Prospections pour la mise au point d’une lutte biologique par conservation contre Tuta absoluta (Lepidoptera : Gelechiidae) dans les cultures de tomates
Généralité sur la lutte biologique
Définition et enjeux de la lutte biologique
La lutte biologique est l’utilisation d’organismes vivants pour prévenir ou réduire les dégâts causés par des ravageurs (OILB-SROP, 1973). Selon Altieri et al. (1997), la lutte biologique est à l’origine définie comme l’action des parasitoïdes, des prédateurs et des agents pathogènes pour maintenir la densité de population d’un autre organisme à une moyenne inférieure à celle qui se produirait en leur absence. Cette gestion des organismes nuisibles est antérieure au recours à l’arme chimique pour la défense des cultures (Bale et al., 2008). Eilenberg et al. (2001) ont décrit les différentes stratégies de lutte biologique : la lutte biologique classique, la lutte biologique par augmentation et la lutte biologique par conservation. La lutte biologique classique consiste à introduire de manière intentionnelle un ennemi naturel exotique pour qu’il se stabilise de façon permanente et contrôle à long terme les populations du ravageur ciblé (Lenteren et al., 2003). Le plus souvent, cette technique est mise en œuvre pour occuper des niches écologiques vides,créées par l’introduction accidentelle de ravageurs exotiques, sans le cortège parasitaire qui contribue à réguler leurs pullulations dans leur biotope d’origine (Ferron, 1999). Ce type de lutte biologique a connu plus de succès dans les cultures pérennes (plantations de fruits et forêts) où la nature de l’écosystème permet une interaction à long terme entre les ravageurs et leurs ennemis naturels. La coccinelle prédatrice Rodolia cardinalis a, par exemple, été introduite avec succès pour le contrôle de la cochenille australienne, Icerya purchasi accidentellement introduite en Europe et dans le bassin méditerranéen dans les années 1900 (Bâle et al., 2008). La lutte biologique par augmentation est la libération intentionnelle d’un agent de lutte biologique pour qu’il se reproduise et contrôle le ravageur à chaque fois que sa population croît dangereusement(Eilenberg et al., 2001). Les ennemis naturels sont introduits en nombre faible (inoculation) ou massivement (inondation). Dans le premier cas on s’attend à ce qu’ils se reproduisent pour exercer une régulation à long terme (Eilenberg et al., 2001). C’est une méthode préventive qui vise à réduire la population du ravageur à un seuil économiquement acceptable. Au contraire, la lutte biologique par inondation est la libération d’un grand nombre d’ennemis naturels élevés en masse pour réduire immédiatement la population de ravageurs sans entraîner nécessairement un impact ou un établissement à long terme (Lenteren et al., 2003). Un exemple typique de la lutte biologique par inondation est l’usage des Trichogramma pour contrôler des lépidoptères ravageurs tels que Ostrinia nubilalis (Hubner) (Crambidae) (Bigler, 1986) et Tuta absoluta(Meyrick) (Gelechiidae) (Parra and Zucchi, 2004; Chailleux et al., 2012). La lutte biologique par conservation fait référence à des pratiques de modifications de l’environnement ou des pratiques culturales dans le but de favoriser les ennemis naturels dans l’agroécosystème pour qu’ils exercent leur action sur les ravageurs, sans intervention ultérieure (Polanczyk and Pratissoli,2009). Ces différentes méthodes de lutte biologique contre les organismes déprédateurs exploitent donc les mécanismes de régulation naturelle des populations. De ce fait, la lutte biologique apparaît comme un composant clef pour une approche systématique de la lutte intégrée contre les bioagresseurs. Elle minimise l’utilisation des produits chimiques (Bale et al.,2008). Maintenant, elle est appliquée pour des raisons d’efficacité et de coûts, et utilisable pour les petits producteurs (Lenteren, 2000). C’est une méthode alternative qui respecte l’environnement et promet (sauf la lutte biologique par inondation) une résolution à long terme du phénomène des ravageurs (Lewis et al., 1997, Jonsson et al., 2008). En outre, beaucoup d’auteurs comme Desneux et al. (2007) et Biondi et al. (2012) ont signalé l’impact des pesticides sur le milieu naturel et leurs effets négatifs sur les organismes non cibles.
La lutte biologique par conservation : mise en pratique
Une partie importante de la conservation est la mise en place d’une pratique culturale favorisant le rôle de la végétation dans l’accumulation et la migration des ennemis naturels dans les cultures(Landis et al., 2000). Elle consiste donc à leur offrir un habitat adapté à l’hibernation ou l’estivation, la fourniture de proies ou hôtes alternatifs lorsque l’organisme déprédateur estrare, l’approvisionnement en aliments supplémentaires tels que le pollen et de nectar et un refuge contre les perturbations du milieu (Ferron and Deguine, 2005; Jonsson et al., 2008). Les adultes de plusieurs espèces d’ennemis naturels occupent des refuges physiques (pour l’accouplement ou l’hivernage). Dans les agro écosystèmes, les habitats physiques prennent des formes variées incluant les résidus des récoltes, la végétation dans les bordures de champ et les fissures à l’intérieur de l’écorce des arbres (Gurr et al., 2004). Les domaines non cultivés, comme les brise-vent, les haies ou les bandes de végétation vivace dans les périmètres cultivés, fournissent ce type de refuge. De même, les plantes banques constituent une stratégie pour augmenter les effectifs des ennemis naturels en leur fournissant des hôtes alternatifs (Nakahira et al., 2012).Elles peuvent être utilisées dans un agroécosystème comme des supports pour maintenir les populations d’ennemis naturels (prédateurs et parasitoïdes) importantes sans faire des lâchers(Huang et al., 2011). La mise en œuvre de la lutte biologique par conservation rétablit la fonction de l’agroécosystème de régulation des ravageurs (Perdikis et al., 2011). Néanmoins, elle nécessite une connaissance approfondie sur la biologie et l’écologie des ennemis naturels (Lewis Et al., 1997; Jonsson et al., 2008). C’est une pratique que les producteurs individuels peuvent adopter, contrairement à la lutte biologique classique qui est généralement coordonnée à l’échelle nationale ou régionale (Jonsson et al., 2008), et peu ou pas coûteuse, contrairement aux pesticides et à la lutte biologique par augmentation. Elle présente cependant certaines contraintes; si des pesticides doivent être utilisés pour contrôler les ravageurs, ils doivent être sélectifs et appliqués de manière à conserver les insectes auxiliaires, à cause de leurs effets létaux et sublétaux sur ces derniers décrits par Barbosa, (1998) et Desneux et al. (2007).
