Propriété (T) de Kazhdan relative à l’espace

Propriété (T) de Kazhdan relative à l’espace

Vers la propriété (T) relative à l’espace

Comme nous l’avons vu, c’est Popa qui a introduit la notion de propriété (T) relative pour des paires d’algèbres de von Neumann dans le cadre de sa théorie de déformation/rigidité. L’idée de cette théorie est de faire jouer l’une contre l’autre des propriétés de rigidité (la propriété (T) relative à l’espace) contre des propriétés de déformation (propriété (H) de Haagerup) d’algèbres de von Neumann. Cela permet de déduire des résultats d’unicité de sous- ∗-algèbres maximales abéliennes. En particulier, comme nous l’avons remarqué dans l’Introduction après avoir défini l’équivalence orbitale, on peut ainsi démontrer que des actions von Neumann équivalentes sont en fait orbitalement équivalentes. Pour étendre la propriété (T) relative aux algèbres de von Neumann, il convient tout d’abord de définir l’analogue pour les algèbres de von Neumann des représentations unitaires de groupes. Comme l’avait déjà relevé Connes [CJ85], ce sont les bimodules qui vont jouer ce rôle. Définition 1.32. Soient M, N des algèbres de von Neumann admettant une trace normale 14 fidèle. On dit qu’un espace de Hilbert H est un M − N-bimodule s’il est muni de deux ∗-représentations normales 15 commutant π : M → B(H) et ρ : Nop → B(H). On écrira x.ξ.y := π(x)ρ(y op)ξ, pour tous x ∈ M, y ∈ N, ξ ∈ H. Soit M une algèbre de von Neumann munie d’une trace normale fidèle τ. On munit M d’une forme sesquilinéaire en posant (x, y)τ = τ(y ∗ x), pour tous x, y ∈ M. On obtient une norme sur M en posant ||x||2 = p τ(x ∗x) et on note L 2 (M) le complété de M vis-à-vis de cette norme. Notons i : M → L 2 (M) l’injection dense associée. On obtient ainsi une représentation de M sur L 2 (M) π : M → B(L 2 (M)) x 7→ π(x) où π(x) est définie par π(x)i(y) = i(xy) pour tous x, y ∈ M. On appelle cela la construction GNS. Exemple 1.33. Soient M, N des algèbres de von Neumann admettant une trace normale fidèle. (i) L2 (M) est un M − M-bimodule défini par x.ξ.y = xξy, pour tous x, y ∈ M, ξ ∈ L 2 (M). (ii) L2 (M) ⊗ L 2 (N) est un M − N-bimodule défini par x.(ξ ⊗ η).y = (xξ) ⊗ (ηy) pour tous x, y ∈ M, ξ ∈ L 2 (M), η ∈ L 2 (N). Comme nous l’avons annoncé, les bimodules sont aux algèbres de von Neumann ce que les représentations unitaires sont aux groupes. 14. Une trace τ : M → C est normale si elle est faiblement continue sur la boule unité de M. 15. i.e. faiblement continues sur les boules unités (M)1 et (N)1 respectivement 23 Chapitre 1. De la propriété (T) à la propriété (T) relative à l’espace En effet, prenons Γ un groupe dénombrable et π : Γ → U(H) une représentation unitaire. Notons M = L(Γ) l’algèbre de von Neumann associée et (uγ)γ∈Γ les unitaires canoniques de M. L’espace de Hilbert qui nous servira de bimodule est K = H ⊗ ℓ 2 (Γ). On pose pour tout ξ ∈ H et tous g, h ∈ Γ : ug.