Cible des antibiotiques
Pour être utilisable en clinique, un antibiotique doit se caractériser par une action spécifique sur les bactéries visées sans perturber le fonctionnement des cellules eucaryotes (humaine). Un antibiotique devra donc idéalement affecter une voie métabolique absente ou peu active chez les eucaryotes, mais essentielle aux procaryotes, ou atteindre une cible spécifique aux procaryotes. Les antibiotiques peuvent être classés en fonction du composant ou du système cellulaire qu’ils affectent, en plus de déterminer s’ils induisent la mort cellulaire (bactéricides) ou simplement inhibent la croissance cellulaire (bactériostatiques). La mort bactérienne est un processus complexe qui commence par l’interaction physique entre une molécule antibiotique et sa cible spécifique chez les bactéries (Kohanski et al., 2010). Au cours des 15 dernières années, la plupart des cibles ont été découvertes grâce à une combinaison d’analyses génomiques, d’études génétiques et de bio-informatique.
Le nombre de composants qui fournit de bonnes cibles pour les antibiotiques est limité, néanmoins, une seule cible peut offrir un large éventail de possibilités. Par exemple, la découverte de la pénicilline a conduit à l’identification d’une cible particulière (la membrane), et les efforts subséquents basés sur cette cible ont mené à des douzaines de produits commercialisés : céphalosporines, pénicillines et carbapénèmes, et ces découvertes se poursuivent encore aujourd’hui (Schmid, 2006). Les antibiotiques actuels peuvent se diviser en 5 groupes spécifiques en fonction de leur cible (Bambeke and Tulkens, 2010) : 1) antibiotiques actifs sur la paroi et membrane bactérienne; 2) antibiotiques actifs sur le métabolisme des acides nucléiques et de leurs précurseurs; 3) antibiotiques actifs sur la synthèse protéique; 4) antibiotiques inhibiteurs de voies métaboliques et 5) antibiotiques anti-anaérobies (Figure 1.1).
1) Antibiotiques actifs sur la paroi et la membrane bactérienne: Il existe déjà plusieurs antibiotiques qui ciblent la membrane bactérienne. Cette dernière possède des cibles potentielles pour des nouveaux antibiotiques qui pourraient être efficaces, entre autres, contre les bactéries résistantes. Par exemple, la synthèse des peptidoglycanes comporte plusieurs étapes importantes et des antibiotiques inhibants certaines de ces étapes pourrait-être prometteurs. Les antibiotiques utilisent différentes cibles dans la membrane : la synthèse de la membrane externe, l’augmentation de la perméabilité, les phospholipides, les propriétés de la membrane, etc. Les bactéries gram positifs et gram négatifs ont des membranes externes très différentes. Les bactéries à gram négatif sont entourées de deux membranes, la membrane cellulaire cytoplasmique et une membrane externe riche en lipopolysaccharides (Beutler, 2002). Les bactéries gram positif possèdent une membrane cytoplasmique et sont entourées de couches de peptidoglycane (également connu sous le nom de mureine), une matrice de polymère réticulée de manière covalente qui est composée de β- (1-4) -N-acétyl hexosamine liée à un peptide (Bugg and Walsh, 1992). Le maintien de la couche de peptidoglycane est accompli par l’activité des transglycosylases et des protéines liant la pénicilline (PBP, également connue sous le nom de transpeptidases) (Park and Uehara, 2008). Les phospholipides peuvent également être impliqués dans l’action des agents antimicrobiens et il existe trois principaux phospholipides chez la plupart des bactéries à gram négatif et à gram positif : le phosphatidylglycérol, la phosphatidyléthanolamine et la cardiolipine (Epand et al., 2016). Par exemple, les antibiotiques peptidiques tels que la polymyxine B ou E se lient au lipide A, l’ancre du lipopolysaccharide chez les bactéries à Gram négatif. Cette interaction cause une augmentation de la perméabilité membranaire et permet la fuite du contenu intracellulaire, ce qui mène à la mort des bactéries. Les glycopeptides quant à eux (ex : vancomycine) inhibent la synthèse de la paroi cellulaire en formant un complexe avec « D-Ala-D-Ala » (partie terminale des peptidoglycanes bactériens) à l’extrémité carboxyle de la chaîne de peptidoglycane naissante (Epand, 2016)
2) Antibiotiques actifs sur le métabolisme des acides nucléiques et de leurs précurseurs: La synthèse de l’ADN, la transcription de l’ARNm et la division cellulaire nécessitent la modulation du surenroulement chromosomique par des réactions de rupture et de liaison des brins, processus catalysées par les topoisomérases (Espeli and Marians, 2004). Certains antibiotiques ciblent les complexes ADN-topoisomérase, interfèrent avec le maintien de la topologie chromosomique en ciblant la topoisomérase II et la topoisomérase IV, piégeant ces enzymes au stade de la dissociation de l’ADN et empêchant le retour des brins (Kohanski et al., 2010). L’inhibition de la synthèse de l’ARN de même que l’inhibition de la réplication de l’ADN a un effet répresseur sur le métabolisme des acides nucléiques procaryotes et constitue un puissant moyen d’induire la mort bactérienne (Floss and Yu, 2005). Par exemple, les quinolones agissent directement sur la synthèse de l’ADN bactérien. Elles possèdent deux cibles intracellulaires, qui sont deux ADN topoisomérases : l’ADN gyrase et la topoisomérase IV. Pour les bactéries à gram négatif, l’ADN gyrase semble être la cible principale, tandis que pour les bactéries à gram positif, c’est la topoisomérase IV qui semble être la cible préférentielle des quinolones. La formation d’un complexe ADN topoisomérase-quinolone empêche la religation des brins d’ADN suite au clivage ce qui bloque la synthèse de l’ADN (Fàbrega et al., 2009).