La mineuse de la tomate, Tuta absoluta
Origine et expansion géographique de Tuta absoluta
La mineuse de la tomate (Solanum lycopersicum : Solanaceae), Tuta absoluta (Meyrick)(Lepidoptera : Gelechiidae) est un ravageur invasif, originaire d’Amérique du Sud où elle cause d’importants dégâts sur la tomate. Elle a été détectée en Europe pour la première fois dans la partie nord de Castellon de la Plana, dans l’est de l’Espagne, fin 2006. Depuis lors, elle a rapidement envahi d’autres pays de l’Europe et de l’Afrique et continue son expansion dans la Méditerranée (Desneux et al., 2010). Elle a été signalée en Afrique du nord (Abbes et al., 2012;Ouardi et al., 2012), en Afrique de l’ouest (Pfeiffer et al., 2013; Brévault et al., 2014) et au nord du Sahel (Desneux et al., 2010). Elle est disséminée sur de grandes distances, probablement grâce au transport de plants de pépinière et aux fruits vendus à l’export (voir la carte de sa distribution géographique sur http://www.tuta-absoluta.com/).
Taxonomie
D’après Povolny (1975), Tuta absoluta (Meyrick, 1917) appartient à l’ordre des Lepidoptera,sous-ordre des Microlepidoptera, super-famille des Gelechiidae, famille des Gelechiidae, sous famille des Gelechiidae. Elle est du genre Tuta et décrite comme espèce Tuta absoluta.
Ecologie
Cycle biologique
Le cycle biologique comprend quatre stades de développement (Desneux et al., 2010) : œuf,larve, chrysalide et adulte. Les œufs (0,4 mm) sont de forme ovoïde et de couleur blanc-crème.Ils sont pondus le plus souvent de manière isolée, plutôt sur les feuilles mais aussi sur les jeunesfruits, les pétioles et les tiges. Ils sont déposés en général dans la partie supérieure des plantes.Les larves (0,6-8 mm) éclosent généralement le matin et prospectent pendant 5-40 minutes avant de commencer à miner les feuilles (Tropea Garzia et al., 2012). Il y a quatre stades larvaires. Lesjeunes larves sont de couleur crème, puis, plus âgées, deviennent verdâtres, avec une tête plusfoncée. Elles pénètrent les feuilles, les fruits aériens (tomates) ou les tiges, sur lesquelles elles se nourrissent et se développent. Une bande noire derrière la tête est présente chez les quatre stades larvaires. En fin de quatrième stade, la larve présente une large bande rose sur le dos. Elle ne s’alimente plus avant la nymphose (Rey et al., 2014). La nymphose se produit principalement sur les feuilles et dans le sol, en fonction de l’environnement et des conditions de développement(Tropea Garzia et al., 2012). Les chrysalides (5-6 mm) sont normalement protégées par un cocon mince et soyeux (Uchoa-Fernandes et al. 1995). Elles sont de forme cylindrique, verdâtres au début et deviennent de plus en plus foncées lorsqu’elles sont proches de l’émergence de l’adulte(Desneux et al., 2010). Les adultes de T. absoluta, mesurent 6-7 mm de long et ont environ 10 mm d’envergure. Ils ont une teinte gris argenté à marron avec des tâches noires sur les ailes antérieures. Leurs antennes sont filiformes. Les femelles sont plus longues et plus volumineuses que les mâles (Desneux et al., 2010). Elles font un seul accouplement dans une journée et peuvent s’accoupler dix fois durant leur vie avec un accouplement qui peut durer 4-5h. Le ravageur a une forte capacité de reproduction. Une même femelle peut pondre jusqu’à 260 œufs au cours de sa vie (Uchoa-Fernandes et al. 1995). Il peut y avoir 10-12 générations par an en Amérique du Sud(Desneux et al., 2010). La durée du cycle biologique dépend principalement des conditions environnementales. Le cycle de l’œuf à l’adulte est d’environ un mois à 25 °C et environ trois semaines à 30 °C (Wyckhuys et al., 2013). Lorsque la température est plus faible, la durée de développement est nettement plus longue. À 15 °C, elle est supérieure à deux mois (Rey et al.,2014). Le seuil de développement varie entre 7°C à 9°C selon les stades. La longévité des femelles est de 10-15 jours et celle des mâles 6-7 jours (Estay, 2000 ; in Desneux et al., 2010).
Résumé |