(ξ ⊗ δh) = π(g)(ξ) ⊗ δgh (ξ ⊗ δh).ug = ξ ⊗ δhg On vérifie alors que ces produits font de K un M − M-bimodule. Remarque 1.34. Dans le cas où π est la représentation régulière de Γ, le bimodule K construit précédemment n’est rien d’autre que L2 (M) ⊗ L 2 (M). Définition 1.35 ([Pop06a]). Soient B ⊂ M des algèbres de von Neumann et soit τ une trace normale fidèle sur M. On dit que l’inclusion B ⊂ M a la propriété (T) relative si pour tout ε > 0, il existe δ > 0 et un sous-ensemble fini F ⊂ M tel que pour tout M − M-bimodule H et pour tout vecteur unitaire ξ ∈ H pour lequel (i) (xξ, ξ) = (ξx, ξ) = τ(x), pour tout x ∈ M, (ii) ||xξ − ξx|| 6 δ, pour tout x ∈ F, i.e. ξ est un vecteur (F, δ)−central, il existe un vecteur η ∈ H tel que bη = ηb pour tout b ∈ B, i.e. η est B-central et ||η − ξ|| 6 ε. On dit que M a la propriété (T) si l’inclusion M ⊂ M a la propriété (T) relative. Remarque 1.36. L’analogue pour les algèbres de von Neumann des vecteurs invariants (presque invariants) pour des représentations unitaires de groupes sont les vecteurs centraux (presque centraux). De même qu’avec les paires de groupes, on peut définir de manière équivalente la propriété (T) relative pour des inclusions d’algèbres de von Neumann à l’aide de suites de vecteurs presque centraux. L’inclusion B ⊂ M a la propriété (T) relative si et seulement si pour tout M − M-bimodule H et toute suite de vecteurs unitaires (ξn) de H vérifiant (i) (xξn, ξn) = (ξnx, ξn) = τ(x), pour tout x ∈ M et pour tout n > 1 ; (ii) ||xξn − ξnx|| −→n→∞ 0, pour tout x ∈ M ; il existe une suite de vecteurs (ηn) de H telle que bηn = ηnb, pour tout b ∈ B et tout n > 1, et avec ||ηn − ξn|| −→n→∞ 0. Le résultat suivant montre que la définition que nous venons de donner pour une inclusion d’algèbres de von Neumann étend bien celle de propriété (T) relative pour une paire de groupes. Théorème 1.37 ([Pop06a]). Soit Λ ⊂ Γ des groupes dénombrables. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) la paire (Γ, Λ) a la propriété (T) relative ; (ii) l’inclusion L(Λ) ⊂ L(Γ) a la propriété (T) relative. Exemple 1.38. On déduit du Théorème 1.37 et de l’Exemple 1.6 que pour n > 2, l’inclusion L ∞(T n ) ∼= L(Z n ) ⊂ L(Z n ⋊ SLn(Z)) ∼= L ∞(T n ) ⋊ SLn(Z) a la propriété (T) relative. 24 1.3. Vers la propriété (T) relative à l’espace Nous pouvons maintenant définir la propriété (T) relative à l’espace pour des actions p.m.p. de groupes dénombrables. Définition 1.39. Soit Γ y (X, µ) une action p.m.p. d’un groupe dénombrable Γ sur un espace de probabilité standard sans atome (X, µ). On dit que l’action Γ y (X, µ) a la propriété (T) relative à l’espace si l’inclusion d’algèbres de von Neumann L∞(X) ⊂ L ∞(X) ⋊ Γ a la propriété (T) relative. Exemple 1.40. On déduit de l’Exemple 1.38 que l’action SL2(Z) y (T2 , µ) a la propriété (T) relative à l’espace. Nous pouvons maintenant revenir au problème qui a motivé l’introduction de la propriété (T) relative à l’espace : la classification des facteurs de type II1. La propriété (T) relative à l’espace permet à Popa de donner les premiers exemples de facteurs de type II1 à groupe fondamental trivial. Il utilise pour cela de manière fondamental la propriété (T) relative à l’espace de l’action SL2(Z) y (T2 , µ). Théorème 1.41 ([Pop06a]). Le groupe fondamental de l’algèbre de von Neumann L(Z2⋊ SL2(Z)), donnée par l’action naturelle de SL2(Z) sur Z2 , est réduit à l’élément neutre. En outre, Popa, Vaes et Houdayer mettent à profit la propriété (T) relative à l’espace de certaines actions pour produire des exemples de facteurs II1 à groupe fondamental prescrit [PV10a, Hou09]. Remarque 1.42. On peut démontrer que l’algèbre de von Neumann L∞(X) ⋊ Γ a la propriété (T) si et seulement si Γ a la propriété (T) et l’action Γ y (X, µ) a la propriété (T) relative à l’espace. Ceci permet notamment d’obtenir