Propriétés directionnelles des vagues courtes mesurées au moyen du bruit sismo-acoustique fond de mer 

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Le spectre des vagues

Les vagues sont mathématiquement décrites par un champ spatiotemporel tridimen-sionnel d’élévation de surface, ζ (x, t), défini par rapport à leur position au repos, où x est le vecteur de coordonnées horizontales d’espace (coordonnées x, y) et t représente la coordonnée temporelle. Si la formulation mathématique des lois régissant le com-portement de l’interface air-mer est bien connue (équations de Navier-Stokes), le calcul de l’évolution du champ de vagues dans un environnement réaliste reste un problème complexe de mécanique des fluides. Dans de telles conditions, prévoir la forme de la surface de l’océan est une entreprise ardue, ceci à cause d’une part de la complexité des équations mises en jeu, et d’autres part à cause de la dose de chaos présente dans le comportement des vagues en mer, contrairement à des conditions contrôlées telles qu’en laboratoire. On considère alors l’état de mer réel à un instant et un endroit don-nés comme la réalisation d’une expérience aléatoire de paramètres définis (par exemple la vitesse du vent, la profondeur de l’eau, la stabilité de la colonne d’air, le spectre des vagues dominantes etc …). L’élévation de surface est alors considérée comme une variable stochastique, à laquelle on peut associer une loi de probabilité P , où [134] P (ζ1, …, ζn; x1, …, xn; t1, …, tn) dζ1…dζn est la probabilité de mesurer une élévation de surface comprise entre ζ1 et ζ1 + dζ1 aux points x1 et à l’instant t1 sachant des mesures similaires à n − 1 autres endroits de l’espace et autres instants, n pouvant théoriquement tendre vers l’infini de ma-nière à couvrir l’ensemble du domaine de définition du champ d’élévation de surface. La connaissance complète de cette loi de probabilité détermine tous les états de mer équivalents qu’il est possible d’obtenir.
Bien plus que les distributions de probabilités, ce sont plutôt ses moments qui sont accessibles à la mesure. Un moment d’une distribution de probabilités est défini comme l’espérance de la variable aléatoire élevée à une puissance entière positive donnée, par exemple n pour le moment d’ordre n. Une condition suffisante à la reconstruction de cette loi de probabilité est la connaissance de ses moments à tous les ordres [148] . Par définition des lois de probabilité, le moment d’ordre 0 est 1. Le moment d’ordre 1 est souvent choisi par convention comme étant nul, cette propriété définissant le niveau de référence. Le moment d’ordre 2 est le plus significatif et le plus couramment utilisé. Le moment d’ordre 2 est associé à la fonction d’auto-corrélation

Définition des vagues courtes

L’appellation vagues courtes abonde dans la littérature. Dans la catégorie des ondes de gravité ordinaires, elles sont souvent définies par opposition aux vagues longues. En revanche, il est possible de mettre en évidence plusieurs manières de les distinguer.

Contenu énergétique

La première distinction entre vagues longues et vagues courtes repose sur l’énergie qu’elles contiennent. En effet, la hauteur significative des vagues est imposée pour une portion réduite du domaine d’échelles des ondes de gravité ordinaires. Par exemple, si on considère un état de mer tel que celui prédit par le spectre d’Elfouhaily et al. (1.14), équation (1.14), on peut montrer que 90 % de la hauteur significative est contenue dans les vagues de plus de 2.3 m de longueur (k = 2.6 rad • m−1 et f = 0.25 Hz), pour U10 = 10 m • s−1 et Ωc = 1.2, i.e. lorsque le développement complet est atteint. Pour autant, cette échelle dépend de la forme du spectre des vagues et est susceptible de varier avec les conditions météorologiques ainsi que d’état de mer.

