. La petite île espagnole de Tabarca entre également dans cette catégorie d’île administrée par le continent. Elle est considérée comme une « partie rurale » d’Alicante, qui se situe à vingt kilomètres de la ville à laquelle elle est administrativement rattachée. À l’instar du Frioul – et malgré une distance trois fois plus importante de la ville – Tabarca fait partie d’un quartier continental, El Palmeral-Urbanova-Tabarca. Dans ce cas, l’île, et particulièrement son territoire marin, fait preuve d’une spécificité législative, car il est classé en réserve. La nécessité de classer l’île en réserve marine a été reconnue dans les années quatre-vingt grâce aux travaux de naturalistes de l’Université d’Alicante qui ont proposé un plan de gestion adapté aux caractéristiques de l’île et ont incité la mairie à adopter la décision de classement. Le travail effectué constitue un réel effort d’adaptation du corpus législatif pour s’ajuster aux particularités du territoire insulaire, caractérisé par une nature fragile et une biodiversité riche, mais aussi une fréquentation humaine importante. La législation espagnole ne comportant pas à l’époque un cadre pour l’établissement de parc naturel marin, les normes assorties au statut de protection ont été définies sur mesure. Il s’agit d’un statut qui n’exclut pas le développement des activités humaines, mais opte pour un système de zonage ou l’accès est réglementé. L’expérience de protection intégrale du milieu insulaire sur la façade méditerranéenne française mérite d’être approfondie, car elle fournit une protection complète des petites îles côtières, tant sur le plan juridique que sur le plan institutionnel.

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Un cadre juridique et institutionnel complet pour la protection des petites îles côtières en France 

La France fournit une protection complète, mais rigide, des petites îles côtières. La protection des îles du Frioul illustre les outils disponibles dans le cadre français. Cette protection/gestion s’organise d’une part, par l’établissement des aires protégées (2) et, d’autre part, par l’institutionnalisation de la gestion du littoral avec la création du Conservatoire du littoral et des espaces lacustres (1).

Le Conservatoire du littoral et l’initiative pour les Petites Iles de la Méditerranée, acteurs centraux pour la protection de l’insularité française Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres est un acteur primordial pour la conservation des côtes françaises dès sa fondation en 1975. Établissement public de l’État, son objectif de freiner l’urbanisation massive de l’espace littoral français et particulièrement celui de la côte méditerranéenne  est concrétisé avec l’acquisition des terrains littoraux . Il mène une politique foncière de protection définitive des espaces naturels et des paysages conformément aux dispositions du droit interne, qui lui confère un droit de préemption autonome, ainsi qu’un droit d’expropriation. Les îles entrent naturellement dans le champ d’action du Conservatoire. La création, en 2006, d’un programme pour les îles au sein du Conservatoire, l’Initiative pour les Petites Iles de la Méditerranée (Initiative PIM) , a permis une gestion spécialisée du milieu insulaire. Si son action est destinée aux micro-espaces insulaires, la démarche entreprise a aussi stimulé la gestion durable des îles habitées. Connectée à la délégation « Europe et International » du Conservatoire, l’Initiative ne vise pas l’acquisition des terrains. Son objectif est l’organisation des échanges d’expérience et de savoir-faire entre acteurs à l’échelle méditerranéenne. Concrètement, l’initiative rassemble les chercheurs et les institutions concernés par la conservation de la biodiversité insulaire, et effectue des actions concrètes sur le terrain en agissant comme un facilitateur des échanges en Méditerranée pour la gestion durable des petites îles. Dans ce cadre, le Conservatoire du Littoral devient un acteur encore plus crucial pour la protection des îles françaises, car, grâce à l’initiative PIM, il dirige des actions de conservation spécialisées en milieu insulaire (par exemple l’éradication des espèces envahissantes). Ainsi, l’initiative PIM a facilité, d’une part, la conservation des petites îles de la façade française de la Méditerranée. D’autre part, avec son action à une échelle internationale, elle communique les enjeux environnementaux des îles et l’importance écologique de les protéger. En ayant une action combinée avec la Délégation du rivage Provence Alpes-Côtes d’Azur (PACA), l’initiative contribue à la restauration et la sauvegarde de plusieurs espaces sauv ages au milieu d’une côte très touchée par le développement excessif de l’immobilier et du tourisme. L’archipel du Frioul, dans la rade de Marseille, en tant que propriété du Conservatoire, est un exemple représentatif du travail collaboratif entre les institutions étatiques, les acteurs continentaux locaux et les résidants.

Les îles protégées du Frioul 

L’archipel du Frioul est formé par les îles Pomègues, Ratonneau, If et Tiboulen, qui sont d’une superficie totale de 209 ha. Les îles Pomègues et Ratonneau, connectées entre elles par un pont, se situent à six kilomètres de la baie de Marseille. Propriété du ministère de la Défense, l’archipel du Frioul a été réservé à l’usage militaire pendant des siècles. Son ouverture au public débute par l’acquisition d’une grande partie du foncier par la ville de Marseille en 1970. Le projet initial pour l’avenir des deux plus grandes îles de l’archipel était son urbanisation. Gaston Defferre, maire de l’époque, a voulu en faire un nouveau quartier de Marseille capable d’accueillir 1 500 habitants avec un port de plaisance d’une égale capacité. Le projet a été interrompu en 1978 et l’objectif a été abandonné. Actuellement, l’île est habitée par quatre-vingt-cinq personnes et la plupart des habitations construites sur le village établi à Ratonneau restent vides 1054. Ainsi, l’installation en 1976

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