de nouveaux exemples d’algèbres de von Neumann ayant la propriété (T). Remarque 1.43. Lors de l’introduction de la propriété (T) relative à l’espace pour les actions de groupes, Popa emploie le terme de rigidité. Suivant [Gab10], nous lui préférons l’expression de propriété (T) relative à l’espace puisque cette propriété dépend étroitement de l’action et que l’on demande que le produit croisé L∞(X) ⋊ Γ ait la propriété (T) relativement à L∞(X). Dans le cas des actions de groupes par automorphismes sur des groupes abéliens, nous pouvons relier propriété (T) relative de paires de groupes et propriété (T) relative à l’espace. Soit A un groupe dénombrable abélien infini et soit Γ un sous-groupe dénombrable de Aut(A). Notons Aˆ le groupe dual de A, compact puisque A est discret. Soit µ la mesure de Haar normalisée sur Aˆ. Alors, l’action Γ y (Aˆ, µ) a la propriété (T) relative à l’espace si et seulement si la paire de groupe (A ⋊ Γ, A) a la propriété (T) relative (voir la Proposition 5.1 [Pop06a]). La propriété (T) relative de telles paires de groupes est l’objet de nombreuses recherches [Bur91, CT11] et nous permet d’orienter les nôtres. Par exemple, nous obtenons une caractérisation simple de la propriété (T) relative à l’espace généralisant celle obtenue par Burger [Bur91] (voir Théorème 2.32). Incarnons maintenant les concepts introduits au moyen de quelques exemples-clé ce qui nous permet de mieux saisir le vocabulaire adopté et de soulever plusieurs questions. 25 Chapitre 1. De la propriété (T) à la propriété (T) relative à l’espace Exemple 1.44. 1. Les actions p.m.p. de groupes moyennables n’ont jamais la propriété (T) relative à l’espace, voir Remarque 2.19. 2. Les actions de Bernoulli de groupes dénombrables n’ont jamais la propriété (T) relative à l’espace, voir Remarque 2.21. Le fait que les actions de Bernoulli n’aient jamais la propriété (T) relative à l’espace montre que cette propriété ne dépend pas seulement du groupe, mais aussi de l’action considérée. La propriété (T) relative à l’espace est ainsi une propriété ergodique, i.e. propre à la dynamique de l’action. Elle est d’ailleurs invariante par orbite équivalence. Il parait donc naturel de donner une caractérisation purement ergodique de la propriété (T) relative à l’espace pour des actions de groupes p.m.p.. C’est ce que Ioana a fait dans un premier temps, voir Proposition 2.1. Nous donnons pour notre part une caractérisation ergodique plus simple de la propriété (T) relative à l’espace dans le cadre d’actions par transformations affines sur des espaces homogènes de groupes de Lie p-adiques G quotientés par des réseaux Λ : le Théorème 2.32. Par ailleurs, le fait que les actions de groupes moyennables n’aient pas la propriété (T) relative à l’espace soulève naturellement la question suivante (voir Problème 5.10.2 [Pop06a]) : est-ce que tout groupe dénombrable non-moyennable admet une action libre ergodique p.m.p. ayant la propriété (T) relative à l’espace ? Cette question est encore ouverte. Nous apportons une réponse affirmative à ce problème pour une large classe de groupes dénombrables : les groupes linéaires sur un corps de caractéristique nulle, de type fini, non-moyennables et à radical résoluble trivial (voir Théorème 3.2). La démonstration de ce résultat fait intervenir de nouvelles constructions présentées dans la section 2.3.