Invariance d’échelle

Le spectre d’Elfouhaily et al., malgré les simplifications qu’il fait intervenir, fait apparaitre les caractéristiques principales des spectres de vagues. En particulier, le comportement en loi de puissance (k−3, équation (1.14a)), vers lequel tend le spectre aux hautes fréquences, est lui une propriété universelle des spectres des vagues de gravité aux hautes fréquences. L’origine d’un tel comportement est à trouver dans une forme d’invariance d’échelle dans ce domaine [23]. Si on considère le rapport d’énergie entre la composante k et la composante xk du domaine où on constate une loi en puissance k−n, alors le rapport des énergies de ces composantes E((k)) = xn ne dépend pas de k, et par conséquent pas de l’échelle des vagues considérées. On dit alors que la surface de l’océan présente une invariance d’échelle, autrement dit il est impossible de dégager une échelle typique dans ce domaine spectral. Ce comportement est observé à la fois sur les spectres en nombre d’onde et en fréquence. En supposant l’absence de courant, de modulation par les vitesses orbitales des vagues et de non-linéarités, un lien entre ces deux spectres est fourni par la relation de dispersion (1.8) via les équations (1.9-1.13)[90]. Dans ces conditions, si le spectre en nombre d’onde présente une loi de puissance de la forme E (k) ∝ k−n alors le spectre en fréquence aussi, E (f) ∝ f−p avec un exposant p = 2n − 1. Même si cela semble confirmé par les observations, ce lien pourrait être invalidé aux hautes fréquences en raison d’une forme non-sinusoïdale de vagues déferlantes [23]. Les observations peuvent être classées en plusieurs groupes (voir tableau 1.1). Ces observations valident l’hypothèse selon laquelle il existerait une transition d’un comportement en k−2.5 (f−4) vers k−3 (f−5), ces deux types d’équilibres étant justifiés physiquement de manières différentes. Cette transition pourrait avoir lieu à des nombres d’onde compris entre 4 et 25kp, en fonction de l’âge des vagues [110]. Le domaine k−2.5 correspondrait à une zone du spectre où les effets du vent et de la dissipation peuvent être négligés, et où les interactions non-linéaires ont tendance à fournir de l’énergie aux composantes plus longues et plus courtes [92, 144]. La forme k−2.5 est alors obtenue théoriquement par analyse dimensionnelle de la forme du flux d’énergie non-linéaire [91, 66], ce qui est confirmé par de nombreuses simulations nu-mériques [16, 95, 15]. La forme en k−3 correspond quant à elle à un équilibre différent, cette fois où la dissipation par déferlement est le mécanisme dominant. Initialement proposée par Phillips [132], cette forme spectrale a été couramment employée pour la paramétrisation semi-empirique du spectre des vagues.

Physique spécifique

Comme nous avons eu l’occasion de l’apercevoir, la physique des vagues dépend aussi de leur échelle, ce qui constitue un moyen de distinction entre vagues longues et courtes. Les phénomènes de modulation et d’ombrage notamment impactent plus spécifiquement les vagues courtes. Le terme de modulation englobe différents types de phénomènes qui ont pour point commun d’induire des modifications spatiotemporelles de la propagation des vagues courtes. Il peut s’agir par exemple de l’influence des courants orbitaux des vagues longues qui modifient la relation de dispersion (3.1) ou encore de la modification de la gravité ressentie par les vagues courtes sous l’effet de l’accélération verticale des vagues longues. Cette modulation est particulièrement importante pour comprendre la répartition spatio-temporelle de l’écho radar réfléchi par la surface de l’océan [3]. L’inhomogénéité de la répartition des vagues courtes induit par ces effets de modulation permet notamment de mesurer le spectre des vagues longues [138]. La présence de vagues longues modifie également l’écoulement d’air au-dessus d’elles, de telle sorte que l’apport d’énergie aux plus petites échelles coincées entre deux crêtes de vagues longues s’en trouve modifié [84, 67].

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Bilan

Au final, il existe bien des manières de distinguer les vagues longues des vagues courtes, bien qu’une échelle donnée puisse tantôt être classée dans l’une ou l’autre de ces catégories. Dans notre contexte, ces distinctions ne sont pas structurantes. Les vagues ici étudiées sont celles encore mal résolues par les modèles numériques, de fréquences typiquement comprises entre deux fois la fréquence pic et 1 Hz. Il semblerait qu’aucun modèle numérique actuel ne parvienne à reproduire la forme du spectre des vagues aux hautes fréquences, que ce soit le spectre omnidirectionnel ou le spectre directionnel. La forme de la fonction de dissipation Sdiss permettant de reproduire une décroissance en k−3 du spectre en fréquence des vagues est encore inconnue, malgré quelques tentatives telles que celles de Alves et Banner [4] ou Ardhuin et al. [10]. Bien souvent, comme cela a été fait dans les modèles de première génération, le niveau d’énergie des vagues au-dessus d’un multiple de la fréquence pic est contraint à décroitre en f−5 [94], principalement afin de disposer d’un comportement de référence sur lequel calibrer le reste du modèle. La partie hautes fréquences du spectre est en effet déterminante dans l’évolution de l’état de mer. Les vagues courtes dans un contexte de modélisation n’englobent pas seulement les vagues du domaine de saturation, mais aussi des vagues comprises entre le pic et ce domaine, dont la contribution à Hs peut être non-négligeable. L’apport d’énergie par le vent aux vagues croît typiquement avec le ratio [121] Sin k ∼ c (k)
La vitesse de phase des vagues diminuant avec la fréquence dans le domaine gravitaire, la croissance des vagues courtes sous l’effet du vent sera plus rapide que pour les vagues longues. Cette énergie est ensuite redistribuée par interaction non-linéaire aux échelles plus longues et plus courtes. Une distinction plus fine en différents domaines est opérée par Resio et al. [146] (leur figure 1 en particulier), qui montre la répartition des transferts d’énergie non-linéaire en fonction de l’échelle des vagues. Une meilleure prise en compte des courtes échelles aurait donc un impact sur l’ensemble du spectre.

