Propriétés électroniques générales des cuprates
Diagramme de phase (T, dopage) Le changement complexe des propriétés électroniques des cuprates est décrit par leur diagramme de phase (T, dopage). En variant le dopage en porteurs, les propriétés électroniques varient d’une région antiferromagnétique à un liquide de Fermi en passant par la région supraconductrice. Au dopage optimum, la température de transition supraconductrice est maximale. Les régions à droite et à gauche de ce dopage optimal s’appellent respectivement la région sur-dopée et sous-dopée du diagramme de phase. Endessous de la température de pseudo-gap T*, il y a suppression des excitations électroniques de basse énergie. Entre l’état antiferromagnétique et la région supraconductrice, il y a ségrégation de spins et de trous dans la région stripes. Le diagramme de phase de la figure 1.1 ci-dessus est générique aux différentes familles de cuprates. Mais les valeurs de Tc, TN varient non seulement d’un composé à un autre, mais également, au sein d’une famille, lorsqu’on change le nombre de plans de CuO2 par maille. De plus, il est rarement possible de recouvrir l’ensemble du diagramme de phase pour un matériau et un type de dopage donné. Ces variations d’une famille à l’autre sont résumées, pour les familles de cuprates les plus étudiées, dans la figure 1.2.
Région antiferromagnétique
Etude des composés parents
Les propriétés électriques et magnétiques des cuprates proviennent des électrons d des cations de cuivre des plans CuO2 (Cu2+ configuration 3d9) et de la manière dont les atomes de cuivre et oxygène sont ordonnés dans la structure pérovskite. Le décompte des valences des composés parents (non dopés) montre que toutes les couches atomiques de tous les atomes sont remplies, sauf pour les neuf électrons de la couche 3d de Cu2+. La dégénérescence orbitale d’ordre 5 de la couche 3d des atomes de cuivre est levée sous l’effet du champ cristallin. Pour une symétrie quadratique ou orthorhombique du réseau cristallin, et avec l’atome de cuivre au milieu d’un octaèdre d’atomes d’oxygène, la levée de dégénérescence se traduit par l’apparition des orbitales (par ordre décroissant d’énergie) dx²-y², dz² dyz, dxz et dxy (Cf. figure 1.3). dx²-y² pointent vers les orbitales des oxygènes voisins des plans CuO2 et dz² vers celles des oxygènes des plans supérieurs et inférieurs. dxy ,dyz et dzx pointent vers les autres directions. L’orbitale dx²-y² se trouve donc avec un électron non apparié de spin ½ (un trou par site cuivre ou demiremplissage). Le champ cristallin sépare aussi les trois orbitales 2p des oxygènes du plan, donnant lieu (par ordre décroissant d’énergie) à une orbitale π// parallèle au plan CuO2 ; une orbitale π⊥ et une orbitale σ pointant vers les cuivres voisins. L’énergie de l’orbitale 2pσ (ou π⊥) est très proche de celle de l’orbitale 3dx²-y² du cuivre, il y a recouvrement géométrique de ces deux orbitales et donc une forte hybridation entre elles. Ainsi, en absence de dopage, la physique des cuprates devrait être dominée par les bandes anti-liantes Cu (3dx²-y²) – O (2pσ) qui se trouvent à moitié pleines (un électron provenant du cuivre). La théorie des bandes prédit alors un état métallique non magnétique, mais l’expérimentation montre que ces composés à dopage nul sont des isolants antiferromagnétiques avec un gap isolant de l’ordre de 1 à 2 eV [Tanner1990]. Cette défaillance de la théorie des bandes est expliquée par les fortes corrélations électroniques dans ces systèmes. La forte répulsion coulombienne U entre les deux électrons sur le même site cuivre les force à rester les plus éloignés possible l’un de l’autre. L’énergie ∆ qui sépare les états vacants du métal des états 2p remplis de l’oxygène et W la largeur de bande de l’oxygène doivent être pris en compte [Zaanen1985]. Les différentes possibilités sont indiquées sur la figure 1.4. La répulsion coulombienne U sépare donc la bande 3dx²-y² du cuivre en deux niveaux (dits de Hubbard) dont le niveau le plus bas est occupé par l’électron célibataire, et le niveau haut est vide. La bande 2pσ de l’oxygène se trouve entre les deux niveaux de Hubbard (bande de conduction) par un gap ∆CT de transfert de charge : il s’agit donc d’un isolant à transfert de charges [Imada1998]. • Propriétés magnétiques Il est énergiquement plus favorable pour les spins résiduels de Cu (S = ½) des orbitales dx²-y² de s’aligner dans un ordre antiferromagnétique, ce qui est typique des liaisons Cu – O – Cu à 180° [Rice1997]. Cet ordre est réalisé via une interaction de superéchange [Anderson1958] entre les spins de Cu [Goodenough1971], séparés par les électrons des orbitales 2p des oxygènes. (Un faible ordre ferromagnétique peut être trouvé dans les liaisons Cu – O – Cu à 90°, comme celui obtenu dans le cuprate « cousin » SrCuO2 [Rice1997]). Les expériences de rotation Muon Spin et de diffusion inélastique de neutrons confirment l’existence d’un ordre tridimensionnel antiferromagnétique des moments de Cu2+ dans La2CuO4 [Birgeneau1988; Endoh1988; Thio1988]. L’intégrale J d’échange entre les spins premiers voisins prévoit une température de Néel entre 1000 et 1700 K qui est réduite à 300 K à dopage nul à cause du caractère bidimensionnel des SHTc [Aharony1988]. Cet ordre tridimensionnel antiferromagnétique est détruit au dessus de la température de Néel (TN = 320 – 325 K pour La2SrCuO4) [Chen1995; Thurston1989]. Les propriétés magnétiques dans les plans CuO2 sur un réseau carré sont décrites par l’hamiltonien d’Heisenberg : ∑< > = i j H J SiSj , . G G (1.1) Où Si,j sont les spins ½ sur les sites i, j et J l’intégrale d’échange. Une valeur de J positive entraîne une interaction entre les spins antiferromagnétique et si J < 0, il y a interaction ferromagnétique. Pour les cuprates, le paramètre J est positif, les spins s’alignent donc dans un ordre antiferromagnétique.