Propriété (T) relative à l’espace

On s’intéresse dans ce chapitre aux aspects théoriques de la propriété (T) relative à l’espace. On étudie le comportement de cette notion vis-à-vis de plusieurs constructions : produit d’actions pmp, restriction, co-induction, induction. On montre en particulier que la propriété (T) relative à l’espace est préservée par restriction d’une action aux sousgroupes co-moyennables. On donne par ailleurs un critère pour qu’une action de groupe par transformations affines sur un espace homogène d’un groupe de Lie S-adique ait la propriété (T) relative à l’espace : soient G un groupe de Lie S-adique, Λ un réseau de G, µ la mesure de probabilité G-invariante sur G/Λ et Γ un sous-groupe dénombrable du groupe affine Aff(G) stabilisant Λ. L’action Γ y (G/Λ, µ) a la propriété (T) relative à l’espace si et seulement si l’action induite de Γ sur P(g) n’admet pas de mesure de probabilité Γ-invariante, où g est l’algèbre de Lie de G. Ce critère généralise des résultats de Burger [Bur91], et Ioana-Shalom [IS13]. 27 Chapitre 2. Propriété (T) relative à l’espace

Nous avons vu précédemment de quelles manières la propriété (T) relative à l’espace a été utilisée en pratique. Nous nous focalisons maintenant sur les aspects théoriques de cette notion, à savoir : — donner des critères de rigidité plus maniables que la définition initiale donnée en termes de paires d’algèbres de von Neumann ; — étudier la stabilité de la propriété (T) relative à l’espace vis-à-vis de diverses constructions : produit d’actions p.m.p., restriction, co-induction et induction ; — construire de nouveaux exemples d’actions ayant la propriété (T) relative à l’espace. Pour ce qui est du premier point, Ioana donne une caractérisation purement ergodique de la propriété (T) relative à l’espace des actions de groupes [Ioa10, IS13]. Nous prenons d’ailleurs cette caractérisation comme point de départ dans la suite de ce manuscrit. Proposition 2.1 ([Ioa10, IS13]). Une action préservant la mesure de probabilité Γ y (X, µ) d’un groupe dénombrable Γ sur un espace de probabilité standard (X, µ) a la propriété (T) relative à l’espace si et seulement si pour toute suite de mesures de probabilité (νn) définies sur X × X et vérifiant 16 : 1. pi ∗ νn = µ pour tout n et i = 1, 2, où pi : X × X → X est la projection sur la i-ème coordonnée, 2. R X×X φ(x)ψ(y)dνn(x, y) −→n→∞ R X φ(x)ψ(x)dµ(x), pour toutes fonctions boréliennes bornées φ, ψ sur X, 3. ||(γ × γ)∗νn − νn|| −→n→∞ 0, pour tout γ ∈ Γ, on a νn(∆X) −→n→∞ 1, où ∆X est la diagonale dans X × X. 16. On munit l’espace des mesures M(X) de la norme ||ν|| = supφ∈B(X),||φ||∞=1 |ν(η)| pour tout ν ∈ M(X), où B(X) désigne l’ensemble des fonctions boréliennes bornées. 28 2.2. Premiers exemples : actions sur le tore Faisons remarquer qu’une caractérisation semblable est obtenue indépendamment par de Cornulier et Tessera dans leur étude de la propriété (T) relative de paires de groupes de la forme (A ⋊ H, A) où H et A sont des groupes localement compacts, σ-compacts, A étant de plus abélien [CT11]. Cette caractérisation repose principalement sur le théorème spectral. Partant d’un bi-module H pour le produit croisé d’une action p.m.p. Γ y (X, µ) admettant une suite de vecteurs unitaires traciaux presque-centraux (ξn) ∈ H, Ioana considère la représentation de C(X × X) sur ce bi-module. Le théorème spectral permet alors de construire une suite de mesures de probabilité sur l’espace produit (X × X, µ ⊗ µ) à l’aide de la suite (ξn) ∈ H. C’est cette suite de mesures de probabilité qui permet d’obtenir une caractérisation purement ergodique de la propriété (T) relative à l’espace. Cette idée trouve son origine dans l’étude de la paire (Rn ⋊ Γ, Rn ), pour Γ sous-groupe de SLn(R) (voir section 2.2.1). A l’aide de cette caractérisation, nous sommes capables de donner un critère de rigidité fort pratique pour une large classe d’actions de groupes : les actions par transformations affines sur des espaces homogènes de groupes de Lie p-adiques, p ∈ P ∪ {∞}. C’est l’objet du Théorème 2.32. Pour ce qui est du deuxième axe d’étude, nous obtenons des résultats de stabilité pour chacune des constructions citées. Concernant la stabilité par restriction, nous montrons que la propriété (T) relative à l’espace d’une action de groupe passe à tout sous-groupe co-moyennable (voir Définition 2.17 et Proposition 2.18). Ce résultat, dont nous ferons grandement usage, soulève d’ailleurs la question ouverte suivante. Question 2.2. Pour B ⊂ M ⊂ N des algèbres de von Neumann tels que M ⊂ N soit co-moyennable et B ⊂ N ait la propriété (T) relative, est-ce que B ⊂ N possède aussi la propriété (T) relative à l’espace ? Enfin, nous obtenons de nouveaux exemples d’actions de groupes ayant la propriété (T) relative à l’espace à l’aide de ces différents résultats (voir sections 2.2.3 et 2.4.3). Le prochain chapitre est d’ailleurs l’objet du troisième axe d’étude, puisque nous sommes capables de produire des actions ayant la propriété (T) relative à l’espace pour tout groupe linéaire sur un corps de caractéristique nulle, de type fini et non-moyennable.