Distribution directionnelle des vagues courtes

Définitions

Jusqu’à présent, seule la répartition d’énergie des vagues selon les différentes échelles a été discutée, laissant de côté leur répartition directionnelle. Le spectre bidimension-nel E (k) peut toujours être divisé en une contribution omnidirectionnelle E (k) et une contribution directionnelle, notée M (k, θ), par exemple de la manière suivante, en reprenant les notations du paragraphe (1.2) : E (k) = E (k, θ) = E (k) M (k, θ) est la distribution directionnelle d’énergie, et de manière similaire à partir des autres ex-pressions du spectre (1.10) et (1.11). En d’autres termes, la valeur de l’énergie contenue dans les vagues d’une échelle k donnée n’est pas influencée par M, qui dicte seulement sa répartition directionnelle, et qui elle-même peut varier en fonction de l’échelle des vagues.

Paramétrisations

L’étude de la distribution directionnelle des vagues est intervenue après celle de leur niveau d’énergie [21]. Historiquement, le moyen de mesure le plus courant du spectre des vagues a été la bouée houlographe. Celle-ci n’a longtemps fourni qu’une indication sur la hauteur de l’eau. Il faut ajouter à cela les limitations d’échelle qui empêchaient les bouées houlographes de mesurer des vagues de fréquences f & 0.5 Hz principalement à cause des mouvements résonants de la bouée que ces vagues induisent. Les travaux de Longuet-Higgins et al. [114] ont permis de mettre sur pied l’une des méthodes routinières les plus employées pour mesurer les spectres directionnels de vagues. Cette évaluation est basée sur la mesure des 5 premiers coefficients de Fourier de la distribution direc-tionnelle, à partir desquels on peut reconstruire le spectre complet en employant des méthodes statistiques [116].

Table des matières

1 Introduction 
1.1 Contexte et objectifs
1.2 Le spectre des vagues
1.3 Définition des vagues courtes
1.3.1 Contenu énergétique
1.3.2 Invariance d’échelle
1.3.3 Moments d’ordres supérieurs
1.3.4 Physique spécifique
1.3.5 Bilan
1.4 Distribution directionnelle des vagues courtes
1.4.1 Définitions
1.4.2 Paramétrisations
1.4.3 Importance
1.4.4 Bimodalité
2 Propriétés directionnelles des vagues courtes mesurées au moyen du bruit sismo-acoustique fond de mer 
2.1 Introduction
2.1.1 Origines
2.1.2 Mécanisme source
2.1.3 Modèles théoriques réalistes
2.1.4 Succès du couplage avec les modèles de vagues
2.2 Bruit sismo-acoustique fond de mer à Cascadia
2.2.1 Données
2.2.2 Modèle de bruit en océan homogène
2.2.3 Modèle de vagues
2.2.4 Forme des spectres de bruit et variabilité avec le vent en surface et les vagues
2.2.5 Interprétation des spectres acoustiques autour de 1 Hz
2.3 Conclusions
3 Propriétés directionnelles des vagues courtes mesurées par stéréo-vidéo 
3.1 Introduction
3.2 Données et traitement
3.2.1 Ondes libres
3.2.2 Ondes liées
3.2.3 Bruit
3.2.4 Cas de référence
3.2.5 Séparation des ondes libres et liées
3.2.6 Extraction des paramètres de la bimodalité
3.3 Autres cas
3.3.1 Crimée 2011
3.3.2 Crimée 2013
3.3.3 Acqua Alta
3.4 Résultats
3.4.1 Paramètres de la distribution directionnelle
3.4.2 Grandeurs dérivées
3.5 Discussion
3.6 Conclusions
4 Modélisation de la distribution directionnelle des vagues courtes 
4.1 Introduction
4.1.1 Objectifs
4.1.2 Modèle étudié
4.1.3 Description du cas test
4.2 Diagnostic du modèle existant
4.3 Termes sources de génération de vagues courtes
4.3.1 Tests
4.4 Conclusions
5 Conclusions 
5.1 Bilan de l’étude
5.2 Discussion générale
5.3 Perspectives
A Pression sous une vague monochromatique 1D
B Coefficients de réflexion

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