Effet du dopage dans les cuprates
Le dopage est l’opération qui modifie la concentration des porteurs de charges dans les plans CuO2. Il existe deux façons de doper le composé : soit en substituant un cation par un autre de valence différente (dans La2-xSrxCuO4, on substitue des La3+ par des Sr2+), soit en ajoutant des oxygènes supplémentaires (dans Bi-2212, sous différents recuits d’oxygène, on peut insérer des oxygènes dans les plans BiO). Dans tous les cas, le dopage correspond à un transfert de charges depuis les blocs réservoirs vers les plans CuO2. Dans cette thèse, nous ne nous intéresserons qu’à des dopages par un cation de valence différente. Nous étudierons deux composés dopés LSCO (La1,92Sr0,08CuO4 et La1,85Sr0,15CuO4) et des composés Bi2Sr2CaCu2O8+δ dopés à l’yttrium : Bi2Sr2Ca1-xYxCu2O8+δ. • Influence sur les propriétés électroniques et magnétiques Dans les composés non dopés (parents), les plans avoisinants les plans CuO2 sont constitués de cations trivalents X3+ (La3+ pour La2CuO4 ou Bi3+ pour Bi2Sr2CaCu2O8). Seulement deux des trois électrons fournis par X3+ sont nécessaires à la liaison X3+ O2-. L’électron restant est transféré aux plans Cu2+(O2-)2. L’unité de maille CuO2 prend un électron aux deux couches avoisinantes XO assurant ainsi la neutralité électronique. Mais lorsque un ion divalent Z2+ est substitué partiellement à l’ion trivalent X3+, un déficit d’électron est crée dans les plans CuO2. Ce procédé peut également être décrit comme une introduction de trous dans les plans cuivre-oxygène. Ces trous transforment les états 3d9 de Cu2+ en Cu3+ (S = 0), ces ions représentent en fait un état de liaison Cu2+ (S = ½) avec un trou résidant principalement dans les quatre orbitales voisines 2p des oxygènes : ce qu’on appelle un singulet de « Zhang-Rice » [Zhang1997] (Cf. §1.4.2). L’introduction de porteurs de charges de type trous modifie significativement l’ordre à longue portée antiferromagnétique du système comme le montre la figure 1.6. La destruction locale de l’ordre antiferromagnétique par le dopage, entraîne une diminution nette de la température de Néel TN. A un niveau de dopage critique, le transfert d’électrons permet à un ion Cu3+ (S = 0) d’échanger sa position avec un ion Cu2+ (S = ½). Par conséquent, les trous deviennent mobiles et l’isolant de Mott est détruit.
Etat supraconducteur
La découverte de supraconductivité dans les cuprates en 1986 par Bednorz et Müller [Bednorz1986] jeta un vif engouement chez les physiciens parce que celle ci est obtenue à partir d’un isolant de Mott antiferromagnétique dopé. Aujourd’hui, le mécanisme de la supraconductivité à haute température critique (SHTc) n’est toujours pas élucidé, malgré d’intenses efforts de recherche. Un rôle important est joué par les plans antiferromagnétiques CuO2 et le dopage des composés. Dans ce paragraphe, l’évolution de la supraconductivité en fonction du dopage est décrite. Pour mieux comprendre les différences fondamentales entre les supraconducteurs conventionnels et les SHTc, nous montrerons la théorie BCS qui décrit les supraconducteurs conventionnels.
Théorie BCS : une description microscopique de la supraconductivité
La supraconductivité conventionnelle est décrite, à l’échelle microscopique, par la théorie de Bardeen, Cooper et Schrieffer (BCS) [Bardeen1957]. Cette théorie réside sur le modèle du liquide de Fermi où les électrons sont en interaction en présence d’un potentiel attractif. L’interaction entre les électrons et les phonons (modes de vibrations du réseau) peut offrir un tel potentiel attractif : un premier électron polarise le milieu en attirant les ions positifs environnants; cet excès d’ions positifs attire à son tour un second électron, donnant une attraction effective entre ces deux électrons. Si cette interaction est suffisamment forte pour surpasser l’interaction répulsive colombienne, cela conduit à une augmentation nette du potentiel attractif. Les paires de Cooper constituent des états singulets de spins, c’est à dire deux particules de charges égales avec des moments de spins égaux mais opposés : il s’agit de bosons.