Premiers exemples : actions sur le tore

Dans cette section, on s’intéresse aux premiers exemples introduits dans la littérature d’actions de groupe ayant la propriété (T) relative à l’espace ; les actions de groupes Γ ⊂ SLn(Z) sur les tores Tn , n > 2. Ce sont d’ailleurs ces actions, et plus particulièrement l’action SL2(Z) y (T2 , µ), qui sont à l’origine des applications les plus remarquables. Ces exemples présentent en outre l’avantage d’être directement liés à la propriété (T) relative des paires (Zn ⋊ Γ, Zn ), qui sont l’objet de nombreuses études. 29 Chapitre 2. Propriété (T) relative à l’espace Nous renvoyons le lecteur au Chapitre 4 pour une étude d’une large classe d’actions de groupes par automorphismes, cette fois-ci sur des nilvariétés de groupes de Lie nilpotents de rang 2

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Mesures invariantes

On cherche ici à établir un critère pour que les actions par automorphismes d’un groupe Γ sur les tores Tn aient la propriété (T) relative à l’espace. Nous savons déjà que celle-ci équivaut à la propriété (T) relative pour la paire (Zn ⋊ Γ, Zn ). On se restreint donc dans cette partie à l’étude de paires de cette forme. Nous commençons par donner quelques critères obtenus jusqu’à présent et qui orienteront nos prochains résultats, notamment le Théorème 2.32, résultat principal de ce chapitre. L’outil principal de ces critères repose sur le théorème spectral, que nous rappelons. On note B(X) la tribu borélienne d’un espace X, et Aˆ le groupe dual d’un groupe abélien localement compact A. Théorème 2.3. Soit (π, H) une représentation unitaire d’un groupe localement compact abélien A. Il existe une unique mesure spectrale régulière Eπ : B(Aˆ) → Proj(H) sur A telle que ˆ π(a) = Z χ∈Aˆ χ(a)dEπ(χ), pour tout a ∈ A. De plus, un opérateur T ∈ B(H) commute avec π(a) pour tout a ∈ A si et seulement si T commute avec Eπ(B) pour tout B ∈ B(Aˆ). L’idée est la suivante. Prenons une paire (A ⋊ Γ, A) où A est un groupe discret abélien. La restriction à A d’une représentation unitaire de A ⋊ Γ donne lieu à une représentation unitaire d’un groupe abélien. Le théorème spectral nous permet alors de décomposer cette représentation en intégrale sur l’espace dual de A. On lie ainsi la propriété (T) relative d’une telle paire de groupe à l’action de Γ sur le groupe dual Aˆ. Plus précisément, Burger a démontré le résultat suivant. Théorème 2.4 ([Bur91], Prop. 7). Soit k un corps local. Soit Γ ⊂ GLn(k) un sous-groupe dénombrable. Supposons qu’il n’existe pas de mesure de probabilité Γ-invariante sur P( ˆk n ). Alors la paire (k n ⋊ Γ, k n ) a la propriété (T) relative. Démonstration : Procédons par l’absurde et supposons que la paire (k n ⋊ Γ, k n ) n’ait pas la propriété (T) relative. Prenons alors π : k n ⋊ Γ → U(H) une représentation unitaire de k n ⋊ Γ admettant des vecteurs presque invariants, mais pas de vecteurs invariants. Soit E : B( ˆk n ) → Proj(H) la mesure spectrale associée à la représentation restreinte π|k n . Notons (ξm) ∈ H une suite de vecteurs unitaires presque invariants. On définit une suite de mesure de probabilité (µm) sur ˆk n par µm(B) = (E(B)ξm, ξm). Puisque π n’admet pas de vecteur invariant, on a µm({0}) = 0 pour tout m ∈ N. On peut alors voir cette mesure sur l’espace projectif P( ˆk n ), qui possède la bonne propriété d’être un espace métrique compact. On note encore cette mesure µm. 30