3) Antibiotiques actifs sur la synthèse protéique: Le processus de traduction de l’ARNm se déroule sur trois phases successives (initiation, élongation et terminaison) qui impliquent le ribosome et plusieurs facteurs cytoplasmiques accessoires (Garrett, 2000). Le ribosome est composé de deux sous-unités ribonucléoprotéiques, la 50S (contient un ARNr 5S, un ARNr 23S et 32 polypeptides) et la 30S (contient un ARNr 16S et 21 polypeptides), qui s’assemblent pendant la phase d’initiation (Nissen et al., 2000). Les antibiotiques qui inhibent la synthèse des protéines sont parmi les classes les plus larges d’antibiotiques et peuvent être divisés en deux sous-classes: les inhibiteurs 50S et les inhibiteurs 30S (Kohanski et al., 2010). La streptomycine est un inhibiteur de la synthèse des protéines. L’antibiotique se lie à l’ARN ribosomique 16S de la sous-unité ribosomique 30S du ribosome bactérien et interfère avec la liaison entre l’ARNt de la N-formylméthionine à la sous-unité 30S. Cette interférence conduit à des lectures erronées de codons de l’ADN, à l’inhibition de la synthèse de protéines et entraine la mort des bactéries (Luzzatto et al., 1968).
Mécanismes de résistances
Les bactéries utilisent principalement deux stratégies génétiques afin de s’adapter à l’action d’un antibiotique, i) des mutations génétiques souvent associées avec le mécanisme d’action d’un composé et ii) l’acquisition d’ADN étranger qui code pour des résistances aux antibiotiques via transfert horizontal des gènes (THG) (Munita and Arias, 2016). En général, les mutations génétiques modifient l’action des antibiotiques par l’un des mécanismes suivants: i) la modification de la cible antimicrobienne (diminution de l’affinité pour le médicament), ii) la diminution de l’absorption du médicament, iii) l’activation des mécanismes d’efflux pour expulser la molécule nocive, iv) des changements globaux dans les voies métaboliques importantes via la modulation des réseaux de régulation ou v) la formation de biofilms (Singh and Barrett, 2006; Martens and Demain, 2017). On peut par ailleurs voir, dans la Figure 1.2 les principales voies de résistance utilisée par les bactéries, tels que adapté de Ganewatta and Tang, 2015. Voici quelques exemples de résistances aux antibiotiques développées par les bactéries: 1) la résistance à la polymyxine (cible les lipopolysaccharides) est apparue, entre autres, après l’apparition de certaines modifications des groupes phosphates du lipide A à laquelle l’antibiotique est lié; 2) dans le cas de la fosfomycine qui cible la membrane bactérienne, plusieurs formes différentes de résistance se sont développées, telles qu’une diminution de l’absorption du médicament et l’inactivation de l’antibiotique (Epand, 2016); 3) la résistance à la rifampicine provient de mutations modifiant les résidus du site de fixation de la rifampicine à l’ARN polymérase, ce qui entrainent une diminution de l’affinité pour l’antibiotique (Feklistov et al., 2008).
Pour ce qui est du transfert horizontal des gènes, les bactéries peuvent acquérir du matériel génétique exogène par trois stratégies principales soient: i) lors de la transformation, la bactérie incorpore de l’ADN exogène libre présent dans son environnement, ii) lors de la transduction la bactérie reçoit une partie d’un génome bactérien par le biais d’un vecteur, tel un bactériophage et, iii) lors de la conjugaison, les bactéries échangent des plasmides qui peuvent être porteurs d’un ou plusieurs gènes de résistances. La transformation est probablement le type le plus simple de THG, mais seul quelques espèces bactériennes sont capables d’incorporer l’ADN exogène libre pour développer une résistance (ex : Streptococcus pneumoniae) (Munita and Arias, 2016). Depuis 1970, uniquement trois catégories d’antibiotiques entièrement nouvelles ont été approuvées. Selon une estimation récente, 20 nouvelles classes de médicaments seraient nécessaires pour que les antibiotiques fonctionnent efficacement pendant les 50 prochaines années (Chaudhary, 2016). Les défis actuels associés aux infections bactériennes sont dus à la pénurie annoncée de thérapies, le manque de mesures de prévention efficaces et le manque de nouveaux antibiotiques, ce qui requiert le développement de nouvelles options et des traitements alternatifs (Kong et al., 2016).
Trouver de nouvelles stratégies contre le développement de résistances chez les bactéries est un enjeu très important pour la santé publique et pour la communauté scientifique. Les dernières années ont vu un accroissement dramatique partout sur la planète des bactéries résistantes à un ou plusieurs antibiotiques (Frieri et al., 2016). Les bactéries multi-résistantes émergent non seulement dans les hôpitaux, mais sont également présentes dans les milieux communautaires, suggérant que des réservoirs sont maintenant présents à l’extérieur des milieux hospitaliers (Munita and Arias, 2016). Une seconde source importante d’apparition de bactéries résistantes, outre les hôpitaux, se retrouve au sein de l’élevage avicole, porcin et bovin. Selon de très nombreuses études, l’ajout d’antibiotiques de façon systématique dans la nourriture des animaux d’élevage augmente de manière fulgurante la proportion de bactéries résistantes (Witte, 2000; Aarestrup et al., 2001; Aarestrup, 2003; Phillips et al., 2004; Dibner and Richards, 2005; Diarra and Malouin, 2014)
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