Propriétés structurales des cuprates supraconducteurs
La structure de tous les cuprates supraconducteurs présente un ou plusieurs blocs de type pérovskite cubique : un atome de cuivre au centre d’un octaèdre CuO6 aux sommets duquel se trouvent des atomes d’oxygène. Cet octaèdre est lui même centré dans une maille cubique. Le plan CuO2 est le plan qui contient les atomes de cuivre du bloc pérovskite. Les octaèdres forment un réseau en général carré partageant leurs sommets et ont une symétrie quadratique. Cependant, à cause de longueurs de liaisons différentes, on observe régulièrement une distorsion orthorhombique. Trois caractéristiques sont communes à tous les cuprates supraconducteurs : i) Le transport électronique s’effectue préférentiellement dans les plans CuO2. ii) Ces plans CuO2 sont alternés avec d’autres couches qui contrôlent la concentration des porteurs de charge (trous ou électrons) de ces plans conducteurs. En modifiant la composition chimique de ces couches intermédiaires (réservoirs de charge), on modifie la concentration des porteurs de charge des plans CuO2. iii) Cette opération (dite dopage) permet de modifier le caractère plus ou moins isolant ou métallique du composé. Une voie possible de classification des cuprates supraconducteurs est le nombre de plans CuO2 par maille et le caractère spécifique des couches intermédiaires : • Les composés La2-xAxCuO4 (A = Ba, Sr, Ca) font partie du groupe ‘2-1-4’. Ils sont considérés comme prototype car leur structure est simple : 2 couches de CuO2 par unité cristallographique mises en « sandwich » entre les couches LaO ; le dopage peut conduire à des Tc de 45 K. • Les composés RBa2Cu3Ox (R = terre rare) sont du groupe ‘1-2-3’ : deux couches de CuO2 par maille, alternées par des éléments de terre rare, des couches BaO et des chaînes CuO. Ils peuvent atteindre une Tc de 94 K. • Les composés (Bi, Tl, Hg)mM2Can-1CunOm+2n+2 avec M = Ba ou Sr, m = 1 ou 2 et n = 1, 2 ou 3 ont les plus fortes valeurs de Tc pouvant atteindre 130 K. Leur élaboration exige un contrôle stœchiométrique des cinq éléments, chacun ayant des caractéristiques chimiques différentes. On y distingue les groupes ‘2201’ (1 plan CuO2), ‘2212’ avec 2 plans CuO2 et ‘2223’ avec 3 plans CuO2. Les réservoirs de charge de ces composés sont des couches BiO, TlO ou HgO. Ce sont des systèmes dopés en trous. Une famille de cuprates dopée en électrons est R2-xCeCuO4+δ avec R = Nd, Sm et Pr avec un maxima de Tc vers 25K et une maille cristallographique contenant deux plans CuO2.
Structure cristalline de Bi-2212
C’est en 1988 que Maeda et al [Maeda1988] ont rapporté, pour la première fois, la supraconductivité dans le système à base de bismuth. Dans ce composé (Cf. figure 2.1) les octaèdres CuO6 sont disjoints en deux pyramides CuO5 par intercalation d’un plan d’atomes de Ca. La structure cristalline du Bi-2212 est orthorhombique (groupe d’espace 66, symétrie Bbmb), avec des paramètres cristallins a et b très proches, et un paramètre c qui varie avec le dopage. Pour le dopage optimal (où la température critique est maximale), les paramètres de maille sont (a,b,c) = (5,414 ; 5,418 ; 30,7) Å. Les plans CuO2 sont les responsables des propriétés (supra)conductrices, les doubles plans BiO jouent le rôle de réservoir de charges et les plans supplémentaires SrO assurent la stabilité de la structure. Les blocs réservoirs et conducteurs sont empilés alternativement suivant l’axe c. La structure réelle est en fait plus complexe du fait de l’existence d’une modulation incommensurable [Gao1988; Pham1994; Ruyter1994; Subramanian1998; Tarascon1988]. Cette modulation se traduit par une variation périodique de maille à maille de certains paramètres cristallographiques tels que les positions atomiques et les taux d’occupation des sites. L’incommensurabilité de cette modulation vient de ce que la période associée n’est pas en rapport simple avec les paramètres de mailles a,b et c. La modulation est définie par un vecteur q* dans le réseau réciproque (a*,b*,c*) : q q1 a* q2b* q3c* G G G G = + + Pour Bi-2212, q1 = 0 et q3 = 1 et seule la composante q2 est irrationnelle : q 0,21b* c* G G G ≈ + L’origine de cette modulation est encore mal connue. Plusieurs hypothèses sont émises : effet du cuivre [Cheetham1988] ; effet de la paire solitaire 6s2 de BiIII [Pham1994]; oxygènes supplémentaires dans les couches BiO [Le Page1989; Yamamoto1990] ou une distorsion structurale [Calestani1989; Kambe1995; Kan1992; Kirk1988; Niu1989; Zhang1993].