Premiers exemples : actions sur le tore

On vérifie que l’on a alors pour tout γ ∈ Γ, ||γ∗µm − µm|| −→m→∞ 0. (∗) Puisque P( ˆk n ) est un espace métrique compact, l’espace M(P( ˆk n )) des mesures de probabilité sur P( ˆk n ), muni de la topologie faible-∗, est un espace compact métrisable. Ainsi, quitte à considérer une sous-suite, on peut supposer que (µm) converge vers une mesure de probabilité µ sur P( ˆk n ). Enfin, (∗) nous permet d’affirmer que µ est γ-invariant. Puisque cela est vérifié pour tout γ ∈ Γ, on obtient une mesure de probabilité Γ-invariante sur P( ˆk n ), ce qui contredit l’hypothèse de départ. La paire (k n ⋊ Γ, k n ) a donc la propriété (T) relative.  La réciproque de ce résultat a été démontrée plus tard par de Cornulier. Il utilise pour cela le fameux Lemme de Furstenberg [Fur76], voir Lemme 2.6. Théorème 2.5 ([dC06], Prop. 3.1.9). Soit V un espace vectoriel de dimension finie sur un corps local k. Soient G un groupe localement compact et ρ : G → GL(V) une représentation continue. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) il n’existe pas de mesure de probabilité G-invariante sur P(V ∗ ), (ii) la paire (V ⋊ G, V) a la propriété (T) relative. Nous aurons nous aussi à invoquer le Lemme de Furstenberg à plusieurs reprises, notamment dans la démonstration de notre Théorème 2.32. Nous en faisons d’ailleurs une utilisation semblable. Nous rappelons donc ci-dessous ce résultat. Lemme 2.6 ([Fur76]). Soit k un corps local. Soit V un k-espace vectoriel. Soit Γ ⊂ SL(V) un sousgroupe dénombrable. Soit µ une mesure de probabilité Γ-invariante sur P(V). Si Γ ⊂ SL(V) n’est pas bornée, alors il existe un sous-groupe d’indice fini Γ0 ⊂ Γ et un sous-espace propre Γ-invariant W ⊂ V tel que supp(µ) ⊂ [W] ⊂ P(V), où [W] désigne l’image de W dans P(V).

Propriété (T) relative à l’espace et ergodicité forte

On s’intéresse maintenant à une question soulevée par Popa : est-ce que les actions libres, ergodiques et ayant la propriété (T) relative à l’espace sont nécessairement fortement ergodiques ? En considérant des actions sur les tores, Ioana et Vaes montrent que ce n’est pas le cas [IV12]. Nous souhaitons préciser leur réponse et montrer qu’il existe effectivement un lien entre propriété (T) relative à l’espace et ergodicité forte. Commençons par rappeler quelques définitions et ce qui a motivé cette question. Définition 2.7. On dit qu’une action Γ y (X, µ) préservant la mesure de probabilité d’un groupe dénombrable est fortement ergodique s’il n’existe pas de sous-ensembles de X non triviaux et asymptotiquement Γ-invariants, i.e. pour toute suite de sous-ensembles mesurables (Xn) ⊂ X on a µ(Xn∆γ.Xn) −→n→∞ 0, ∀γ ∈ Γ ⇒ µ(Xn)(1 − µ(Xn)) −→n→∞ 0. 31 Chapitre 2. Propriété (T) relative à l’espace Cette notion d’ergodicité forte est étroitement liée à celle de trou spectral, que nous rappelons. Définition 2.8. On dit qu’une action Γ y (X, µ) préservant la mesure de probabilité d’un groupe dénombrable Γ a trou spectral si la représentation de Koopman associée π : Γ → U(L 2 (X) ⊖ C) ne contient pas faiblement la représentation triviale, i.e. n’admet pas de vecteurs presque invariants. On vérifie facilement que toute action ayant trou spectral est fortement ergodique. Dans le cas d’actions par automorphismes sur des tores (et plus généralement sur des nilvariétés, voir Chapitre 4), il se trouve que l’on a même équivalence. Par ailleurs, si le groupe Γ a la propriété (T) alors toute action p.m.p. ergodique de Γ est nécessairement fortement ergodique (puisqu’elle a alors un trou spectral). C’est dans cette optique que Popa souleva cette question. Nous apportons un éclairage positif à cette question. Pour cela, nous rappelons un résultat obtenu par Bekka et Guivarc’h dans le cadre de leur étude d’actions de groupes par transformations affines sur des nilvariétés compactes. Théorème 2.9 ([BG15]). Soit Γ un sous-groupe de SLn(Z). On a les équivalences : 1. l’action de Γ sur Tn n’a pas de trou spectral, 2. l’action de Γ sur Tn n’est pas fortement ergodique, 3. il existe un sous-espace rationnel non nul W de Rn invariant par le sous-groupe tΓ de SLn(Z) et tel que l’image de t Γ dans GL(W) est moyennable, 4. il existe un sous-espace rationnel non nul W de Rn invariant par tΓ et tel que l’image de tΓ dans GL(W) est virtuellement abélien. Le Lemme de Furstenberg et le Théorème 2.4 nous permettent alors d’établir le lien entre propriété (T) relative à l’espace et ergodicité forte dans le cadre d’actions sur les tores. Proposition 2.10. Soit Γ un sous-groupe de SLn(Z). Supposons que l’action Γ y (Tn , µ) ait la propriété (T) relative à l’espace, alors l’action transposée tΓ y (Tn , µ) est fortement ergodique. Démonstration : Procédons par l’absurde et supposons que l’action transposée tΓ y (Tn , µ) ne soit pas fortement ergodique. D’après le Théorème 2.9, il existe un sous-espace rationnel non trivial W de Rn invariant par le sous-groupe Γ de SLn(Z) et tel que l’image de Γ dans GL(W) est moyennable. Par moyennabilité de Γ dans GL(W), on obtient une mesure de probabilité Γ-invariante sur P(W). Mais alors, on obtient aussi une mesure de probabilité Γ-invariante sur P(Rn ). Ce qui contredit la propriété (T) relative à l’espace de l’action Γ y (Tn , µ). L’action tΓ y (Tn , µ) est donc fortement ergodique.  On en déduit en particulier le résultat suivant. 

Premiers exemples : actions sur le tore

Proposition 2.11. Soit Γ un sous-groupe de SLn(Z) stable par transposée, i.e. tΓ = Γ. Supposons que l’action Γ y (Tn , µ) ait la propriété (T) relative à l’espace, alors cette action est fortement ergodique. Remarque 2.12. Les contre-exemples donnés par Ioana et Vaes montrent justement qu’ils ont dû éviter de tels groupes afin d’obtenir des actions non fortement ergodiques et ayant la propriété (T) relative à l’espace.

Produits de sous-groupes de SLn(Z)

Dans leur article [IS13], Ioana-Shalom ont posé la question suivante : est-ce que le groupe F2 × Z admet une action libre ergodique ayant la propriété (T) relative à l’espace ? Nous renvoyons à la section 2.4.3 et à la Remarque 2.43 pour les motivations d’un tel problème. Plus généralement, nous pouvons poser la question suivante. Soient Γ, Λ deux groupes dénombrables. Est-ce que le produit Γ × Λ admet une action libre ergodique ayant la propriété (T) relative à l’espace ? Nous montrons que dans le cas de sous-groupes de SLn(Z), il suffit que l’un de ces deux groupes admette une action libre ergodique avec la propriété (T) relative à l’espace sur le tore Tn . Proposition 2.13. Soient n, m ∈ N. Soit Γ ⊂ SLn(Z) un sous-groupe tel que l’action Γ y (Tn , µ) sur le tore muni de la mesure de Lebesgue soit libre, ergodique et ait la propriété (T) relative à l’espace. Alors, pour tout sous-groupe Λ ⊂ SLm(Z), Γ × Λ admet une action libre et ergodique ayant la propriété (T) relative à l’espace. Démonstration : Considérons le produit tensoriel Rn ⊗ Rm. Le groupe Γ × Λ agit sur cet espace vectoriel par : (γ, λ).(u ⊗ v) = γ(u) ⊗ λ(v), pour tout γ ∈ Γ, λ ∈ Λ, u ∈ R n , w ∈ R m. Par ailleurs, en identifiant Rn ⊗ Rm à Rnm, on obtient une action de Γ × Λ sur le tore Tnm, puisque cette action préserve Znm. Montrons que cette action est libre, ergodique et qu’elle a la propriété (T) relative à l’espace. Pour ce qui est de la liberté, il suffit de remarquer que l’on a identifié Γ × Λ à un sous-groupe de SLnm(Z) et que celui-ci agit librement sur Tnm. Quant à l’ergodicité, elle découle de l’ergodicité de l’action Γ y (Tn , µ). En effet, il suffit de noter que Γ agit diagonalement sur (Tn ) m. Enfin, pour ce qui est de la propriété (T) relative à l’espace, elle découle directement de la Proposition 2.15, puisque Γ agit diagonalement sur (Tn ) m et que l’action Γ y (Tn , µ) a la propriété (T) relative à l’espace. Ce qui achève la démonstration.  On répond donc en particulier à la question de Ioana et Shalom en considérant des injections F2, Z ֒→ SL2(Z). Remarque 2.14. Nous le verrons dans la Remarque 3.14 que cette proposition est encore valable lorsque l’on considère des actions sur des solénoïdes, i.e. des espaces de la forme (R × ∏p∈S Qp) n/Z[S −1 ] n . 33 Chapitre 2. Propriété (T) relative à l’espace 2.3 Stabilité de la propriété (T) relative à l’espace Dans cette section, on étudie la stabilité de la propriété (T) relative à l’espace vis-à-vis de certaines constructions standards. La première, élémentaire, consiste à considérer le produit d’actions p.m.p. ayant la propriété (T) relative à l’espace d’un groupe Γ. On se demande si la propriété (T) relative à l’espace est préservée pour l’action diagonale de Γ sur l’espace produit. On montre que tel est bien le cas. Ensuite, on s’intéresse à la restriction d’une action p.m.p. d’un groupe Γ à un sous-groupe Λ. On donne une condition suffisante pour que la propriété (T) relative à l’espace de l’action de Γ soit préservée par restriction à Λ : la co-moyennabilité. Enfin, on s’intéresse au problème inverse. Partant d’un groupe Γ admettant une action p.m.p. ayant la propriété (T) relative à l’espace, comment peut-on passer à un sur-groupe de Γ ? On étudie pour cela deux constructions : la co-induction et l’induction. 2.3.1 Action diagonale sur un produit fini Plaçons-nous dans le cadre suivant. Soient n ∈ N et Γ un groupe dénombrable. Pour i = 1, . . . , n, soit (Xi , µi) un espace de probabilité standard sur lequel Γ agit en préservant la mesure µi . On s’intéresse à la dépendance de la propriété (T) relative à l’espace de l’action diagonale Γ y ∏ n i=1 (Xi , µi) par rapport aux actions sur chaque facteur Γ y (Xi , µi). Celle-ci est naturelle, voir Proposition 2.15 : l’action diagonale a la propriété (T) relative à l’espace si et seulement si l’action sur chaque facteur a la propriété (T) relative à l’espace. Nous utilisons ce résultat afin de construire des actions libres à partir d’actions qui ne le sont pas nécessairement au départ, notamment dans la démonstration du Théorème 3.2. Rappelons que l’on note Aut(X, µ) l’ensemble des bijections boréliennes qui préserve la mesure µ, identifiées à mesure nulle prés. Proposition 2.15. Soit n ∈ N. Soit (Xi , µi)i=1,…,n des espaces de probabilité standards. Posons (X, µ) = ∏i (Xi , µi). Soit Γ ⊂ ∏i Aut(Xi , µi) un groupe dénombrable. Les assertions suivantes sont équivalentes : (i) Γ y (X, µ) a la propriété (T) relative à l’espace, (ii) pour i = 1, . . . , n, l’action πi(Γ) y (Xi , µi) a la propriété (T) relative à l’espace, où πi désigne la projection de ∏ n j=1 Aut(Xj , µj) sur Aut(Xi , µi).