Structure cristalline de La2CuO4
La maille de La2CuO4 est constituée de deux plans CuO2 séparés par deux plans de LaO comme montré sur la figure 2.2. Il s’agit d’une succession de deux couches de type pérovskite translatées l’une par rapport à l’autre d’une demi-unité de maille. L’ensemble correspond à une structure quadratique de type K2NiF4. Les tailles des cations La3+ (ri = 1,172 Å) et Cu2+ (ri = 0,73 Å) [Shannon1976] entraîne une disparité des longueurs de liaisons entre les plans LaO et CuO2 et donc une déformation de la structure quadratique. Le critère de stabilité de Goldschmidt t définit cet écart de l’idéalité de la structure cubique [Goodenough1990]. Son expression est : t = dLa-O / (√2. dCu-O) (2.1) Si t = 1, la maille est quadratique ; pour t = [0,86 ; 1] la maille est quadratique ou orthorhombique. Pour La2CuO4, à température ambiante, t = 0,87 inférieur à 1. Les plans CuO2 sont en compression et les plans LaO sont sous contraintes. Sous ces sollicitations, la structure K2NiF4 passe de quadratique (groupe d’espace D4h17, symétrie I4/mmm) à une distorsion légèrement orthorhombique (groupe d’espace D4h18, symétrie Bmab) : ceci entraîne (i) un mouvement des oxygènes en dehors des plans Cu et (ii) une inégalité des quatre longueurs de liaisons LaO (dans le même plan). Autrement dit, il y a un léger « tilt » de l’octaèdre CuO6 autour de l’axe a. A plus haute température, la structure se retrouve quadratique car les liaisons LaO s’allongent, ce qui diminue les contraintes entre les plans CuO2 et les couches LaO. La transition structurale orthorhombique vers quadratique se situe vers 530K [Torrance1988; Yamada1992]. A température ambiante les paramètres de maille sont (a,b,c) = (5,360 ; 5,402 ; 13,149) Å.
Effet du dopage Sr dans La2-xSrxCuO4-δ sur la structure cristallographique
Les trous n’influent pas seulement sur la structure magnétique et électronique mais également sur la structure cristallographique. La substitution partielle de Sr dans La2CuO4 stabilise la structure quadratique K2NiF4 à température ambiante en modifiant les orbitales anti-liantes [Fleming1987; Radaelli1994]. L’influence de la concentration de Sr sur la température de transition structurale Tst (orthorhombique / quadratique) est présentée sur la figure 2.4(a). L’évolution des paramètres de maille est représentée sur la . La phase quadratique correspond au groupe d’espace D4h17 (symétrie I4/mmm) et la phase orthorhombique au groupe d’espace D4h18 (symétrie Bmab) Figure 2.4: (a) Evolution de la température de Néel TN et de la température de transition structurale Tst en fonction du dopage en strontium. (b) Evolution des paramètres de maille en fonction de la concentration en strontium. La conservation de charges du système La2-xSrxCuO4-δ implique que la concentration des porteurs vaut p = x – 2δ. Soulignons que pour une concentration supérieure de dopage x[Sr] > 0,15, la concentration en trous p peut s’écarter de la loi de conservation pour compenser les lacunes d’oxygène induites par la substitution [Nguyen1983; Shafer1987; Torrance1989].
Effet du dopage à l’yttrium sur Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+δ
Le dopage en trous des plans CuO2 est obtenu par l’introduction d’oxygène en excès qui se place dans les plans BiO et qui « pompe » des électrons des plans CuO2. Ainsi les blocs réservoirs assurent un transfert de charges (trous) vers les plans CuO2, qui acquièrent alors les propriétés supraconductrices. Concernant les composés Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+δ, la substitution d’Y3+ sur le site Ca2+ entraîne l’entrée continue d’oxygène dans la structure [Pham1994] celle-ci est trop faible pour compenser exactement la substitution non isovalente Y3+/Ca2+. Par conséquent, lorsque la teneur x en yttrium croît, le taux des porteurs dans les plans CuO2 diminue. Au fur et à mesure que x augmente, ce mécanisme de compensation partielle des charges est de moins en moins efficace. La composition parent (x = 0) légèrement sur-dopée (Tc = 82 K) peut être amenée à un état de dopage optimal lorsque x = 0,28 (Tc = 92 K) puis atteint le régime sous-dopé pour de plus fortes concentrations en yttrium (x = 0,43 ; Tc = 86 K) [Villard1998]. Il est donc difficile de contrôler le taux des porteurs dans Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+δ du fait de ce mécanisme complexe de formation de trous. Kluge et al. [Kluge1995] suggèrent que la concentration des trous est déterminé par p = (δ – x) / (2 – p’) où p’ fait référence au bismuth Bi3+p’. a)