Table des matières

Introduction
1 Cadre de la thèse
2 Présentation des résultats et contenu des chapitres
2.1 Stabilité de la propriété (T) relative à l’espace
2.2 Critère de rigidité
2.3 Groupes linéaires de type fini non-moyennables
2.4 Contenu des chapitres
Chapitre 1 De la propriété (T) à la propriété (T) relative à l’espace
1.1 Propriété (T)
1.2 Algèbres de von Neumann
1.3 Vers la propriété (T) relative à l’espace
Chapitre 2 Propriété (T) relative à l’espace
2.1 Introduction
2.2 Premiers exemples : actions sur le tore
2.2.1 Mesures invariantes
2.2.2 Propriété (T) relative à l’espace et ergodicité forte
2.2.3 Produits de sous-groupes de SLn(Z)
2.3 Stabilité de la propriété (T) relative à l’espace
2.3.1 Action diagonale sur un produit fini
2.3.2 Co-moyennabilité
2.3.3 Co-induction
2.3.4 Induction
2.4 Critère de rigidité pour les actions sur des espaces homogènes
2.4.1 Rappels
2.4.2 Lemmes préliminaires
2.4.3 Démonstration du Théorème 2.32 .
Chapitre 3 Groupes linéaires
3.1 Introduction
3.2 Étude de groupes linéaires
3.2.1 Étude de la liberté de certaines actions préservant une mesure de probabilité
3.2.2 Dé-compactification
3.2.3 Construction d’actions ayant la propriété (T) relative à l’espace
3.3 Étude de cas particuliers
Chapitre 4 Nilvariétés
4.1 Introduction
4.2 Nilvariétés définies par des graphes finis
4.2.1 Définitions .
4.2.2 Étude du groupe d’automorphismes
4.3 Étude de la propriété (T) relative à l’espace
4.3.1 Deux critères de rigidité
4.3.2 Quelques exemples
Bibliographie

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